Entre Macky et Ousmane, l’affrontement n’a plus rien de politique. Leur combat est devenu personnel. Le venin de la haine s’est insidieusement infiltré dans ce qui n’aurait dû être qu’une simple adversité politique
Rarement un dossier politico-judiciaire sénégalais n’avait à ce point cristallisé les opinions publiques nationales et internationales. Un an après le déclenchement de l’affaire de viol présumé impliquant l’opposant Ousmane Sonko, trois mois avant de cruciales élections législatives et deux ans avant le prochain scrutin présidentiel, la courbe de l’encéphalogramme politique national connait depuis quelques jours, de brusques variations. Tout est parti d’une série de déclarations des deux protagonistes de l’affaire. La présumée victime qui pointe les lenteurs de la justice et l’accusé qui lui, met en cause non seulement l’impartialité de la justice sénégalaise, mais la défie de ne plus respecter les règles de son contrôle judiciaire. Suffisant pour mettre en ébullition le syndicat de la magistrature qui par la voix de son président, lui a adressé une sérieuse mise en garde, dénonçant ces « citoyens qui se sont arrogés le droit de vouer aux gémonies le respect dû à la justice ».
L’archange Ousmane
Jusqu’au 3 février 2021, sa trajectoire était toute tracée. Mais ça, c’était quelques années avant Adji. Depuis, c’est l’histoire d’un homme dont l’armure de parangon de vertu s’est nuitamment craquelée entre les mains d’une jeune masseuse dans un obscur salon de détente. Ousmane Sonko qui avait fait de sa virginité morale, le moteur de son engagement public est poursuivi par cette femme qui l’accuse justement de lui avoir pris la sienne.
Sa convocation avortée chez le juge en mars 2021, avait provoqué les émeutes les plus graves, les plus destructrices et les plus meurtrières de l’histoire récente du Sénégal. Sans précédent ni équivalent. Officiellement une quatorzaine de morts, des centaines de blessés, des milliards de dégâts.
Depuis, l’homme qui s’était autoproclamé archange de la morale avec ses promesses presque messianiques d’infuser la vertu dans une république souillée par le vice avant que ses séances de relaxation immersive ne viennent écorner son image, ne cesse de durcir son discours. Sous sa posture de procureur au réquisitoire de feu, servie par une rhétorique outrancière et guerrière, les appels à la rue et les allusions à l’insurrection populaire ne sont jamais loin. Comme un tonnerre, ses menaces grondent à chaque prise de parole.
Macky Sall-Ousmane Sonko, le classico de la politique sénégalaise
Tribun explosif, sauveur autoproclamé de la République, Ousmane Sonko a érigé la conflictualité permanente en variable d’ajustement politique dans son opposition à Macky Sall avec lequel, il a enclenché un « mortal combat » . Entre le président de la République et le président du Pastef, la relation est assassine. Le duel féroce. Sans merci. Une sale guerre. Sans trêve ni cessez-le-feu. Un conflit nucléaire politique qui s’est exacerbée avec l’affaire Adji Sarr et dans lequel, personne ne veut montrer de signe de faiblesse.
Entre Macky et Ousmane, il faut dire que l’affrontement n’a plus rien de politique. Leur combat est devenu personnel. Sur l’échelle des tensions politiques sénégalaises, jamais deux hommes ne sont allés aussi loin dans leur détestation réciproque. Le venin de la haine s’est insidieusement infiltré dans ce qui n’aurait dû être qu’une simple adversité politique. Et dans ce face-à-face chacun essaie d’avoir l’autre au bout de son fusil. Empêtré dans une sombre histoire de viol dont il accuse le palais d’avoir été le commanditaire, Ousmane Sonko s’est mué en opposant éruptif. Entre discours d’intimidation, incantantions menacantes, sa stratégie de l’affrontement permanent avec le pouvoir de Macky Sall l’a placé au centre de gravité de l’opposition sénégalaise.
La stratégie de la terreur
Ses allusions récurrentes aux émeutes de mars 2021, son discours de plus en plus populiste, ses appels au devoir de résistance, sa rhétorique cathartique pour galvaniser ses troupes poussent à croire qu’il a inscrit la rue comme composante essentielle de sa stratégie de conquête de l’appareil d’État qui, plus qu’un objectif, est devenu une cible dont il veut s’emparer.
Parce que son parti est perçu comme la caisse de résonnance de la désespérance de franges de plus en plus nombreuses de la jeunesse sénégalaise, Ousmane s’est pris comme un messie comme le dépositaire testamentaire d’une vérité morale réveléé qui ferait de lui, le commandeur de l’ordre politique et institutionnel national. Comme si le destin du Sénégal était entre ses mains.
Sa défiance permanente contre les institutions de la République ou à tout le moins contre ceux qui les incarnent, son propre aveuglement dû à sa guerre sans merci contre Macky Sall, son meilleur ennemi qu’il se plaît à pourfendre avec souvent beaucoup de mépris, et dont il rêve de faire sa victime, l’ont dérivé vers une oppostion politique de plus en plus radicale. Au point où si la radicalité politique était une secte, Ousmane Sonko en serait indiscutablement le gourou sénégalais. Le dépositaire permanent. Une posture qui infecte et fige le paysage politique national depuis plusieurs années.
Pour se lancer à l’assaut du pouvoir, le leader du Pastef a construit sa stratégie, sur trois piliers principaux : la dénonciation permanente de la dépravation systémique de la gouvernance de Macky Sall, la mise en scène de sa radicalisation face au régime et l’exaltation égocentrique d’une pureté éthique dont il pensait être avant « l’affaire Adji Sarr », l’incarnation la plus prometteuse, avant que les néons d’un obscur salon de massage ne lui explosent en pleine figure.
