Impasse politique et crise socio-économique

par pierre Dieme

L’heure est grave !

Le constat est implacable. Le jeu politique n’a jamais été aussi bordélique et les perspectives aussi sombres. La faute à un Président qui promeut une démocratie d’exclusion (inéligibilité pour cause de déboires judiciaires, parrainage, invalidation de candidatures), à une institution judiciaire et une administration qui lui servent de bras armés, à une opposition débridée, désorganisée et peu solidaire, à une société civile moins crédible et à une presse bridée. Autant dire un cocktail explosif dont on peut s’attendre à la déflagration à tout moment.

Il faut se rendre à l’évidence et admettre que le Sénégal est semblable à un bateau ivre, voguant en eaux troubles, à la merci des vagues et susceptible de se fracasser contre les récifs. Inconscients, on en oublie que nous n’avons pas le gigantisme d’un bateau, encore moins sa solidité. Et que le Sénégal, comme son nom l’indique, repose sur un équilibre aussi fragile que celui d’une pirogue en pleine bourrasque.

On a beau filer la métaphore au point que l’image parait terrifiante, elle correspond tout de même à la situation que vit le pays. « Le poisson, dit-on, pourrit par la tête ». Et c’est justement de sa tête, autrement dit de son élite politique, que le Sénégal est d’abord malade.

Elu Président en 2012 parce que martyrisé par Wade – ce qui lui a valu l’empathie des Sénégalais et leurs suffrages – Macky Sall a manifestement oublié d’où il vient. Il martyrise à son tour ses opposants et promeut une démocratie d’exclusion, voire une démocrature.

Le code électoral a été expressément modifié pour rendre inéligible – et de manière indéterminée – tout opposant condamné à 5 ans de prison. C’est déjà le cas de Karim Wade et de Khalifa Sall et le spectre plane sur Barthélémy Dias avec l’affaire Ndiaga Diouf et Ousmane Sonko avec le dossier Sweet Beauty.

Naturellement, il n’ y a rien de plus révoltant pour un acteur politique que de le priver de la compétition électorale. Or, il en est ainsi de la modification du code électoral, tout comme du parrainage institué de façon unilatérale et appliquée avec une opacité telle que tous les recalés pensent l’avoir été injustement. La logique d’exclusion semble aussi avoir motivé toutes les invalidations de listes de candidatures auxquelles on a eu droit, aussi bien aux locales du 23 janvier (de la part des préfets) que pour les législatives de juillet prochain (avec la Direction générale des élections – DGE).

Dans ce processus, pour le moins critiquable, l’institution judiciaire et l’administration donnent l’impression d’être les bras armés de la majorité.

Comment pouvons-nous rester sourds à tous ces signaux inquiétants ?

Toutefois, quand bien même les complaintes de l’opposition semblent justifiées pour toutes ces raisons, elle n’est pas non plus exempte de reproches. Divisée, désorganisée et peu solidaire en son sein, elle facilite la tâche à Macky Sall qui n’a jamais caché sa volonté de la « réduire à sa plus simple expression ».

Dans ce contexte de méfiance et surtout de défiance, la société civile dont la médiation était tant souhaitée, semble totalement déboussolée, impuissante et même disqualifiée par certains acteurs qui doutent tantôt de sa crédibilité, tantôt de son impartialité. Quant à la presse, elle est globalement moins incisive et moins pressante qu’elle ne l’était sous les régimes de Diouf, puis de Wade.

Bref, de la justice à la presse, en passant par l’administration et la société civile, les remparts de la démocratie s’effilochent ou s’effondrent l’un après l’autre. Et c’est là que réside toute la gravité de l’instant que nous vivons au plan politique. Les acteurs sont à couteaux tirés sans qu’aucun rempart ne se dresse entre eux et qu’aucun régulateur social ne s’interfère pour éviter le pire.

Pendant ce temps, la crise socio-économique s’aggrave. Tour à tour, la pandémie de covid 19 et la guerre russo-ukrainienne ont fini d’installer la morosité. Le pouvoir d’achat se rétrécit. La pauvreté s’élargit. Les syndicats, toutes catégories professionnelles confondues, ne se mobilisent qu’autour de revendications corporatistes. Tandis que les centrales, bridées par l’autorité politique qui les subventionne à coup de centaines de millions, restent étonnamment apathiques face au renchérissement du coût de la vie.

Comment pouvons-nous rester sourds à tous ces signaux inquiétants qui nous viennent de Russie et d’Ukraine et qui impactent déjà notre quotidien. Pour preuve, la hausse du prix de l’essence après celle de pratiquement toutes les denrées. Réveillons-nous ! L’heure est grave !

Momar Diongue

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