Accusé d’être l’un des principaux planificateurs de cette tragédie, le face-à-face du chargé de mission du MFDC avec le juge a tenu en haleine le public, venu très nombreux pour assister à l’audience
Le procès des présumés coupables de la tuerie de la forêt de Boffa-Bayotte, qui se tient depuis la semaine dernière à la chambre criminelle de Ziguinchor, a été marqué par le passage à la barre de Oumar Ampoy Bodian, chargé de mission du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc). Accusé d’être l’un des principaux planificateurs de cette tragédie, son face-à-face avec le juge a tenu en haleine le public, venu très nombreux pour assister à l’audience.
Le juge a signifié à l’accusé que tout serait parti de la rencontre qu’il a organisée entre une délégation de gens du village de Toubacouta et des éléments du maquis notamment des lieutenants du chef de la faction du Mfdc de Kassolol, César Atoute Badiate. C’est suite à cette rencontre que la décision de commettre cette tuerie aurait été prise.
Ampoy reconnaît et assume la tenue de cette rencontre mais réfute la thèse selon laquelle elle a été à l’origine de ce qui s’est passé. A savoir le massacre de coupeurs de bois. Il reconnaît avoir facilité la tenue de cette réunion sur instruction de son chef politique au sein du Mfdc, en l’occurrence Ousmane Tamba, basé en Suisse. A l’en croire, c’est un nommé Bourama Toumboul Sané (ce dernier s’est suicidé au lendemain de la tuerie) qui l’a joint au téléphone pour solliciter une rencontre, ce qu’il a accepté.
Et lors de leur entrevue, Toumboul lui a dit que les populations du village de Toubacouta avaient un problème, en fait quatre de leurs fils ont été arrêtés et incarcérés suite à une altercation qu’ils ont eue avec des coupeurs de bois clandestins dans le cadre du travail que mène un comité créé pour assurer la surveillance de la forêt classée de leur localité, agressée perpétuellement par des braconniers. Et, après avoir mené toutes sortes de démarches auprès d’autorités pour obtenir leur libération, en vain, ces villageois voulaient une intervention du chef de guerre César Atoute Badiate afin que ce dernier use de son influence politique pour faire libérer les jeunes détenus.
Ne pouvant prendre aucune décision, il aurait transmis la doléance à son chef Ousmane Tamba qui aurait saisi César Badiate. Lequel a accepté de recevoir les responsables de ce comité. Ampoy reconnaît avoir accompagné Toumboul et les autres membres de la délégation dépêchée par le comité. Cette rencontre en question a eu lieu près du village bissau-guinéen de Tabanka, mais sans César Badiate qui avait envoyé un groupe de ses lieutenants rencontrer le comité, renseigne Ampoy. Il souligne qu’après avoir écouté Toumboul et ses amis, les envoyés de César ont promis de rendre compte fidèlement à leur chef de la demande faite par le comité. Selon Ampoy, la demande ne consistait pas à tuer des personnes.
À la question du juge de savoir pourquoi s’adresser à César, qui est un chef de guerre, pour une doléance politique en laissant de côté les responsables de l’aile politique du Mfdc, l’accusé répond qu’il n’y voit aucun inconvénient car César est aussi un politique et pour preuve il demande au juge d’entrer dans le site du journal lepays.com, et qu’il y verra le chef de la faction de Kassolol, assis avec l’ambassadeur des Etats-Unis en train de parler politiquement comment en finir avec le conflit casamançais. Cela est valable au Sénégal où beaucoup de généraux de l’armée sont aujourd’hui des ambassadeurs, clame t-il.
A en croire Ampoy, la division de l’aile politique fait que celle-ci ne peut pas régler grand-chose. Et cette division, il l’impute à l’Etat du Sénégal et particulièrement au régime du président Wade qui avait, selon lui, opté de négocier directement avec l’aile armée du Mfdc. Le juge lui fera remarquer que les armes utilisées pour exécuter les 14 personnes tuées sont des armes de guerre, ce qui laisse croire que cela est la réponse de la rencontre tenue en Guinée-Bissau, autrement ce sont des éléments du Mfdc qui ont assassiné les victimes. Le chargé de mission de ce mouvement qu’est Ampoy dira qu’il n’a pas suivi la suite donc il ne peut pas accréditer cette thèse.
