La construction des bassins, le choix des infrastructures et les préalables aux travaux suscitent déjà une réticence. Le pompage est, encore pour cette année, la voie choisie.
Les pluies de l’hivernage 2020 ont causé d’importants dégâts à Keur Massar. Le 17 septembre 2020, le président de la République, Macky Sall, en visite dans la zone, a annoncé un Plan d’urgence. Il est initié dans le cadre du Programme d’urgence de gestion des eaux pluviales (PROGEP). D’un montant de 15 milliards FCFA, entièrement financé par l’Etat, il prévoyait la construction de canalisations dans les zones impactées mais aussi des bassins dans la forêt de Mbao. A quelques semaines de la saison des pluies de 2021, le ministre des Collectivités territoriales, du Développement et de l’Aménagement du territoire, Oumar Guèye, par ailleurs porte-parole du gouvernement, après plusieurs va-et-vient à Keur Massar, a vanté les mérites du dispositif mis en place soulignant que les inondations seront un vieux souvenir pour les populations. Hélas, dans la nuit du samedi 14 au dimanche 15 août 2021, de fortes pluies enregistrées à Dakar ont fait patauger Keur Massar à nouveau. Suffisant pour les autorités de se rendre compte que les résultats ne sont pas ce qui était attendu. Une réunion d’urgence est convoquée autour du ministre de l’Intérieur, en charge de la Sécurité publique, Antoine Félix Abdoulaye Diome, dimanche 22 août 2021. Les différentes allocutions montrent des manquements dans l’exécution des travaux ; le canal de Camille Basse, point important dans le dispositif, n’est pas raccordé. Alors que l’hivernage s’installe, ce raccordement est fait. D’où l’espoir à Camille Basse. En revanche, ailleurs, comme dans les Parcelles Assainies et au quartier Mame Abdou Aziz, les populations vivent avec la peur. L’Agence de développement municipal (ADM) annonce le démarrage d’un projet de construction de bassins qui seront reliés au Lac de Mbeubeuss ; mais ce n’est pas pour cet hivernage 2022. Son coût estimé est de 11 milliards FCFA. La construction des bassins, le choix des infrastructures et les préalables aux travaux suscitent déjà une réticence. Le pompage est, encore pour cette année, la voie choisie.
KEUR MASSAR : Quitter pour fuir les eaux
Au quartier Mame Abdou Aziz, non loin de la cité Camille Basse, devenue tristement célèbre ces dernières année parce qu’étant l’épicentre des inondations à Keur Massar, Maïmouna vit dans une maison qui fait face à un bassin de rétention. La présence des typhas est permanente, à cause de l’humidité du sol.
Pour arriver à sa maison, il faut passer par un jalonnement des briques humides. Maïmouna, trouvée dans la journée du 13 mars chez elle, s’est résignée, malgré le quotidien qui l’accable. «Nous vivons en permanence avec les moustiques. Je pense à la pluie car, je suis sûre que je vais quitter ma maison pour aller me refugier quelque part. Avec les difficultés du quotidien, on ne peut pas, après avoir construit nos maisons, les abandonner et vivre en location». Et pourtant, c’est une routine de quitter sa maison à chaque hivernage. «L’année dernière, à cause de la présence de l’eau, ma famille et moi vivions dans une seule pièce que j’ai construite sur la terrasse. Mais finalement, j’étais obligée de me rabattre sur mes voisins. J’ai perdu tout mon mobilier de maisons», tonne-t-elle. Les investissements annoncés pour la réalisation d’infrastructures de drainage, elle n’y croit pas. «Quand j’entends les autorités, à la télé, dire que la situation est sous contrôle à Keur Massar, je n’en reviens pas. Les milliards qu’elles évoquent dans les medias me font tiquer».
Au quartier Dabakh Malick, les réceptacles des eaux ne sont pas pris en compte par les travaux de la phase d’urgence qui ont été entamés, sur ordre du président de la République, Macky Sall, suite aux inondations de2020.Sokhna Mbaye, trouvée assis devant sa boutique de produits cosmétiques, a déménagé de son habitation à cause des eaux de pluie. «Notre maison est toujours envahie. Les fosses septiques sont toujours pleines. Quand nous acquérions le terrain, la situation n’était pas comme elle l’est actuellement. Nous avons abandonné la maison et vivons en location», dit-elle ; et c’était au mois de mars, en pleine saison sèche. Pour Nourou Niang, les autorités ne se sont jamais souciées de ce bassin.
