Le sociologue et coordinateur du Forum social sénégalais (FSS) n’a pas caché son amertume face à l’exploitation de l’eau par un privé. Ce dernier se dit « révolté » à cause de la qualité d’eau servie aux populations. Il dénonce aussi sa marchandisation. Il était l’invité du Grand oral sur Rewmi Fm.
A l’occasion du forum de l’eau, vous avez organisé un forum alternatif. Quel en est la pertinence ?
C’est comme cela que les choses se passent. Ça date de 1990. Les acteurs étatiques et non étatiques qui travaillent à l’eau et à l’assainissement se retrouvent pour discuter de cette problématique, de même que les ONG qui travaillent dans la production. Donc l’eau est quelque chose qui tarit. Elle couvre la moitié de la terre. Mais souvent ce n’est pas de l’eau potable ou consommable. C’est pour l’agriculture. En tenant compte de la population mondiale, ces acteurs ont dit qu’il est bien d’avoir un espace pour discuter de la question. Depuis des années, le forum s’agrandit et se tient pour la première fois, en Afrique sub-saharienne. Les populations sont confrontées à des manques. Donc l’enjeu est une question de défi et de vie. Sans eau, rien n’est possible. A Dakar, les gens découvrent que le forum se tient sur deux pieds. Un pied étatique gouvernemental et un autre non gouvernemental. C’est cela le forum alternatif qui regroupe les Ong qui travaillent dans les droits humains, accompagnent les communautés et les universitaires qui font dans la recherche pour des postes alternatifs de gouvernance de l’eau. Voilà pourquoi certains ont été surpris de voir qu’il y avait une activité à Diamniadio et une autre ici. Ça s’est passé comme ça aussi au Brésil, de même qu’en France et au Maroc. C’est un évènement mondial et thématique. Les acteurs n’ont pas de défis à relever. On leur permet de s’organiser.
Avez-vous le sentiment d’avoir fait bouger les lignes ?
Ah oui. Toutes les éditions de forum sont sur la base d’un thème. Donc il est bon d’admettre qu’il y ait deux pieds de forum. Sans doute, il y a des choses que le pied étatique ne peut pas dire. Nous avons clôturé et synthétisé nos positions et reçu un document qui sera diffusé. On participe à résoudre des problèmes auxquels les populations sont confrontées. Il y a beaucoup de forages construits par les Ong. On mettra tout dans un rapport final. Chacun remettra son rapport à son président et on va garder le contact car nous sommes dans un réseau d’échanges. Il faut aussi voir la coopération avec la France, cela a permis de trouver des solutions pour l’accès à l’eau pour les populations. Si ces évaluations sont faites, cela peut aider.
Outre ces réflexions, qu’est-ce que le forum alternatif a apporté comme solutions ?
Nous pouvons dire que les débats ont permis de réussir à savoir que l‘eau est un bien commun. Ce constat est dans le discours des Nations unies. Des chefs d’État nous aident à faire remonter ces concepts jusqu’aux instances de décisions. Et Chavez, comme le Président brésilien tous nous ont entendus, malgré leur position. Nous avons réussi à inclure dans le langage diplomatique le concept « eau bien commun. » Nous avons su inclure dans le discours que l’eau est un droit. En juillet 2010, les Nations unies ont inclus dans leur résolution que sur la base des plaidoyers des activistes et Ong, entre autres, les Nations reconnaissent que l’eau est un droit. Deux points obtenus grâce à une contribution des uns et des autres. Des résultats concrets. Si on sortait du réseau hydraulique, les forages construits par les Ong, il n’en restera pas beaucoup. Je vous demande de faire une enquête. Depuis Diouf, ce ne sont que les partenaires qui en construisent et qui demandent au président d’inaugurer. L’autre chose c’est de rendre pérenne le forum alternatif pendant que celui classique se tient. Nous ne sommes pas contre, non. Ce qui nous intéresse, ce ne sont pas des parrainages ou des contrats commerciaux.
