La tartufferie néocolonialiste BBY

par pierre Dieme

La posture de Serigne Mbaye Thiam face aux critiques de la gauche française est signicative du faux semblant néocolonialiste exploité par la majorité présidentielle. La démocratie sénégalaise est devenue celle des rentiers

« À bas les néocolonialistes ! », made in BBY (Benno Bokk Yakaar). C’est une nouvelle appellation d’origine protégée et contrôlée de la majorité présidentielle, en vogue au Sénégal. Cette improbation risque fort d’être la nouvelle devise de l’APR (Alliance pour la République) fort des prochaines échéances électorales où les luttes de pouvoir atteindront leur paroxysme et où la démocratie risque d’en pâtir.

Le camp présidentiel n’a guère gouté les critiques de l’opposition de la gauche française, en la personne d’Olivier Faure et de Jean-Luc Mélenchon. « Démocratie sénégalaise piétinée, liberté des manifestations entravée, justice instrumentalisée », c’est un langage fleuri sonkiste qui interpelle l’analyste des relations Afrique-France que je suis. Sans doute cette « ingérence » tweeteuse est-elle aussi en lien avec un calendrier de politique intérieure française. Passons !

L’indéboulonnable Serigne Mbaye Thiam, ministre de l’Eau et de l’Assainissement, a été l’un des premiers à dégainer l’arme fatale contre les toubabs : le paternalisme et les donneurs de leçons. Aux oubliettes l’internationale socialiste, peu lui importe ses anciens camarades de route, pas touche à la démocratie sénégalaise !

Serigne Mbaye Thiam aurait-il renoncé à ses ambitions de premier secrétaire du PS pour se mettre à dos ses amis socialistes français ? Ou ai-je oublié le désordre des idéologies dans lequel Emmanuel Macron et Macky Sall nous ont plongés avec leur débauchage politique tous azimuts ? Entre les socialistes des deux présidents et la manne du pouvoir, et les socialistes indépendants et la sécheresse de l’opposition, Serigne Mbaye Thiam a choisi son côté.

Ce mélodrame entre anciens camarades de jeu nous informe sur la recomposition en cours des familles politiques, également sur la scène internationale. Il est vraisemblable que la NUPES (Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale) perçoit Ousmane Sonko comme l’homme providentiel de la gauche progressiste africaine. Cette solidarité internationale entre partis politiques est somme toute rationnelle. À ce propos, pas de paternalisme soupçonné alors que l’APR utilise la même rhétorique contre le Pastef et la NUPES (deux ennemis communs), de partis extrémistes ? Emmanuel Macron en fait de même ! Quelle coïncidence !

Arrêtons-nous un instant sur la posture de Serigne Mbaye Thiam, très significative du faux semblant néocolonialiste exploité par la majorité présidentielle dès lors qu’il est question en filigrane du troisième mandat.

L’ancien ministre de l’Éducation pourrait-il éclairer notre lanterne sur son déplacement à Paris le 19 janvier 2018 ? À l’invitation de l’Agence Française de Développement (AFD), il participa à une conférence sur l’école de demain pour l’Afrique. Le défenseur du panafricanisme a-t-il déjà vu une conférence sur l’avenir de l’école française se tenir hors de son territoire ? En Afrique, par exemple ? C’est vrai que, depuis 2018, après cette conférence, l’AFD, bras armé du néocolonialisme, finance l’éducation au Sénégal, à hauteur de 25 millions d’euros au titre de prêt et de 10 millions de subvention. L’argent du néocolonialisme (qui passe aussi par l’éducation pour imposer ses visions) n’a pas d’odeur !

Depuis qu’il est président de l’Union africaine (dont 50 % du budget est financé par l’Europe et la Chine), le président Macky Sall a pris de la hauteur. Apôtre d’une agence de notation financière africaine, de la réallocation partielle des Droits de tirages spéciaux et de nouvelles conditions d’accès au crédit export : excusez du peu ! Seulement, que je sache, une charrette n’a jamais fait avancer des bœufs. C’est encore en Occident, comme à l’OCDE, le 8 juin 2022, où les initiatives d’un nouvel ordre mondial économique sont discutées. À défaut de lobbying structuré, l’Afrique ne peut être que dans une position de quémandeuse, de subalternité, de dépendance. Que de temps perdu alors que des États africains avaient pris les devants en fondant le nouvel ordre économique international dans les années 60 !

Le porte-parole de BBY s’est lamenté face au néocolonialisme mental dont souffriraient Olivier Faure et Jean-Luc Mélenchon. Là-encore, Pape Mahawa Diouf pourrait-il éclairer notre lanterne sur l’audience de Nicolas Sarkozy avec le président Macky Sall, à Dakar, le 2 juin ? En la présence du ministre des Finances, l’insulteur de la civilisation africaine, le théoricien de la France décomplexée, l’émissaire de l’Élysée (Depuis les épisodes du Mali et de la Guinée, Emmanuel Macron est traumatisé par l’Afrique) et l’affairiste Françafrique (multi-membres de conseil d’administration de multinationales) ont été reçus en grande pompe (il s’agit bien sûr d’un seul et même homme !). Il ne manquait plus que le cirage de ses pompes par un jeune de la place de l’indépendance ! C’est ce genre d’entrevue qui débouche sur les affaires Total-Thierno Alassane Sall (lanceur d’alerte). Plus important encore, cette audience venait entériner officiellement le protocole de Paris. Sur fond de conflits d’intérêt, Nicolas Sarkozy est devenu le conseiller spécial dans le maintien d’ordre de Macky Sall post-mars 2021 (avec une aide logistique sécuritaire). En retour, Nicolas Sarkozy a obtenu la garantie de la protection des biens français et la neutralisation d’Ousmane Sonko.  

