Il faut plus de rigoureux et de sérieux pour ce pays si nous voulons le placer un jour sur la rampe de l’émergence. Le pire guette une société qui s’en remet à la fatalité.
Des milliers de morts sur nos routes ! Des éclopés à vie pour faits d’agressions ou d’accidents de la route ! Des décès à la pelle dans nos hôpitaux pour négligences coupables ! Des meurtres exécutés de sang froid pour des peccadilles dans nos rues et quartiers !
Ce tableau apocalyptique est loin de camper, dans toutes ses facettes, les dures réalités auxquelles les populations sont confrontées. Il est vrai que la mort est présente sous tous les cieux. Elle peut frapper indistinctement et à tout moment. Aucun groupe ou classe sociale n’est épargné par le phénomène de la mort. Constat d’évidence, me direz-vous ! Exact !
Alors, faut-il en rester au constat ? Non ! Pourquoi la distribution de la mort entre les continents se fait-elle de manière si inégalitaire ? Pourquoi la mort frappe-t-elle d’une manière si terrifiante les populations africaines ? Et elles seulement ! L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) renseigne qu’ « avec 2 % du parc automobile mondial, l’Afrique a enregistré 24,1 % des victimes de la route en 2016. »
Cette hécatombe qui frappe le continent africain, disproportionnée par rapport au réseau routier comme au nombre de voitures en circulation, m’amène à poser cette question aux partisans chevronnés du « tout Ndogallu Yala » : le Dieu qu’ils invoquent et célèbrent à tout bout de champ serait-il à ce point si injuste pour ne tuer que les Africains ? Et en masse !
Mais là il sera peut-être difficile de trouver une personne sensée pour expliquer ce déséquilibre en notre défaveur en convoquant le « Ndogallu Yala ». Le faire, c’est prendre Dieu pour un partisan qui prend fait et cause pour les autres. Tout cela pour dire, à mon humble avis, que le « Ndogallu Yala » est une construction sociétale ne reposant sur aucune base scientifique sérieuse ni même …religieuse. Au fait, qu’est-ce que le « Ndogallu Yala » ? La croyance au destin est une chose répandue.
De tout temps, l’homme a essayé de comprendre les mystères de la vie et de découvrir une logique dans la succession des événements. Le destin est l’une des notions religieuses les plus anciennes et les plus répandues. François Jouan, directeur du Centre de recherches mythologiques de l’université de Paris X, écrit : “ Il n’y a pas d’âge, pas de civilisation qui n’ait eu foi en des divinités maîtresses du destin des mortels et qui n’ait imaginé des mythes pour expliquer tout ce qui est inexplicable dans notre existence. ” C’est pourquoi on entend couramment des personnes dire : “ Ce n’était pas son heure ”, ou “ On n’échappe pas à son destin. ” Mais qu’est-ce que le destin ?
Pour, Alain Pascal Kaly, Dr en Sociologie, Professor Universidade Federal Rural de Rio de Janeiro. UFR : « Dans le terme « Ndogallu », nous avons deux verbes wolof. L’un qui est « dog » signifie couper et l’autre « ndogal » correspond à décider, à trancher.
Ainsi, l’expression « Ndogallu yàlla » renvoie au décret divin, c’est-à-dire une décision prise d’avance par Dieu et en vertu de laquelle quoi que nous fassions, nous ne pourrons empêcher qu’elle se concrétise. Dans ces conditions, tout ce qui arrive est nécessaire et nous sommes convaincus que nos actes positifs ou néfastes sont l’expression de forces transcendantes. »
Cette définition répond parfaitement à mes préoccupations. J’ajouterai seulement que le « Ndogallu Yala » est un système de pensée que l’on convoque pour interpréter la réalité « faussement » en faisant appel le plus souvent au décret divin. Cette conception fortement erronée du « Ndogallu Yala » cause énormément de torts à notre société.
En déresponsabilisant et en mettant tout sur le compte de Dieu, on finit malheureusement par installer la société dans une chienlit aux conséquences désastreuses. Suivez mon regard ! Ces bébés morts à Tivaouane dans des conditions atroces, on pouvait bel et bien éviter ce drame si des mesures idoines avaient été prises. A temps !
Mais comme toujours on fait dans le laxisme…criminel jusqu’à ce mort d’homme s’ensuive ! Ici, c’est malheureux, on attend que la catastrophe arrive pour déverser un tombereau de larmes tout en surfant dans l’émotion avec le recours systématique et sans gêne au fameux « Ndogallu Yala ». Il faut qu’on soit plus rigoureux et plus sérieux dans ce pays si nous voulons le placer un jour sur la rampe de l’émergence. Car, cette conception rétrograde et anti-progrès que nous avons du « Ndogallu Yala » ne nous mènera in fine que vers la déchéance morale et matérielle.