Par rapport à la situation de l’eau au Sénégal, on voit beaucoup de difficultés d’accès. Comment voyez-vous cela ?
Vous êtes journalistes, c’est vous qui devez poser cette question. C’est le discours diplomatique. Le discours de gouvernance étatique qui rassure et qui montre que tout va bien. Alors je ne veux pas être là à contredire le chef de l’Etat, car je le respecte. Ces chiffres sont officiels et je ne peux les contester. Mais en tant que journaliste, il faut voir ces chiffres sur le terrain, donner la parole aux populations de la banlieue etc. pour voir si ces 91,% d’accès à l’eau sont effectifs. On laisse la véracité des chiffres à ceux qui les ont dits.
Avez -vous des chiffres à vous, membres de la société civile ?
Si, mais que nous ne diffusons pas dans nos radios car après on me dira que j’ai dit des choses qui gênent la diplomatie etc. Dans les zones où on a fait des enquêtes, on est très loin de ces chiffres-là. Cela ne veut pas dire que ce que nous disons est vrai. Donc il faut faire des enquêtes et vérifier ces chiffres-là.
Vous parliez de la commercialisation de l’eau, mais sans aucune qualité, étant donné que l’eau est un droit…
La commercialisation est réelle et on tend vers la privatisation. Dans le monde rural, des forages étaient gérés par des villageois qui ne cherchaient pas de bénéfice. Il fallait juste donner quelque chose. Un bon matin, on cherche à leur dire qu’il ne faut ne faut plus gérer ce qui vous appartient. On va confier votre affaire à Mme X ou Y. C’est une anomalie et c’est loin de professionnaliser le liquide. C’est une mauvaise approche. Celui qui vient la remplacer n’est pas plus professionnel qu’elle. Il y a juste une entreprise privée. Cette marchandisation est un danger. A Dakar, on se débarrasse de la gestion de l’eau et la confie à une multinationale privée avec un contrat de délégation. Le cas du Sénégal, avec les Français, cela n’est pas normal. Aux Usa, on a mis l’eau à la bourse des valeurs.
Les risques liés aux conflits de l’eau se précisent ?
Les risques de conflit se dessinent car si les populations n’ont plus d’eau, c’est grave. Cela peut créer des affrontements. Les rivières et les lacs qui traversent des pays sont sources de conflits. Ce qui se passe entre Israël et la Palestine c’est un problème d’eau. Vous avez suivi ce conflit entre l’Égypte, l’Ethiopie et le Soudan. Nous avons eu quelques problèmes avec la Mauritanie à cause du fleuve Sénégal. Cette guerre est inévitable car on tend vers sa marchandisation. Alors que l’eau n’est pas une marchandise.
L’accès pose problème certes, mais il y a la prolifération des sociétés qui vendent de l’eau dans des sachets ?
Ce sont des gens qui cherchent à faire des bénéfices avec un chiffre d’affaires à la fin de l’année. Quelle que soit la nature, ils n’en ont cure. On voit des sachets, qui a fait le contrôle qualité ? c’est l’Etat qui a laissé faire. Dans les écoles, nos enfants en boivent car il n’y a pas de points d’eau potable. Quand tu achètes des cahiers, tu achètes des gourdes. Cette gourde, on y met de l’eau et elle est source de contamination. Des femmes viennent dans les écoles avec de l’eau dans un sachet. C’est polluant. On ne se soucie plus de la qualité de l’eau que boivent les populations ni de l’effet. Quelles que soient les conditions d’usage, l’Etat est responsable. Alors on doit donner à l’État la gestion de l’eau dans le cadre de ses services publics et pas la privatisation de son accès dans le pays et les communes. Les risques de santé publics et environnementaux sont là avec des risques de conflits. Quand un enfant prend de l’eau à l’école avec des risques de diarrhée, les parents ont le droit de porter plainte. Cela crée des problèmes et il faut mettre fin à la privatisation. Il y a des villes en France où le service public est entre les mains des villes et des communautés.
Vous avez égratigné Sen‘eau. Côté qualité, qu’en pensez-vous ?
