Le harcèlement de rue, un sujet peu abordé dans les arts et dans l’actualité du pays, au détriment de milliers de femmes, on en parle grâce à l’exposition de Sophie Le Hire. «Territoires», traduit en wolof par Barab yi,
L’exposition «Territoires», ouverte mardi à Dakar, sensibilise et questionne, à travers des images et scénographies, le rapport entre l’être humain et son environnement, dans une dimension à la fois sociale, psychique et spirituelle. Ce projet d’exposition artistique et de laboratoire de recherche autour du harcèlement de rue à Dakar, imaginé et porté par Sophie Le Hire, artiste pluridisciplinaire, en collaboration avec des expert.e.s dakarois.es, des associations et institutions, donne la voix aux femmes et sensibilise les hommes pour un changement de comportements.
Le harcèlement de rue, ou le fait de se faire aborder, voire verbalement agresser par des inconnus, sort enfin de l’ombre. Le harcèlement de rue, un sujet peu abordé dans les arts et dans l’actualité du pays, au détriment de milliers de femmes, on en parle grâce à l’exposition de Sophie Le Hire. «Territoires», traduit en wolof par Barab yi, est une création artistique et un laboratoire collectif sur la violence d’une réalité dans la ville de Dakar : le harcèlement de rue. Les femmes, selon l’artiste, semblent avoir été oubliées par cette société qu’elles portent pourtant à bout de bras. Cette exposition dont l’objectif est de questionner la place de la femme dans l’espace urbain, la relation entre hommes et femmes dans la circulation des zones publiques de la ville et l’urbanisme de Dakar, peut se comprendre également, dit-elle, comme un appel à la prise de conscience des femmes à opérer un changement profond, mais aussi une sensibilisation, chez les hommes, sur leur comportement. Ainsi, pour comprendre et rendre visible ce phénomène très peu exploré au Sénégal, un laboratoire de recherche est installé par 6 femmes qui enquêtent chacune sur le sujet, à travers le prisme de sa spécialité notamment la psychologie, la sociologie, le journalisme, le Droit, l’urbanisme ou la danse, indique Sophie Le Hire. L’artiste française qui vit à Dakar depuis 2016, dit aussi avoir utilisé une installation polymorphe, comme la vidéo, le dessin, la photographie, la création sonore et l’écriture, afin d’approfondir la réflexion sur le sujet et ouvrir le dialogue à d’autres femmes et hommes.
La scénographie, une métaphore de l’agresseur
Regards insistants, sifflements, attouchements, agressions verbales, physiques et sexuelles dans la rue sont des phénomènes bien connus des femmes, qui adoptent des stratégies pour se protéger quelle que soit la forme du harcèlement. «Tout le poids est mis sur les épaules des femmes qui sont censées, chaque jour, adopter des stratégies pour éviter de se faire agresser. Est-ce que c’est normal ?», demande Sophie Le Hire, artiste et en même temps commissaire de l’exposition. Où s’arrête le consentement, où commence le harcèlement ? «C’est peut-être une question de territoires», a-t-elle répondu. L’objectif étant de porter le plus loin possible le dialogue autour de cette thématique. Ainsi, 3 conversations publiques seront organisées entre décembre et juin prochain dans 3 lieux différents dont la mairie de Dakar, partenaire du projet, indique Sophie Le Hire qui, dans cette démarche, a voulu donner la voix aux femmes qu’elle nomme : «Les Géantes.»
Ce travail plastique oppose le corps et la ville. «La ville devient l’agresseur. Des zones de chaos urbain de Dakar, chantiers, morceaux de bitumes, pavés cassés, poteaux défoncés, trottoirs à l’abandon, sont photographiés et utilisés comme symboles de cette agression et du dommage psychique causé aux femmes», a-t-elle expliqué. Avant d’ajouter que dans l’exposition également, le «bug» graphique symbolise à la fois le trouble psychique lié au harcèlement, le désordre architectural de la ville, mais aussi le dysfonctionnement social révélé par l’indifférence générale face à ce phénomène.
Sensibiliser les parents sur l’éducation de leurs enfants
Cette création artistique accueillie et présentée au Musée de la femme Henriette Bathily, à la Place du souvenir africain, se manifeste par 5 créations, à savoir : une exposition, un laboratoire, un livre, 3 conversations publiques et un film. Des images en écriture pour exprimer le combat mené par les femmes, afin d’approfondir leurs réflexions sur le sujet et ouvrir le dialogue à d’autres femmes et hommes. Selon Isseu Touré, géographe, aménagiste et urbaniste, pour de nombreuses femmes, l’éclairage des espaces publics est primordial pour leur sécurité et leur permettrait plus de mobilité dans les quartiers. « Le manque de postes de police, de patrouilles, de mobilier urbain inclusif et adapté aux besoins des femmes est aussi souvent cité par ces dernières comme un frein à leurs déplacements. Et nous estimons que l’éducation citoyenne, la sensibilisation et la prise en compte de la dimension de genre dans l’aménagement du territoire sont tout aussi importantes. Et ces notions doivent être au coeur de la conception des politiques territoriales.» De l’avis de Selly Bâ, docteur en sociologie, militante des droits humains et féministe, «la ville reflète des normes sociales de genre qui tendent à perpétuer une ségrégation sexuée des espaces et à attribuer des rôles hiérarchisés entre les femmes et les hommes. Cette répartition des espaces a été intériorisée dans le processus de socialisation.
L’identité féminine va, entre autres, se construire autour des stéréotypes liés à la limitation des déplacements, comme nous le retrouvons dans le discours populaire sénégalais : «Ji géen dafa wara toog ci pooju ndeyam», autrement dit, la fille ne doit pas s’éloigner des jupons de sa mère. L’identité masculine, elle, va se construire autour de la virilité, l’éloquence, la prise de parole et l’appropriation des espaces publics». Et pour Naffisatou Seck, juriste, spécialiste nationale Genre/ Lutte contre les Vg et droits humains, le phénomène de harcèlement de rue n’existe pas dans les textes de loi et l’incrimination pénale est une question de nécessité, si l’ordre public ainsi que des droits constitutionnellement protégés sont menacés. «Détecter les premiers seuils de violence peut permettre de mieux prévenir le passage à des actes plus graves, lorsque l’on sait que le fait de harceler quelqu’un dans un espace public fait partie du continuum des violences. Il n’y a pas d’incrimination spécifique au harcèlement de rue dans le Code pénal sénégalais, néanmoins l’arsenal législatif existant permet de sanctionner une partie des comportements s’y rapportant, comme l’injure», lit-on sur le tableau.
«L’homme capable de tout et responsable de rien»
«L’absence d’outils de dénonciation et de sanctions rend l’homme capable de tout et responsable de rien», écrit aussi Fabiola Mizero, consultante en développement organisationnel et sur les enjeux de genre en Afrique. En attendant, l’exposition ouvre le débat. La femme dakaroise est-elle libre dans Dakar ? «Non. Elle n’est pas libre dans l’espace public comme les hommes le sont», c’est ce que révèle Sophie Le Hire, qui invite tout le monde à avoir conscience du problème et chercher ensemble des solutions adaptées au contexte sénégalais, urbain, de transport et de mentalité pour qu’on puisse désamorcer de nombreuses situations de violence.