Les plages de la mort

par pierre Dieme

A cette période de l’année, des cas de noyade sont souvent signalés au niveau des plages. Par mesure de prévention, il faut anticiper pour éviter de jouer ‘’le médecin après la mort’’.

A cette période de l’année, des cas de noyade sont souvent signalés au niveau des plages. Par mesure de prévention, il faut anticiper pour éviter de jouer ‘’le médecin après la mort’’. Ainsi, des témoins et connaisseurs en la question se sont prononcés afin d’alerter sur cette situation qui a repris de plus belle.

« Un homme averti en vaut deux », dit l’adage. Alors que la chaleur s’installe petit à petit, les plages commencent à grouiller de monde. Les pensées vont à l’endroit des séries de noyades enregistrées chaque année. En ce milieu du jour, le soleil darde ses rayons sur les petites vagues qui déferlent sur la plage de Mbatal, quartier à Thiaroye-Azur. A quelques mètres des eaux, s’établit une maison. Une dame d’un âge relativement avancé, fait le linge, à l’abri, sous une petite tente. Son nom, Olimata Diédhiou. Elle ne cache pas son inquiétude face à l’affluence des jeunes sur la plage. « L’arrivée de la chaleur nous jette dans une grande angoisse. Présentement, certains élèves ont fini leurs épreuves et les examens approchent. Comme d’habitude, ils préfèrent venir à la plage pour se relaxer. Ce qui ne manque toujours pas de conséquences regrettables. Je demande ainsi, solennellement, aux parents de bien surveiller les enfants ».
Loin de s’arrêter là, Olimata en appelle à la responsabilité des autorités administratives. Par ailleurs, relai en santé communautaire, elle estime que la mairie doit intervenir le plutôt possible, pour parer à toute éventualité. Pour elle, le maire de la commune doit mobiliser suffisamment de maîtres-nageurs qui pourraient assister les victimes.

Sans langue de bois, Awa Sonko tire sur ses camarades. Son regard innocent et sa voix tremblotante n’entravent en rien sa prise de position courageuse. « Les élèves aiment trop les plages. Ils n’ont vraiment pas fait le bon choix. A la fin du cours, au lieu de rentrer à la maison, ils viennent pour la baignade et y font du n’importe quoi d’ailleurs ». Même si elle avoue se baigner parfois le dimanche, avec toutes les précautions, l’élève en classe de 5e au Cem de Thiaroye-Azur déclare qu’il y a souvent même des cas de viol sur ces plages.
A l’eau pour profiter de la fraîcheur
En tenu de plage, Seynabou Kouyaté est toute joyeuse de se jeter à l’eau, en témoignent son sourire et le charme dans ses propos. De petite taille, elle est entourée de ses camarades, téléphone à la main, dansant parfois au rythme de la musique. « Je vais bientôt entrer dans l’eau pour me baigner. Il fait très chaud » dit-elle. Selon la collégienne de 18 ans : « C’est bien de se baigner, mais il faut faire attention pour les jeudis et les vendredis où la vague est plus dangereuse. Durant ces deux jours, on ne doit pas aller loin dans l’eau. Pour les autres jours, il y a moins de risque. On peut se baigner comme on veut ».
Sokhna Guèye, une autre collégienne en classe de 6e trouvée sur les lieux, semble être plus prudente. Elle vient à la plage pour profiter de la fraîcheur de l’eau. Toutefois, avec beaucoup de précautions. « Pour la baignade, je viens avec ma sœur. Nous restons juste aux abords de la plage. Et c’est le dimanche seulement. Pour les autres jours, si on n’a pas cours, on aide maman à la maison ».

A grandes enjambées, le jeune Adama Diouf s’efforce de sortir du sable dense qui retient ses pas et le ralentit. Le jeune homme âgé de dix-huit ans déclare avoir sauvé un jour, un homme qui était en train de se noyer. D’après lui, l’homme en question tenait dans ses bras un bidon pour pouvoir flotter sur l’eau. Mais, il commençait à lâcher sous le coup de la fatigue. Et c’est en ce moment qu’il est intervenu avec ses amis, par la nage pour le sortir de l’eau.

« Il faut déclarer interdite cette plage »

Sur une petite pirogue immobilisée sur la terre ferme, deux hommes apparemment âgés sont en pleine discussion. L’un d’eux s’appelle Ibrahima Bâ, délégué de quartier de Mbatal 1. Elancé, c’est un homme préoccupé par la situation des plages. Il est catégorique dans ses dires : interdire la plage. « Chaque année, il y a énormément de cas de noyade ici. Il n’y a aucune sécurité. Malheureusement, c’est difficile pour les parents de retenir les enfants. Ces derniers partent pour la plupart à leur insu. La seule solution urgente est d’interdire cette plage », laisse-t-il entendre.
Dans ses explications, le sexagénaire s’indigne de l’indifférence des autorités locales de la zone. Précisément le maire « qui est resté les bras croisés », malgré les différentes réclamations. Il explique qu’il y a parfois même des cadavres de personnes qui sont rejetés sur la plage par les vagues.
Pour lui, les solutions sont nombreuses. Au-delà d’augmenter le nombre de maîtres-nageurs, M. Bâ pense que l’Etat doit se rapprocher et discuter avec les pêcheurs, lesquels connaissent mieux la mer. A l’en croire, il faut inclure ces derniers dans la surveillance, en leur demandant de se disperser à l’aide des pirogues à travers les différentes plages.

Des souvenirs tristes !

Au téléphone, Thierno Niang revient sur quelques moments douloureux vécus dans ses exercices. Surnommé « Gaucher », l’homme de 52 ans se livre : « Un jour, aux environs de 15h, j’ai vu deux jeunes dans l’eau. Chacun tenait un bidon qui lui servait de bouée. Je suis entré dans la station d’essence qui fait face à la mer. Et subitement, en sortant, je ne les voyais plus, sauf les bidons. Je me suis automatiquement jeté à l’eau. J’ai utilisé toutes mes forces et fais de mon mieux pour les sauver. Heureusement que je l’ai réussi. Je les ai sortis vivants, mais ils avaient bu beaucoup d’eau ».

Dans le métier depuis plus de trente ans, M. Niang a assisté à plusieurs scènes de la sorte. Un cas l’attriste souvent : « Un autre jour, pendant qu’on tenait une réunion, un homme est venu nous informer de la noyade d’un jeune garçon. Mais l’information nous est parvenue très tardivement. Personne ne savait dans quelle situation pouvait se trouver le jeune homme. Du haut de la porte de la station, j’ai aperçu quelque chose qui flottait dans l’eau. Malheureusement, c’était le corps sans vie de la victime », raconte-t-il.
Le maître-nageur fait même savoir qu’il est obligé d’être prêt à chaque instant. D’ailleurs, au cours de ses différentes expériences, il a eu à sauver des personnes de la noyade en pleine nuit. Des souvenirs, il en a pleins. Certains le rendent triste.

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