Le sens de la mesure face à l’histoire
Alors complot ou pas complot ? C’est la question que tout le Sénégal se pose. Si chaque citoyen sénégalais s’interroge sur les tenants de cette ténébreuse histoire, c’est justement parce les considérations pénales et morales s’entrechoquent et s’entremêlent avec les questions politiques et éthiques. Mais la seule constante dans cette affaire est qu’il n’y a nul besoin d’un rapport d’autopsie pour diagnostiquer que si celui qui s’est toujours présenté comme « le père la morale » de la politique sénégalaise n’avait pas abusivement, clandestinement et nuitamment braver le couvre-feu en usant à des fins strictement personnelles des privilèges de député que le peuple du Sénégal lui a octroyés, il n’y aurait pas d’affaire « Sweat Beauty ». Alors vouloir embarquer ses bataillons d’indéfectibles fidèles dans une instrumentalisation politique et judiciaire de ses propres déviances au risque de déstabiliser la République relève de l’irresponsabilité. Alors qu’être « patriote » ne signifie pas être irresponsable.
Il y a des discours qui trahissent et d’autres qui font entrer dans l’histoire. Ces mots qui claquent et marquent les esprits. Alors oui, Ousmane Sonko doit assumer et lever et le couvercle pour que la vérité jaillisse enfin. Il le doit à son parti. Il le doit à ces milliers de jeunes qui continuent malgré tout de croire en lui. Il le doit aux 14 jeunes qui ont perdu la vie dans cette histoire. Il nous le doit. Il le doit au Sénégal. C’est le sens élevé de la responsabilité face à l’histoire et aux circonstances qui consacre la grandeur.
Mais que l’on ne s’y méprenne pas. Je ne suis pas dans la posture d’une promotion anti-Sonko. Je lai défendu en son temps dans une tribune intitulée « Alerte à la vendetta contre Ousmane Sonko ». Mais il doit pouvoir défendre son honneur sans avoir besoin de verser dans la brutalité, la menace et la fragilisation des institutions de la République. Lorsqu’on a pour ambition de diriger le Sénégal, on doit savoir faire preuve de pondération, en se gardant d’arracher les barrières entre l’extrême radicalité et le sens de la mesure face à l’histoire.
Éviter la fragilisation des institutions
Quand le leader du Pastef apparaît face caméra, pour vociférer publiquement avec un zeste de délectation contre la justice du Sénégal en déclamant de ne plus respecter les termes de son contrôle judiciaire, la séquence n’est franchement pas glorieuse pour un ancien et futur probable candidat à la présidence de la République. Par ses outrances langagières et ses vitupérations complotistes à l’emporte-pièce contre les institutions de la République, Ousmane Sonko est en train de saccager de manière métronomique sa stature de républicain présidentiable. Il y a urgence pour lui d’effacer l’historique de bientôt deux années de navigation périlleuse sur les moteurs de recherche du suffrage des Sénégalais. Il n’a aucun intérêt à fragiliser les institutions de la République. Même s’il y a indiscutablement à dire et à redire sur le fonctionnement de certaines d’entre elles.
Et à ce sujet, Ousmane Sonko n’a pas absolument tort. La justice sénégalaise souvent accusée de faire preuve de bienveillance suspecte à l’égard des proches ou amis du président et d’acharnement sur ses adversaires, doit corriger cette perception au niveau d’une opinion prompte à fantasmer sur cette justice qu’elle pense aux ordres du palais. Inutile de revenir sur l’impossible innoncence de Karim Wade et de Khalifa Sall face au marteau-piqueur-démolisseur judiciaire.
Seulement voilà, le leader du Pastef gagnerait à se sortir de sa vision binaire du combat politique. « Moi » contre un « système » dont Ousmane Sonko est convaincu qu’il complote pour sa perte et cherchant à le décrédibiliser par tous les moyens. En faisant de la dénonciation des institutions sénégalaises en tête desquelles le chef de l’État, le cœur du réacteur de son projet politique, le « Patriote en chef » s’est fourvoyé dans le piège d’une surenchère dont le but ultime est de trainer Macky Sall vers le couloir de la mort politique. Parce qu’il a peu de chance de sortir vainqueur de son opération commando politique, Ousmane « l’insurrectionnel » doit aujourd’hui s’effacer au profit de Sonko « le républicain ». Pour le bien du Pastef, pour la stabilité de la République et pour l’avenir du Sénégal.
Boubacar Camara et le pilote Macky Sall
Dans une tribune récente intitulée « Nomination d’un Premier ministre : les balades du ciel avec le pilote préféré », Boubacar Camara Camara, ancien Directeur de campagne d’Ousmane Sonko parlant du président Macky Sall, le suspecte « …entre ciel et terre, de concocter des mises en scènes pour discréditer les opposants qui refusent de négocier une capitulation » et d’avertir que « que tous les vols peuvent être annulés surtout en cette période tension internationale ».
Oublie t-il qu’un « avion entre ciel et terre », signifie qu’il est en plein vol. Peu importe ce que l’on peut penser du commandant de bord, mais lui et lui seul a la responsabilité du vol. Peu importe son pilotage, Mais ce sera à Macky Sall et rien qu’à lui, qu’incombe la lourde charge de faire atterrir les 16 millions de Sénégalais à bord. Alors aidons-le à se poser en douceur. Parce que c’est à l’atterrissage que tout se joue. Que tout se perd.
Malick Sy