Les Sénégalais doutent de la qualité de l’eau. Et nous avons dit cela il y a deux ou trois semaines sur leur demande. Il y a deux semaines, vers la banlieue, les populations ont utilisé bassines et sceaux pour aller chercher de l’eau de couleur rouge. Les maisons de presse doivent jouer leur partition, poser le débat.
Pourquoi la société civile a laissé passer ce contrat ?
Non on n’a rien laissé passer. Nous avons dénoncé au début quand ce contrat a été délibéré à l’appel d’offres. Nous avons porté plainte à l’Ofnac, à la cour suprême, à l’Armp qui ont dit que nos plaintes sont recevables mais que ce que nous dénonçons n’existe pas dans le contrat. Par conséquent, on l’a autorisé. Si la justice dit cela, que voulez-vous qu’on fasse ? Il appartient à l’État de voir s’il y a une dose de vérité. A l’époque, on a dit que quand Suez venait dans le contrat, il a offert des choses à l’autorité suprême du ministre qui avait en charge l’appel d’offres. Quand vous organisez un combat entre deux lutteurs, si l’un vient donner deux moutons à l’arbitre du combat, comment voyez-vous cela ? Donc ce sont des soupçons de corruption qu’il fallait vérifier. Et on a donné des dates avec des voitures données à quelqu’un. La décision va être une décision de justice. Même si c’est 1 franc entre celui qui veut gagner le marché et celui qui le donne, il y a soupçon. Mais on n’a pas démissionné, sachant que nous avons tout organisé avec des notes à la présidence et au agents de contrôle des marchés.
Et par rapport à la qualité ?
Nous avons toujours alerté. Les stress hydriques de nos enfants, beaucoup de Sénégalais ont des problèmes liés à la maladie de la peau. Ils se grattent parce qu’ils se lavent avec de l’eau qui laisse des particules sur leurs corps. D’autres écopent de maladies intestinales. Si l’eau n’est pas potable cela a des effets. Prenez de l’eau et laissez là au repos et vous verrez qu’il y a des anomalies. L’eau prise dans des casseroles rongent l’aluminium. L’eau jaunit aussi la dent. Quand l’eau sent, il y a problème.
Quelle suite comptez-vous donnez à votre combat ?
Nous prétendons faire le travail d’alerte pour la société civile. Notre rôle est d’alerter quand on constate des anomalies, des inégalités et de l’injustice. Les solutions ne sont pas entre nos mains. Si on avait le pouvoir de solutionner le problème nous serions au pouvoir. Comment aider les dirigeants à une prise de conscience est notre rôle. Est-ce que ce que nous disons est écouté, c’est une autre question. Les informations données sont-elles prises en compte, c’est aussi une question.
La société sénégalaise est devenue trop violente, avec des cas de meurtres etc. comment expliquez-vous cela en tant que sociologue ?
Sociologiquement, la violence que nous voyons au Sénégal, c’est ce que nous voyons aussi dans les autres pays environnants. C’est un monde qui est devenu violent. Les gens sont armés. Les enfants jouent avec des armes et quand on donne à des enfants des jouets et autres gadgets de tirs, ils pensent que c’est ça la vie. C’est le monde qui est devenu violent. Nous ne sommes plus dans une société humaine où les relations sont basées sur la confiance, le bon voisinage, la paix, la solidarité et l’entraide. Nos relations sont devenues des relations conflictuelles, d’intérêts et de profits. Même si tu es mauvais et que tu as de l’argent, tu es un bon parent. C’est le monde mercantile. Les gens sont devenus violents. Nous disons qu’un autre monde est bien possible avec de l’humanisme, de la paix etc. C’est le cri de guerre du mouvement anti-mondialiste.
Les gens qui se suicident sont victimes de la violence immédiate. L’homme est un être aimable. La famille aussi est victime de violence. Prenez l’exemple de la famille dont les enfants prennent la pirogue. On dit à l’autre que l’enfant de l’autre est parti… C’est cela un monde matériel, mercantile.
MOMAR CISSE