Assane Maguette Diédhiou, jeune soldat de 23 ans, tué le jeudi 17 mars 2022 lors des opérations de l’Armée dans le Nord Sindian, fief du chef rebelle du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc), Salif Sadio, est issu d’une famille de 7 enfants jadis basée dans le village de Singhère. Aujourd’hui elle est partagée entre les villages de Djibanar, Kaour, tous dans le département de Goudomp, région de Sédhiou, et Ouonk dans le département de Bignona. L’histoire de la famille de Diédhiou est un drame sans fin lié d’une part à la rébellion et d’autre part à l’engagement de ses fils dans l’Armée. Révélations glaçantes.
C’est un jour triste : vendredi 18 mars, peu avant 14 heures dans le village de Djibanar, situé sur la Rn6 à 6 km de Goudomp. Les villageois figés dans le drame : L’Armée descend solennellement de leur camionnette bleue foncée, une caisse drapée du drapeau tricolore (Vert-jaune- rouge). A l’intérieur se trouve le corps du jeune soldat tué le 17 mars 2022 lors des opérations de ratissage de l’Armée dans le Nord Sindian, fief du chef rebelle Salif Sadio. La foule, constituée de jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, est inconsolable. Hystéries et pleurs collectives. « C’est vrai, il est décédé mon toubab (comme elle l’appelait souvent). Il y a 4 mois seulement, j’enterrais ma fille. Comme je l’ai fait pour Pape et Solo, les années passées. C’est mon sort. Oh Mon Dieu. C’est mon sort, toujours il faut que je pleure. Fatalement », s’écrie Khady Djighaly, la maman du jeune soldat, ancien volontaire de la Croix-Rouge, né dans le village de Sinkère Escale, à 8 km du village de Sicoung, une des bases du front sud du chef rebelle César Atoute Badiatte. Base rebelle dont il a participé au démantèlement au mois de janvier 2020 sous la houlette du Colonel Souleymane Kandé, promu depuis lors à la tête des Forces spéciales.
Le papa est tué par des éléments du Mfdc
C’est par un concours de circonstances malheureuses que l’enfant de 6 ans, Assane Maguette Diédhiou, se soit retrouvé à Djibanar, dans la famille de son parrain et homonyme, Assane Maguette Camara. C’était en 1998. Son papa, Mamadou Lamine Diédhiou, venant d’être assassiné par des éléments armés appartenant au Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc). A Djibanar, Maguette a passé tous ses cycles, élémentaire et moyen, avant de fréquenter le lycée de Simbandi balante. Au même moment, il est recruté par la Croix-Rouge comme volontaire. Jusqu’à son enrôlement dans l’Armée en 2019. Pour les circonstances du décès de son papa, Manding Diédhiou, le jeune frère de ce dernier, raconte, pathétique : « Par une nuit noire, des éléments armés sont venus trouver Mola (diminutif de Mamadou Lamine) dans sa chambre pour lui soutirer tout son argent qu’il leur a remis sans broncher. Au sortir de la chambre, le chef qui attendait dehors a demandé de retourner le tuer. Ayant entendu cette sentence, Mola a essayé de s’enfuir par la porte arrière. Malheureusement, un élément armé était posté là, et a tiré sur lui. » Il poursuit le récit glaçant : « Ce jour-là, les rebelles ont tué 7 notables et une jeune dans ce village, grand d’une quinzaine de concessions, dont l’imam et son épouse, trouvés sur leur lit. »
Mais pourquoi ces gens étaient-ils ciblés ? Manding Diédhiou : « Pour le cas de Mola (père de Maguette), il avait refusé d’être enrôlé dans la rébellion. Pour les autres, soit ils pourfendaient le mouvement ou refusaient de participer volontairement à l’effort de guerre ou les 2. » Un an avant, en 1997, Manding avait quitté Sinkère Escale avec sa famille pour s’installer dans le village de Ouonk dans le département de Bignona. Il explique : « Plusieurs des délateurs m’ont accusé d’être un membre du Mfdc. Une fois des militaires sont venus me cueillir chez moi. (Il en montre les cicatrices). On m’a même emmené à Ziguinchor pour m’emprisonner. Heureusement pour moi, un chef militaire qui a fait la zone m’a reconnu et a témoigné que je ne pouvais pas être mêlé à la rébellion puisque tout le temps qu’il a passé chez nous, je ne sortais pas, on ne remarquait pas de mouvement de personnes à mon domicile. Je m’absentais rarement du village. Des signes qui montrent que j’étais tranquille. C’est ainsi qu’on m’a libéré. J’ai décidé alors de quitter le village. »
La maman : « J’ai sauvé ma tête en grimpant sur un arbre »
Khady Djighaly, la maman du défunt soldat de première classe, Assane Maguette Diédhiou, vit depuis 1998 dans son village natal de Kaour. Depuis, elle rechigne à retourner à Sinkère. La psychose de l’assassinat de feu son mari continue à hanter cette femme d’une cinquantaine d’années. Elle raconte comment elle s’est sauvée ce jour noir de 1998. Khady Djighaly : « Ils ont trouvé mon mari dans sa chambre pour le tuer. J’étais dehors enceinte d’une fille que j’ai perdue il y a 4 mois seulement. Lorsque que j’ai entendu le chef rebelle dire « retournez le tuer ». J’ai couru monter sur un arbre. J’ai laissé en bas un enfant d’à peine 10 ans. En sortant, ils ont roué l’enfant de plusieurs coups de fouet. Ce jour-là j’ai passé la nuit sur le manguier. Je n’osais pas dormir dans la chambre à côté de mon mari qui gisait dans du sang », dit-elle, presque en sanglots.
2 autres frères de Assane Maguette Diédhiou ont porté les uniformes de l’Armée nationale. Tous 2 ne sont plus de ce monde. Il s’agit de l’aîné, Solo Diédhiou, et de son cadet, Pape Diédhiou. Solo est décédé pendant la durée légale de formation militaire de 2 ans, des suites d’une maladie alors qu’il était en poste au camp militaire Mamadou Lamine Dramé de Tambacounda. Pape Diédhiou, quant à lui, est décédé après sa libération de l’Armée. Il a chopé une maladie alors qu’il était employé par une agence de sécurité à Dakar. A chaque fois, ce sont des espoirs de jours meilleurs qui s’envolent pour Khady Djighaly qui souhaite que l’on en finisse avec la rébellion par la négociation et surtout qu’on s’attelle à sécuriser les jeunes qui acceptent volontairement de servir la République sous les drapeaux.
Il faut savoir que les bases rebelles du front sud, dirigées aujourd’hui par César Atoute Badiatte, ont commencé à se constituer au début des années 1990. Cela s’était traduit à l’époque par le déplacement ou l’incendie de villages entiers. C’était le cas des villages de Sinkère Diola counda, Sinkère Baïnouks, Sinkère Escale, Bissine, Albondi, Adéananding, Saliot, Kloniya, etc. : tous dans le front sud à quelques kilomètres de la Guinée-Bissau
lequotidien.sn