Toutes les nations sérieuses qui caracolent vers le sommet du développement ont rompu depuis des lustres et définitivement avec cette intellection qui veut qu’il y ait un programmeur céleste qui règle la vie dans ses moindres détails. En vérité, aucune nation au monde ne peut puiser sa grandeur dans des faits et gestes aux antipodes de toute rationalité. Un coup d’œil sur nos comportements et attitudes à tous les niveaux révèle que tout dans nos manières de faire et de voir laisse suinter le fatalisme, l’injustice, le parti-pris, la désinvolture et l’indiscipline. Il est permis de se demander, au vu de tout ce qui précède, si nous pouvons espérer un jour nous en sortir avec ce fond culturel mâtiné à la sauce magico-religieuse et qui veut qu’on rapporte tout à un destin immuable ?
Pour trouver réponse à ce questionnement, j’ai jugé utile de recueillir l’avis de quelques spécialistes des questions religieuses. Pour Cheikh Ousmane Diop (COD), islamologue et guide religieux de son état « notre conception du « Ndogallu Yala » heurte le bon sens et n’est nullement compatible avec les exigences du développement. Nous ne sommes pas entreprenants et aimons la facilité ! Un homme qui baisse les bras ne doit s’en prendre qu’à lui-même et pas à Dieu. Le fatalisme est la porte ouverte à l’insouciance, à la paresse, à l’irresponsabilité. La façon dont nous interprétons le « Ndogallu Yala » n’est pas porteuse de développement. Au contraire !
De l’indépendance à nos jours, le Sénégal n’a pas avancé mais il a reculé. La preuve de ce recul, c’est la dégradation continue et accélérée des mœurs. Le colon qui était là, bien que n’ayant pas les mêmes croyances que nous, se gardait de cracher ou d’uriner dans la rue, de faire main basse sur l’argent de la collectivité. Toutes les belles dispositions morales qui faisaient notre force, nous les avons abandonnées au profit d’antivaleurs qui nous tirent vers le bas.
Et pour justifier notre descente aux enfers, on convoque avec la désinvolture qui nous caractérise le « fameux Ndogallu Yala ». Ces propos fort justes de Cheikh Ousmane Diop ne déparent pas avec ceux de Oustaz Mor Thiam de la RFM : « Su Yala amone bajèn, bajèn bi dina xulo ba tayi ndax, linuy ték ci ndodam » ; autrement dit : « Si Dieu avait une marraine, celle-ci passerait tout son temps à le défendre au motif qu’on l’accuse de tout ».
Poursuivant sa réflexion, OMT renseigne que le décret divin, version sénégalaise, n’est que de l’indiscipline caractérisée, pas autre chose. Selon lui, les gens fonctionnent dans ce pays sur le registre de « matay » i.e. du « je m’en foutisme ». Vous circulez en pleine chaussée, une voiture vous heurte et on invoque sans discernement la dictature du destin. Ce n’est pas sérieux ! »
Allant dans le même sens que son collègue OMT, le prédicateur Ibrahima Badiane, plus connu sous le sobriquet d’Iran Ndao dit à peu près la même chose : « Ce que l’on appelle le destin préétabli c’est-à-dire cette force aveugle qui dirigerait nos vies comme bon lui semble, ne résiste pas à une analyse sérieuse. Ce qui se passe chez nous, ne peut être assimilé qu’à de l’indiscipline. C’est tout ! »
Continuant sa démonstration, il fait appel à un écrit de Serigne Touba pour mieux conforter sa thèse : « Quiconque fait tout ce que bon lui semble, croisera inéluctablement sur son chemin quelque chose qui va lui déplaire. » Ces différents éclairages qui portent la signature d’éminents islamologues montrent, si besoin en était, que la lecture que nous avons du « Ndogallu Yala » n’est pas la bonne et qu’il y a urgence de refonder notre rapport à lui pour le coller aux exigences d’un monde en perpétuel changement. Ecoutons à ce sujet, Mbaye Sy Abdou (Ndiol Fouta), cité dans un commentaire par Amadoo Bator Dieng dans le Net : « Acheter un bateau de 500 places déf ci 2000 personnes Bu souxé yoonu Yàlla nékouci » ». Voilà qui est clair et bien dit !
Compte tenu de tout ce qui précède, il y a nécessité vitale pour nous de faire le choix décisif, que dis-je, le choix rédempteur, face à une alternative implacable: suivre la pente de la facilité comme nous l’avons fait jusqu’ici et nous enfoncer ad vitam aeternam dans la médiocrité, ou rompre définitivement avec les croyances fatalistes pour nous arrimer sur la voie du progrès. A nous de choisir. Se défausser sans cesse sur la volonté divine, c’est abdiquer par rapport à ses propres responsabilités, ce qui signifie voie ouverte à l’inertie et moyen de justifier sa propre apathie. Un système de pensée qui estime que ni l’intelligence ni la volonté humaine ne peuvent modifier le cours des événements, autrement dit supposerait l’inutilité de l’effort, est une fuite en avant aux conséquences catastrophiques. Le pire guette une société qui se laisse aller et s’en remet à la fatalité.
Madi Waké TOURE