L’Afrique centrale est une zone avec de grands gaps en matière de démocratie. La pérennisation au pouvoir est l’une des « qualités » phares de ses présidents qui n’hésitent pas à modifier la Constitution pour assouvir leur soif de pouvoir.
Le mode de gouvernance dans bien des pays d’Afrique centrale est souvent contradictoire avec les principes démocratiques prônés en Afrique et dans le monde. Cela s’illustre par l’immobilisme au pouvoir des chefs d’Etat (Congo Brazzaville, Cameroun, Gabon, Guinée équatoriale), l’autoritarisme, les élections controversées suivies de protestations et quelquefois même des coups d’Etat (Tchad). En effet, la conformité des législations dans ces pays avec les normes démocratiques n’empêche pas la violation de la Constitution ainsi qu’une forte réduction de la liberté d’expression. Il s’y ajoute les instabilités politiques occasionnant des morts et des déplacés, l’extrême pauvreté et l’analphabétisme grandissant. Le professeur Moussa Diaw, enseignant chercheur en science politique à l’UGB, revient avec Sud Quotidien sur cette thématique préoccupante, en faisant un rapprochement entre la situation dans cette zone et celle dans le reste de l’Afrique.
L’Afrique centrale est une zone avec de grands gaps en matière de démocratie. La pérennisation au pouvoir est l’une des « qualités » phares de ses présidents qui n’hésitent pas à modifier la Constitution pour assouvir leur soif de pouvoir.
A l’instar du président Paul Biya du Cameroun, au pouvoir depuis 1982 (40 ans), Théodorin Obiang N’Guema Mbasogo de la Guinée équatoriale à la tête du pays depuis 1979 (43 ans), Denis Sassou Nguesso (Congo Brazzaville) 23 ans plus l’époque où le pays était encore une république populaire. Quid de feu Idriss Deby Ino (Tchad) qui a été chef de l’Etat au Tchad de 1990 jusqu’à sa mort en 2021, de l’ex-président angolais, José Eduardo dos Santos, qui a également passé 29 ans de sa vie à gouverner le pays. De plus, cette région de l’Afrique est marquée par des instabilités politiques qui ont été ou continuent d’être à l’origine de nombreuses maux dont souffrent les populations. Comme l’atteste Jacqueline Damon dans son œuvre Afrique contemporaine, la plupart des Etats d’Afrique centrale ont en commun d’avoir connu des conflits violents au cours de la dernière décennie : guerre civile en Angola, au Burundi, au Rwanda dont le génocide de 1994 marque le paroxysme, au Congo Brazzaville et au Congo Zaïre, en Ouganda et en Centrafrique… Ces conflits ont fait des milliers de morts et obligé les autochtones à chercher refuge dans les pays limitrophes. D’ailleurs, les coups d’Etat militaires ne sont pas d’une si grande rareté dans la zone. Pis, les dizaines de morts et les centaines d’arrestations lors des protestations populaires n’ont pas suffi pour amener les autorités dites de transition à transférer le pouvoir aux civils.
SYSTÈME AUTORITAIRE, GESTION NÉO-PATRIMONIALE, ACCAPAREMENT DES LEVIERS DE PRISE DE DÉCISION…
Selon le professeur Moussa Diaw de l’UGB, les violations des règles démocratiques s’expliquent par l’instauration d’un système autoritaire qui se nourrit d’une gestion néo-patrimoniale des ressources publiques. Ensuite, dit-il, il y a l’accaparement des tous les leviers de prise de décision par le truchement du clan, de la famille ou de l’ethnie.
Par conséquent, les ressources du pays sont entre les mains d’une caste privilégiée laissant la majorité des populations dans la pauvreté et la misère. Interpellé sur les principes républicains de séparation des pouvoirs, il dira que ceci est quasi-inexistant dans les pays d’Afrique centrale. « Il est évident que la séparation des pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif est quasiment inexistante. Tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains de l’exécutif. Les libertés sont restreintes, les leaders de l’opposition sont traqués et il y manque le débat contradictoire dans un espace public ouvert. L’activité politique est dominée par le parti au pouvoir qui règne en maitre absolu dans le paysage politique confisqué de manière autoritaire», a-t-il expliqué.
DES RÉGIMES IMMOBILES SUSCITANT LA RÉVOLTE POPULAIRE
« Ces régimes sont immobiles car ils ne sont pas fondés sur des principes et règles démocratiques », a-t-il fait savoir par ailleurs.
Et de poursuivre : « Les pouvoirs se sont installés par l’usage de la force sans respecter la libre participation des leaders politiques de l’opposition aux différentes compétitions électorales. Il y a une confiscation du pouvoir par un groupe qui impose sa volonté de rester durablement aux instances de décision. Ensuite, il s’ensuit un mécanisme de verrouillage et de contrôle qui ne permet en aucun cas une alternance démocratique au pouvoir ».
A propos de la révolte sonnée par les populations dans certains de ces pays, il dira qu’ « il y a une émergence des mouvements de contestation qui ne supportent plus le maintien de ces types de pouvoirs qui vivent sur le dos des populations. Ces dernières se soulèvent parce qu’elles sont lasses de souffrir de la pauvreté, de la misère et d’absence de liberté et la mal gouvernance et surtout de la répression endémique ». Ainsi, il prendra soin de dire, avant de conclure, que l’Afrique centrale est à l’image du reste de l’Afrique (Ouest, Est, Nord, Sud). Partout, « nous avons les mêmes régimes qui survivent grâce à des mécanismes décrites plus haut ».
De ce fait, la démocratie ne saurait être pleinement appliquée s’il y a « l’accaparement des pouvoirs, le tripatouillage des Constitutions, la personnalisation du pouvoir, la réduction drastique des libertés, la pourchasse des opposants, le truquage des élections et le refus de toute perspective d’alternance politique. Comme d’ailleurs la fréquence des coups d’Etat militaires renforçant les régimes politiques autoritaires ou d’exception», a-t-il martelé.
KHADIDIATOU MENDY