Mieux, soutient-il, son sacerdoce en venant au Mfdc c’était pour que les armes se taisent et que le dialogue prévale. Sa mission, dit-il, était de recoller les morceaux du Mfdc en déliquescence depuis la disparition de l’abbé Diamacoune afin de pouvoir instaurer un dialogue durable pour pouvoir répondre à la main tendue du président Macky Sall et c’est ce à quoi il s’attelait jusqu’à son arrestation. Pour preuve, il dit avoir sorti un communiqué au lendemain de la tuerie pour condamner celle-ci et dire plus jamais ça. Il a affirmé avec force qu’il ne fait aucun lien entre la rencontre tenue entre les émissaires des villageois et les lieutenants de César Atoute Badiate, d’une part, et la tuerie de l’autre. Il disculpe également le Mfdc qui, indique-t-il, a toujours revendiqué ces actes.
Répondant à une question du juge, il a réfuté avoir eu auparavant des contacts avec Toumboul Sané et pour le prouver il a demandé qu’on vérifie le répertoire des appels de son téléphone portable. ‘’Connaissez-vous le village de Toubacouta ? » demande le juge à l’accusé. Réponse d’Ampoy : « je n’y ai été qu’une seule fois avec feu le ministre Georges Tendeng et c’était en tant que responsable de l’Union des jeunesses travaillistes libérales de Ziguinchor du Pds de Me Abdoulaye Wade ».
Un indépendantiste qui s’assume
À la question de savoir s’il est favorable à l’indépendance de la Casamance, il répond par l’affirmative sur un ton ferme. Comment, quand et où ? À peine l’accusé avait-il commencé à répondre qu’il a fondu en larmes, la seule chose qu’on a entendue c’est ‘’mon papa qui n’a pas eu le temps de rester avec nous… ‘’.
Après, une petite pause, décidée par le président de la cour, Ampoy a poursuivi en disant que lui et ses amis du Mfdc sont convaincus que, par des négociations avec le gouvernement du Sénégal, ils y arriveront. L’avocat de la partie civile reviendra sur cette question lui aussi et l’accusé à précisé qu’il n’est pas indépendantiste mais séparatiste. Quelle est la différence entre les deux ? Il répond en disant que le Mfdc ne peut pas demander une indépendance au Sénégal car c’est la France qui colonisé la Casamance. Et pour étayer sa thèse, il cite le monument aux morts de Ziguinchor où, dit-il, c’était écrit ‘’La Casamance a des morts pour la France’’.
Dans la foulée, il affirme que c’est Valdiodio Ndiaye qui a divisé la Casamance en de petits morceaux, en l’enlevant la région de Tambacounda qui constituait la Haute Casamance. Concernant son départ du Pds, il déclare avoir quitté cette formation parce que ce parti est sénégalais pour intégrer le Mfdc qui est casamançais. A la question de savoir – comment il a appris la nouvelle du massacre de Boffa-Bayotte, Oumar Ampoy Bodian a répondu que c’est un certain Roger qu’il a trouvé au quartier Grand-Yoff où il s’était rendu pour jouer à la belote avec des amis qui les avait alertés en leur demandant d’écouter la radio parce qu’il s’est passé quelque chose de l’autre côté.
S’agissant de l’enquête menée par la gendarmerie, Ampoy dit ignorer qu’il avait la possibilité de faire annuler le Pv d’audition en ce sens qu’elle a été menée sans la présence de son avocat, donc elle comportait un vice de procédure. C’est après qu’un autre avocat a soulevé une question qui a susciter l’inquiétude du public et de la défense. Il s’agit d’une vidéo où René Capain Bassène, le journaliste écrivain, inculpé lui aussi dans cette affaire, l’aurait cité comme étant un des planificateurs de la tuerie.
Lors de la confrontation, organisée entre lui et ce dernier, Ampoy déclare : ‘’René avait réfuté cette thèse demandant à ce qu’on lui fasse pas dire ce qu’il n’a jamais dit’’. Et lors de cette confrontation, ils n’avaient pas exhibé cette vidéo en question, c’est après qu’on la lui a montrée sur un téléphone portable. Et il dit ne porter aucun crédit à cette vidéo considérant que cela peut-être un montage. Au finish, Ampoy qui a répondu à toutes les questions qui lui ont été posées a dit se considérer comme un innocent mis en prison.
Jean Diatta, Correspondant permanent à Ziguinchor Témoin