D’après lui, aucun dispositif de pompage n’y a été mis en place, à part celui des populations. Le directeur de l’Agence de développement municipal (ADM), Cheikh Issa Sall, dont la structure assure la coordination des travaux, a dit n’avoir pas connu l’existence du bassin, si l’on en croit Nourou Niang. Le ministre des Collectivités territoriales, du Développement et de l’Aménagement des territoires, Oumar Gueye y est venu, dit-il, a fait un inventaire des besoins, sans qu’aucune action concrète ne soit posée. Cette psychose est aussi perceptible dans plusieurs autres quartiers comme les Parcelles Assainies. Bref, dans de nombreux quartiers de Keur Massar, c’est la hantise des inondations. Ceux-là qui se disent mis à l’écart de la phase d’urgence du PROGEP, à l’image de Mame Abdou Aziz, craignent l’arrivée de la pluie. L’heure est à la recherche du point de chute, comme chaque année.
LUTTE CONTRE LES INONDATIONS : Pas de risque zéro
Lors du Comité régional de développement (CRD) sur les inondations tenu à la Chambre de commerce d’industrie et d’agriculture (CCIA) de Dakar, le 20 avril2022, devant le gouverneur de la région de Dakar, Al Hassane Sall, le préfet de Keur Massar, Sahite Fall, a soulevé ses inquiétudes. Il avait évoqué «une extrême urgence», déplorant notamment le fait que les bassins de rétention soient remplis de typhas. Pis Sahite Fall avait aussi déploré la présence de l’eau dans le marigot de Mbao.
Le préfet de Keur Massar a fustigé également le manque de coordination des activités du programme de la phase d’urgence. Dans le département, le curage des canaux fait défaut. Ils sont remplis de déchets ménagers ; ce qui peut impacter négativement, selon le préfet, le réseau de drainage des eaux pluviales. Une situation que nous avons constatée au point de collecte principal de Camille Basse, lors d’une visite le 21 mai2022. Le canal est rempli de bouteille en plastique et d’autres déchets solides ménagers.
Pour cette année, la position du ministre Oumar Gueye n’a pas été ce qu’elle fût l’année passée, «l’optimisme», quand il disait qu’on ne verra pas de pirogue à Keur Massar, se fiant ainsi sans réserve au dispositif mise en place. Cette année, même si l’espérance est grande, il y va avec prudence. «Si on prend en compte ce qui est en train d’être fait à Keur Massar à l’heure actuelle, ajouté à ce qui a été fait, normalement la situation va s’améliorer. Mais c’est en fonction des quantités de pluies reçues. Il faut toujours se dire : ‘’si on reçoit 1000 m3 de pluie, alors là, il n’y a pas un seul ouvrage qui va tenir’’.
C’est clair. Je vous ramène à ce qui se passe un peu partout dans le monde, même dans les pays développés qui ont beaucoup plus de ressources que nous. Dans les conditions normales il y aura de l’amélioration ; mais, si les conditions dépassent celles que nous avions l’habitude de vivre, nous pouvons avoir des situations difficiles». Il a fait cette déclaration lors de la rencontre Gouvernement face à la presse du 28 avril 2022. Dans la foulée, il avait également annoncé l’acquisition d’importants outils qui serviront au pompage des eaux.
OUVRAGES DE DRAINAGE DES EAUX DE PLUIE : 11 milliards pour les quartiers non desservis par la phase d’urgence
Les quartiers laissés en rade dans la phase d’urgence du PROGEP, comme les Parcelles Assainies (PA), seront pris en compte par un autre programme qui sera initié dans le cadre du Projet de gestion intégré des inondations (PROGEP).
Le projet est en cours. Selon l’expert hydraulicien de l’Agence de développement municipal (ADM) et responsable du suivi des réalisations à Keur Massar, Aly Tounkoura, il est prévu la réalisation d’infrastructures qui seront reliés au lac de Mbeubeuss. «Nous allons démarrer bientôt un programme de réalisation d’infrastructures. Nous avons déjà un marché signé de 11 milliards FCFA pour débuter les travaux sur le bassin versant de Mbeubeuss qui va beaucoup impacter la zone, des Unités 14 de Keur Massar jusqu’au niveau de basin de Mtoa». Par ailleurs, poursuit-il, «nous allons incessamment démarrer les travaux. Mais nous avons anticipé sur les études d’exécution», annonce-t-il.
L’assainissement des PA devrait être fait par la société qui les a délivrées. «Les Parcelles Assainies de Keur Massar ont été réalisées par la SN-HLM ; donc c’était de leur responsabilité de mettre les infrastructures qu’il fallait. Cela n’étant pas fait, aujourd’hui, l’Etat est en train de corriger l’erreur à travers le PROGEP 2 qui va impacter essentiellement le département de Keur Massar», dit Aly Tounkoura. Les entraves de l’année dernière qui, selon les autorités, étaient à l’origine des désagréments, sont levées. Il s’agit du de la jonction reliant Camille Basse à l’Unité 3, point névralgique des inondations dans la zone. «Le raccordement du canal de Camille Basse a été fait à la date du 31 mars 2022. Avec une partie de transit de 22.000 m3/h. Pour faire simple, c’est l’équivalent de 22 pompes de 1000 m3/h». La réalisation de cette infrastructure permet aux autorités en charge de la lutte contre les inondations de se projeter sur d’autres quartiers, soutient Aly Tounkoura. «Cette année, nous allons nous attaquer aux quartiers de Sotrac et d’Aladji Pathé. Puisque que nous sommes beaucoup plus à l’aise, en aval. On est suffisamment à l’aise sur tout ce qui est sur la route de Jaxaay, jusqu’au marigot de Mbao».
