En dehors des infirmes et autres personnes vivant avec des handicaps physiques et visuels, des sans-abris, déficients mentaux ou autistes, des individus quelques fois «mal intentionnés», pour qui tendre la main est un business, s’insèrent dans ce milieux
La capitale sénégalaise abrite un nombre significatif de mendiants venant de divers horizons. De Sébikotane au Centre-ville, il n’y a de ruelles désertées par ces derniers qui, de jour comme de nuit, déambulent ou choisissent des points stratégiques (ronds-points, carrefours, intersections, lieux de cultes, marchés et devantures de grandes surfaces…), à la quête de l’aumône. De la récitation de litanies aux louanges du Prophète (PSL) ou des chefs religieux locaux, aucune méthode n’est exclue pour faire frémir les cœurs des bienfaiteurs. Toutefois, en dehors des infirmes et autres personnes vivant avec des handicaps physiques et visuels, des sans-abris, déficients mentaux ou autistes pour qui mendier est le plus souvent un moyen de survie, des individus quelques fois «mal intentionnés», pour qui tendre la main est un business, s’insèrent dans ce milieux. D’autres utilisent l’infirmité de leurs enfants à cette fin.
«Je ne me plains pas, je gagne de l’argent grâce à mes enfants infirmes». Cette confidence d’une femme, lors d’une conversation avec une autre, qui avoue qu’elle fait mendier ses enfants handicapés pour se faire beaucoup d’argent en dit long sur le «business» pitoyable de certains parents dans le dos de leurs progénitures nés avec des malformations. A l’image des faux jumeaux, pardonnez, des bébés loués qu’on fait passer pour de jumeaux, utilisés pour mendier notamment aux moins tous les vendredis et lundis comme le veut la tradition, ce phénomène est une triste réalité et laisse bouche-bée. Un tour dans certains points stratégiques et rues très fréquentées permet de mesurer l’ampleur de cette forme d’exploitation mercantile de l’infirmité des enfants par leurs propres parents et de traite de mineurs qui ne dit pas son nom. A Keur Massar, le tout dernier département de Dakar, un cas parmi tant d’autres attire l’attention. Cela fait près de quatre ans qu’une quadragénaire utilise son rejeton atteint de poliomyélite pour subvenir à ces besoins. A la même place à MTOA (Keur Massar), depuis fort longtemps, la dame originaire de l’Est du Sénégal n’a cherché d’aide pour soigner son fils. Au contraire, elle a choisi de l’exposer chaque jour, à même le sol pendant des heures, pour susciter la pitié des passants.
DES FAUX JUMEAUX À L’EXPLOITATION MERCANTILE DE L’INFIRMITÉ DES ENFANTS
M.T, vendeurs de café dans ledit quartier, que les actions de la dame n’enchantent guère, est passé aux aveux. «Je suis bien conscient de l’ampleur des allégations que je suis en train de faire. Néanmoins, je ne peux m’en empêcher car trop, c’est trop ! Ici c’est la banlieue, tout le monde se connait et rien ne s’ignore. Cette femme, en dépit des nombreuses campagnes de prise en charge des enfants atteints de la poliomyélite, n’a jamais daigné amener son fils car celui-ci lui apporte beaucoup. A présent, l’état de santé de l’enfant se dégrade ; en témoigne son apparence frêle et son corps osseux. Si rien n’est fait, il mourra certainement de douleur et de fatigue», assène-t-il avec émotion. Pour lui, voir des femmes qui exploitent leurs enfants malades est monnaie courante dans cette zone de la banlieue Dakaroise et dans bien d’autres localités. Il justifie ces pratiques par l’amour de la facilité et la cruauté. Ainsi, se rappelle-t-il : «quelques mois auparavant, un petit garçon de deux (2) ans s’est fait renversé par un Pajero, sous le regard négligent de sa mère. L’enfant qui savait à peine ramper entreprit de traverser la route quand le véhicule qui l’a fauché sortit de nulle part, roulant à vive allure…» Et pendant ce temps, dit-il, «la mère s’occupait à remplir ses pochettes».
DES ESCROCS DANS LE BUSINESS DE LA MENDICITÉ
Mais, ces cas de figures sont loin d’être les seuls décrivant le «business» autour de la mendicité des enfants vivant avec un handicap. En effet, partout dans la rue, les transports en commun ou autres lieux de rencontre, les mendiants font foison. Le phénomène de la mendicité est devenu tellement banal que des individus mal intentionnés s’y mêlent pour mieux tromper la vigilance et commettre des larcins. Et, selon un certain nombre de témoignages, ce sont, pour une bonne partie, des voleurs déguisés, des vendeurs de substances prohibées ou des individus bien portants qui feignent être atteint de maladies (cécité, surdité, maladie cardiovasculaires…) afin d’extorquer des fonds aux âmes sensibles. A en croire Stéphanie Thiaw, souvent, ils ont des stratégies bien propres à eux, y parvenir. «Je quitte tous les jours Malika pour rallier la ville ; c’est là que se trouve mon bureau. Un jour, alors que j’étais dans un bus, un homme d’une certaine masse corporelle qui se disait être aveugle monta à bord. Il glorifiait les exploits de certains guides religieux du pays, moyennant des pièces de FCFA… Quelques temps après, à ma plus grande surprise, je l’aperçus dans un supermarché de Malika faisant ses achats lui-même. Là je me suis rendu compte qu’il n’a jamais perdu l’usage de ses yeux», a-t-elle ajouté en soupirs.
MENDIER, DESORMAIS UN JOB INTERNATIONAL ET UNE AFFAIRE DE TOUS
Ceci prouve, vraisemblablement, que mendier est devenu une activité fructueuse dans la capitale, ces dernières années. Ce n’est plus l’apanage des infirmes ou des gens avec un très faible niveau de vie, c’est devenu l’affaire de tous. L’argument souvent avancé par ses adeptes est la pauvreté. «Nous n’avons d’autres choix que de tendre la main s’ils veulent survivre», affirme Mère Sène, une mendiante établie à Keur Massar village. «Les conditions de vies sont accablantes ; on quitte nos terres natales, laissant tout derrière nous, espérant trouver un travail décent sur lequel s’appuyer. Cependant, la réalité ici est toute autre», poursuit-elle.
Récemment, au-delà de nombreux ressortissants maliens, guinéens visibles au niveau de ronds-points et feux-rouges, un nombre important de mendiants venu du Niger a été rapatrié par les autorités de ce pays de l’Afrique de l’Ouest, avec l’aide d’autorités du Sénégal. Ils étaient en tout plus d’un millier d’hommes, de femmes et d’enfants à quémander dans les rues de Dakar. Interrogés sur les motifs d’un pareil acte, ils répliquèrent que «la mendicité rapporte beaucoup à Dakar».
Avant d’ajouter que ce qu’ils obtiennent en mendiant en terre sénégalaise n’a rien à voir avec ce qu’ils gagnent au Niger, même en travaillant. Selon eux donc, «Dakar est une capitale bien généreuse où les gens n’éprouvent de difficultés à donner l’aumône». La situation est, à présent, très alarmante. Pourtant la traite des personnes est punie par la loi. N’empêche, la mendicité, bien qu’elle existe depuis belle lurettes et dans toutes les sociétés, gagne du terrain et cette fois-ci avec de nouveaux acteurs. Des femmes qui sacrifient la santé de leurs enfants pour de l’aumône et des hommes qui insinuent des maladies pour se remplir les poches ; une vraie mafia est entrain de tisser sa toile.