Tartuferie, disions-nous en titre ! À l’époque de la présidence Sarkozyste, la mère de mes enfants, portrait-robot de Me Abdoulaye Wade, deux autres personnes et moi avions été conviés par la cellule africaine de l’Élysée à discuter d’un projet de Maison d’Afrique à Paris. Juste à côté, André Parant, conseiller de Nicolas Sarkozy pour les affaires africaines, gêné, recevait l’opposition sénégalaise de l’époque pour se défaire de Me Abdoualye Wade. Dès l’accession au pouvoir de Macky Sall, un accord de défense secret a été conclu entre la France et le Sénégal. Ce sont ces mêmes personnes qui aujourd’hui crient au loup du néocolonialisme !

Tartuferie, disions-nous en titre ! Lors des nombreuses modifications constitutionnelles, pourquoi le président Macky Sall n’a-t-il pas suivi la commission Mbow pour abroger toute référence néocoloniale dans la constitution de 2001, dont la référence à la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 ? Pourquoi en dénonçant le paternaliste Éric Zemmour par la voix de l’Ambassadeur du Sénégal en France, le président sénégalais n’a-t-il pas sanctionné le groupe Canal Plus dont la complicité est manifeste dans cette affaire-là ? De quoi a-t-il peur ?

Une opposition parlementaire d’un État étranger peut-il critiquer la démocratie sénégalaise ? Sans ambages, je répondrai par l’affirmatif, tout en respectant la souveraineté des États. Le débat (et donc subséquemment la critique) est consubstantiel à la démocratie. Cela en fait sa force, et je vous l’accorde sa faiblesse aussi. Pour le cas du Sénégal, il faut ajouter une autre raison. Le Sénégal a admis faire partie de la famille des démocraties libérales. Vous en doutez ? Le 9 et 10 novembre 2021, Macky Sall a accepté l’invitation au sommet virtuel pour la démocratie de Joe Biden. Ce sommet avait pour objectif de se singulariser des autocraties chinoise et russe. Macky Sall a donc choisi son camp pour le régime politique ! Pire, lors de la réunion du G7 de ce 28 juin, Joe Biden a promis un plan Marshall en faveur des démocraties africaines (Contre la Chine, jalousie maladive du président américain qui, par là-même, profite de l’Afrique pour relancer les économies occidentales et pour rejouer un remake de la guerre froide). Macky Sall a accepté le deal dès lors qu’Ursula Von Der Leyen, présidente de la Commission européenne, soutient : « Nous devons travailler côte à côte et montrer la puissance des investissements de développement lorsqu’ils reflètent les valeurs démocratiques et lorsqu’ils adoptent les normes les plus exigeantes pour l’environnement et les travailleurs. »

Cette déclaration européenne s’apparente à celle de la Baule de François Mitterrand. Il est donc légitime d’accepter les critiques d’où qu’elles viennent, y compris de l’extérieur. Désolé pour les membres de la coalition présidentielle si ces derniers sont atteints du syndrome de Stockholm et ne critiquent jamais Paris, à l’opposé du Mali qui a fait respecter sa souveraineté. Le président Macky Sall aurait pu opposer son véto à la Fondation démocratie soutenue par Achille Mbembé (protégé par le Sénégal), lors du dernier Sommet Afrique France, le 8 octobre 2021. Craignait-il de déplaire à Emmanuel Macron ? Libre à Aymérou Gningue, président du groupe parlementaire BBY, d’écrire au groupe amitié France Sénégal ! Continuez plutôt à faire danser la Première dame, Brigitte Macron, sous les airs de musique sénégalaise le 2 février 2018 à Dakar et le 21 juin 2022 à Paris, alors qu’en même temps vous embastilliez des prisonniers politiques. Vous excellez dans ce domaine. Le Tribunal de Dakar vient de relaxer plus de 79 personnes sur 80, justifiant notre inquiétude concernant la réalité du pacte de Paris et des rafles policières.

Lors de la dernière présidentielle en France, des intellectuels sénégalais, comme Souleymane Bachir Diagne, se sont « ingérés » (plutôt intéressés). Personne ne s’est émue de cette situation ! Pour ma part, en homme libre, je terminerai par ma critique sur la démocratie sénégalaise. Depuis longtemps, celle-ci a perdu de sa substance, sous l’effet de sa confiscation au peuple et de sa technicité. C’est la démocratie des dignitaires, des rentiers, de ceux qui tirent des revenus réguliers (et illégaux) de leurs activités politiques. Ils sont les meilleurs amis des multinationales et des paternalistes. Nous comprenons mieux pourquoi le Sénégal, sous l’ère de Macky Sall, s’est opposé au protocole additionnel de la CEDEAO sur la limitation à deux mandats. À ce petit jeu, l’état de droit sert les intérêts des dominants (interdiction des manifestations) ; la justice est elle-même prise en otage. Il est plus facile aujourd’hui de corrompre en toute impunité que de manifester librement dans les rues de Dakar. Il est plus facile aujourd’hui d’emprisonner des opposants que d’ouvrir des enquêtes sur des meurtres de manifestants et de militants de l’opposition.

Il y a des vérités que l’histoire ne saurait effacer. Le néocolonialisme, dont il n’est nullement question ici de nier l’existence, se trouve précisément du côté des gouvernants français et sénégalais, et en rien au niveau de leurs oppositions. Pour comprendre l’étendue du mal, rappelez-vous du Dessert Gate !

Emmanuel Desfourneaux de SenePlus

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