UN LOT D’INFRASTRUCTURES ANNONCE, 251 BIENS A DEGUERPIR
Le jeudi 3 février 2022, une réunion a été tenue au nouveau lycée de Mtoa de la commune de Keur Massar. Elle a réuni délégués de quartiers, impactés et agents de l’Agence de développement municipal (ADM). Ce qui est expliqué aux populations est la construction d’un réseau de drainage des eaux de la zone qui est inondable. Il s’agit de la construction de bassins de rétention et d’autres travaux de connexion dans les quartiers Médinatou Salam, Montagne III, Daaray Kamil, Hamdalaye, Médinatou Rassoul, Sant-Yalla et aux Parcelles Assainies, entre les Unités 6 à 13, mais aussi aux Unités 11 et 3. Pour cela, soutiennent les agents de l’ADM, les occupants des périmètres sur lesquels seront réalisés les bassins seront déguerpis. Le recensement a été fait, grâce à l’implication des chefs de quartiers et des agents sur le terrain, ont annoncé les représentants de l’ADM. Il n’en est aucunement le cas, selon des délégués de quartiers qui ont pris la parole ce jour. Les préjudices estimés peuvent aller bien au-delà du recensement, avaient-ils trouvé. L’Agence de développement municipal informe, pour ce que faire, que des déguerpissements auront lieu. Et pour l’instant, 251 biens seront touchés. Ce sont des maisons, 51 places d’affaires, 200 terrains nus et maisons. 51 des places d’affaires et 75 biens seront forcément délogés parce qu’impactés par le projet, ont aussi signalé les agents de l’ADM.
LE DEGUERPISSEMENT NON APPRECIE, LA DEMARCHE JUGEE PEU INCLUSIVE
Pour la réalisation du bassin de l’Unité 3 et que les populations rencontrées considèrent ne pas être pas la meilleure solution, il faut qu’une partie du terrain de football soit pris aux jeunes. Ça ne sera pas le cas, dit l’un d’eux rencontré lors de la visite du jeudi 17 mars. «Nous ne sommes pas prêts à céder le terrain qui est le seul lieu de loisir que nous avons. Et le terrain est la seule place où les CEM font leur éducation physique», a soutenu l’un d’eux. Des maisons sont sommées de quitter. Mère Cissé est une retraitée qui a sa maison au quartier Mame Abdou. Quitter sa maison n’est pas envisageable, pour elle, à moins que cela ne soit la solution extrême. «Ce qui me fait mal est qu’on risque de reprendre à zéro. J’ai été informée brusquement par un agent qui m’a dit qu’on va nous déguerpir. Je lui ai manifesté mon désaccord. J’ai investi toutes mes économies dans cette maison et je suis à la retraite. Je suis mère de famille. Je veux rester chez moi. Le cas contraire, et si c’est une obligation, je serai obligée de me plier à la décision de l’autorité. J’ai suspendu toutes les extensions que j’avais commencées». Elle soutient, par ailleurs, qu’elle n’a été prévenue que par l’équipe d’une entreprise qui faisait des marques (identifications) sur ses murs. Même son de cloche chez Diallo. «J’attends de voir ce que cela va donner. On m’a dit que je suis concerné ; mais je n’ai pas encore les détails. De toute façon, j’aurai aimé rester chez moi que d’aller voir ailleurs», dit-il.
La construction de bassins de rétention à Keur Massar ne peut être une bonne solution. «Ce qui pose problème est la création annoncée des bassins dans les Parcelles Assainies, comme à l’Unité 9 et 3. Dans les plans des Parcelles Assainies, on n’a jamais vu des places réservées à la construction de bassins. C’est nouveau et c’est en déphasage avec le contrat signé avec la SN-HLM», trouve El Hadji Daouda Mbaye, délégué de quartier de l’Unité 3. Pis, ajoute-t-il, la démarche n’a pas été inclusive, des habitants ont été mis devant le fait accompli. Il partage cette position avec d’autres délégués de quartiers. Lors de la réunion du 2 février 2022, Modou Mbengue, délégué de quartier Daaray Kamil, a jugé que l’implication des populations n’a pas eu lieu et que le recensement des impactés fait dans son quartier n’a pas été exhaustif. Le délégué de quartier de l’Unité 14 a qualifié de faible l’implication de ses pairs, en soutenant que toutes les décisions devraient être prises en leur présence. Alioune Ndiaye, délégué de quartier de Montagne 2 a dit qu’il s’est réveillé et a vu des machines à l’œuvre, sans qu’il ne soit informé au préalable.