Les actes posés par le régime du Yakaar déçu renvoient à une attitude autiste, candide et dédaigneuse, qui ne tient aucun compte de l’évolution sociopolitique de notre pays et des signaux que lui envoie le peuple
Même si l’alternance historique de 2000, fruit de luttes opiniâtres du peuple sénégalais, était un passage obligé pour notre système démocratique, on doit constater – pour le déplorer – que l’évolution démocratique de notre pays demeure préoccupante.
Deux alternances décevantes
Certes, elle a mis fin à l’immobilisme qui caractérisait la gestion du parti socialiste, vers la fin de son règne et permis à notre pays, depuis l’accession des libéraux au pouvoir, de bénéficier de nombreuses réalisations concrètes (infrastructures routières, (pré-) scolaires, sanitaires) …etc.
Mais, il s’est malheureusement souvent agi de chantiers conduits de manière cavalière, dans le cadre d’une gouvernance calamiteuse et/ou donnant lieu à des dépenses somptuaires, accroissant le poids de la demande sociale, sans incidence réelle sur le sort des plus démunis. Par ailleurs, les augmentations salariales accordées aux travailleurs ont souvent été annihilées par la montée en flèche du coût de la vie.
De plus, les douze années du pouvoir wadiste ont été caractérisées par des régressions démocratiques notoires, dont la plus scandaleuse aura été la tentative avortée de dévolution monarchique du pouvoir de celui, qui était considéré par beaucoup, comme une des icônes de la démocratie africaine, à son fils.
Quant au président Macky Sall, arrivé fortuitement au sommet de l’appareil d’État néocolonial, depuis une dizaine d’années, il aura encore plus déçu que son père spirituel, dont il n’aura hérité que des pires aspects de sa pratique politique.
C’est ainsi que sa gouvernance est marquée par une chape de plomb, qui recouvre la vie politique de notre pays avec des atteintes multiples aux libertés et la persécution systématique d’adversaires politiques allant jusqu’à l’éviction arbitraire de ses principaux rivaux à la présidentielle de 2019.
Cet ostracisme s’est poursuivi lors des dernières élections locales, au cours desquelles, plusieurs listes de l’opposition politique ont été injustement invalidées.
Le tournant des locales de janvier 2022
Mais paradoxalement, c’est précisément lors de ces consultations électorales, que le peuple sénégalais a envoyé un nouveau signal plus explicite au pouvoir apériste sous forme d’un désaveu cinglant, surtout dans les grandes villes, où le niveau de conscience politique est le plus élevé.
Mais comme lors du mouvement de défiance de février-mars 2021, qu’ils ravalent, encore maintenant, au rang de simple affaire de mœurs, les hommes politiques de la majorité persistent dans leur attitude de déni et continuent leur course folle vers l’inconnu.
Ce comportement renvoie à l’histoire de César Luis Menotti, entraineur de football argentin de 1974 à 1982, qui reprochait à ses joueurs de ne pouvoir concilier leur course effrénée derrière le ballon rond et une réflexion lumineuse sur les meilleures stratégies victorieuses[1]. Au bout de quelques années de coaching gagnant, il leur enseigna l’art des déplacements rapides et intelligents sur le terrain, ce qui leur permit de gagner la coupe du Monde de 1978. Si nous rappelons cette petite anecdote tirée du monde du football, c’est que la posture du pouvoir apériste nous fait penser à une cavalcade de chevaux (marrons) fous.
De fait, les actes posés par le régime du Yakaar déçu renvoient à une attitude autiste, candide et dédaigneuse, qui ne tient aucun compte de l’évolution sociopolitique de notre pays et des signaux que lui envoie le peuple.
Le contexte actuel est marqué du sceau de la pandémie de Covid-19, avec ses effets déstabilisateurs intrinsèques et ses conséquences économiques catastrophiques, à l’origine d’un climat social exécrable. Cet état de fait vient se greffer sur une gouvernance autoritaire, caractéristique du pouvoir yakaariste, mais qui se heurte à une résistance croissante, depuis février – mars 2021, quand la jeunesse, très insatisfaite du sort qui lui est fait par les politiques publiques, s’est fermement opposée à ce qu’elle considérait comme une nouvelle cabale contre un homme politique de l’opposition, après celles ayant ciblé Karim Wade et de Khalifa Sall.
Face à ces mutations significatives de la scène politique, qui devraient appeler des stratégies de riposte intelligente, le pouvoir de Macky Sall fait preuve d’un entêtement suicidaire lié à une incapacité à innover voire à un immobilisme affligeant, qu’illustrent de manière quasi-caricaturale les refus de procéder à la nomination d’un Premier ministre et à la formation d’un nouveau gouvernement.
Pire, la reconduction du parrainage ressemble, à s’y méprendre à une provocation insensée, si ce ne sont les ultimes soubresauts de la bête blessée à mort. Elle est, en tout cas, une violation de l’arrêt de la CEDEAO en date du 28 avril 2021, qui n’honore pas ses auteurs et appelle une réponse politique.
Vers l’après-Macky
Il est grand temps, pour les hommes politiques de la majorité de réaliser que leur marge de manœuvre s’est considérablement rétrécie. Les mésententes notées lors du choix des candidats de la majorité aux dernières locales, avec une profusion de listes parallèles, outre qu’elles ont de fortes chances de se renouveler, renseignent sur l’état de déliquescence de la coalition Benno Bokk Yakaar.
Derrière l’unité de façade basée plus sur la recherche de dividendes politiques et des gains matériels, que sur des convergences programmatiques, la coalition présidentielle apparaît, de plus en plus comme un fronton lézardé, chancelant, sur des piliers en ruine, que sont censés être les éléments du groupe que la coalition Macky 2012 qualifie de « Benno des 5 ».
Le bon sens politique leur commande de procéder à une restructuration de la nébuleuse, qui leur tient lieu de coalition et au choix de leur présumé dauphin (appelé à se faire battre à la prochaine présidentielle), ce qui suppose qu’ils s’accordent sur un agenda consensuel.
L’opposition, quant à elle, doit éviter de dormir sur ses lauriers en pensant que la victoire aux législatives est déjà acquise. Dans ce cadre, c’est moins le destin d’individualités, aussi remarquables qu’elles puissent être, qui est important que les accords programmatiques pour une véritable alternative sociopolitique, qui prime sur tout le reste.
Yewwi Askan Wi et les autres partis d’opposition devraient aussi prendre de la hauteur et éviter les querelles byzantines, dans lesquelles se complaisent un pouvoir en fin de parcours et ses thuriféraires.
La meilleure façon de consolider le succès politique du 23 janvier 2022 consiste précisément à élaborer un programme politique, dont les larges masses populaires devront s’approprier et qui, à notre humble avis, devrait s’inspirer de la dynamique des Assises nationales.
PAR NIOXOR TINE