Les grandes gueules de la République 

par pierre Dieme

Du temps des Présidents Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, le Sénégal indépendant avait bâti une République avec de solides institutions. Les nominations qui passaient devant le Conseil des ministres étaient au préalable soumises au redoutable principe des enquêtes de moralité. Il était ainsi rare, voire quasiment impossible, de voir ces deux chefs d’État faire des erreurs de casting dans le choix de leurs hommes. C’est véritablement sous les magistères des présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall que certaines institutions ont été dévoyées pour ne pas dire désacralisées. Les choix des hommes qui nous gouvernent par ces deux derniers chefs d’État ont été des plus laborieux. Et l’affaire de l’ex-patron de la Délégation générale de l’entrepreneuriat rapide des femmes et des jeunes (DER/FJ) à la langue particulièrement élastique n’est que l’arbre qui cache la forêt. Avant lui, d’autres, même dans la grande muette et la maréchaussée, ont été radiés de la fonction publique pour abus de parole. Cependant, le Témoin qui a beau creusé, n’a point trouvé dans le lot de ces fonctionnaires indélicats, un membre de la gent féminine.

Moustapha Cissé Lo, première et dernière victime de la patrie avant le parti

Le vendredi 13 juillet 2012, Moustapha Cissé Lo El Pistolero, est éjecté de son fauteuil de ministre-conseiller à la présidence de la République. Il lui est reproché un manque notoire de discipline et d’exercer un chantage sur le chef de l’État, Macky Sall. En fait, le député de Mbacké goûte peu que le moelleux fauteuil de président de l’Assemblée nationale soit réservé à Moustapha Niasse de l’Alliance des forces de progrès (AFP). Moustapha Cissé Lô, membre fondateur de l’Alliance pour la République (APR), est ainsi la première victime de Macky Sall qui a lancé aussitôt son accession à la magistrature suprême du pays, le slogan ‘la patrie avant le parti». Le même Moustapha Cissé Lo sera exclu définitivement des rangs de l’Apr, le 6 juillet 2020 par la Commission de discipline de ladite formation politique. Dans un enregistrement audio viral, «El Pistolero» insulte copieusement deux responsables politiques proches du président de la Présidence (Farba Ngom et Yakham Mbaye) et dénonce des détournements de deniers publics notamment sur les quotas des semences et engrais attribués sous le manteau à un cercle restreint de pontes au pouvoir.

Ousmane Sonko, d’inspecteur des impôts radié à principal opposant de Macky Sall

Par décret N°2016-1239 en date du 30 août 2016, le Président Macky Sall radie Ousmane Sonko, auditeur interne à la Direction générale des Impôts et Domaines (DGID), chargé de la rédaction de la charte de déontologie de cette corporation. Il est reproché à ce natif de la cité du Rail (Thiès) qui a grandi en Casamance et effectué ses études supérieures à l’université Gaston Berger de Saint-Louis puis à l’École nationale d’administration (ENA), ses critiques récurrentes sur le gouvernement qu’il accuse d’anomalies fiscales et budgétaires. Très en verve, Ousmane Sonko qui a porté, en avril 2005, sur les fonts baptismaux le Syndicat autonome des agents des impôts et domaines (SAID) dont il est le premier secrétaire général jusqu’au mois de juin 2012, fait de Macky Sall sa principale cible. Ce dernier le suspend de ses fonctions dans un premier temps avant de le radier définitivement à la date sus-indiquée de la fonction publique pour «manquements au devoir de réserve». Depuis, Ousmane Sonko qui avait créé 2 ans auparavant le parti des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF) est le principal opposant du régime du Président Macky Sall. Il est élu député à l’Assemblée nationale en 2017, est candidat à la présidentielle de 2019 où il termine à la troisième place avec un score de plus de 687 000 voix soit 15,67% des suffrages valablement exprimés. Aux dernières élections locales de janvier 2022, Ousmane Sonko qui est empêtré dans une sordide affaire de mœurs toujours pendante devant la justice, est élu maire de Ziguinchor.

Le Colonel Abdou Aziz Ndao brise l’omerta du Silence

En fin juillet 2014, le Colonel de gendarmerie, Abdou Aziz Ndao recalé au grade de Général sort un brûlot qui va défrayer la Chronique. «Pour l’honneur de la Gendarmerie», le titre de son ouvrage, met à nu certaines pratiques peu catholiques au sein de la Maréchaussée. L’auteur y dénonce aussi le fait que ses deux successeurs aux fonctions de Haut commandant en second de la Gendarmerie nationale, en l’occurrence les Meissa Niang et Alioune Dièye étrennent des étoiles et pas lui. Il révèle une maffia organisée dans ce corps réputé pour la discrétion de ses dirigeants relativement au Code de justice militaire. Mis aux arrêts de rigueur pendant 60 jours, cet officier émérite qui était à trois mois de la retraite sera sauvé de la radiation.

Capitaine Mamadou Dièye, brise la loi du silence dans la Grande muette

Le 11 mai 2018, le capitaine Mamadou Dièye qui avait annoncé sa décision de quitter l’Armée nationale est arrêté devant les locaux d’un site internet de la place. Il sera placé aux arrêts de rigueur pendant 60 jours à Bargny. Cet officier de l’armée qui est sorti des codes de conduite de la Grande muette dont le silence et l’obéissance régissent les rangs, est aussitôt radié après son élargissement de prison, des cadres d’active de l’Armée et versé dans les réserves comme soldat conformément à l’article 17 de la loi 94-44 portant Code de justice militaire pour désertion à l’intérieur en temps de paix.

Abdoulaye Ndour, le patron des moyens généraux de la présidence à la trappe

Le 13 mai 2018, Abdoulaye Ndour alors Directeur de l’administration générale et de l’équipement (DAGE) de la présidence de la République en marge d’un événement culturel dans la ville de Fatick, accorde une interview à la Rfm. Se prononçant sur la situation nationale marquée alors par l’affaire du capitaine démissionnaire Mamadou Dièye, un officier de l’armée arrêté puis radié de sa corporation pour «désertion», le fonctionnaire de l’État se délie la langue, sort de son droit de réserve qui caractérise les agents de l’administration et émet des jugements de valeur relativement à la liberté d’expression dans la fonction publique notamment dans les corporations régies par des statuts spéciaux. Une faute grave sur une question sensible, surtout que d’autres officiers, sous le sceau de l’anonymat, fustigeaient l’arrestation et la radiation de leur camarade d’armes. Le chef de l’État, Macky Sall, par décret en date du 15 mai 2018, met fin aux fonctions du patron des moyens généraux de la Présidence. Dans un communiqué rendu public après son limogeage, Abdoulaye Ndour regrette ses propos qui ont suscité l’émoi pour certains, et pour d’autres, provoque une ire «en cette circonstance. «Ma volonté et mon intention étaient autres que de secouer un dogme encore vivace dans notre État et notre administration ; je me dois d’admettre ainsi que ni le moment, ni le lieu, n’étaient point appropriés pour un sujet aussi sensible à plusieurs égards. Il s’y ajoute, que le parcours de fonctionnaire chevronné (SAGE, DAGE dans plusieurs Ministères), qui est le mien, façonné aux principes républicains rigoureux, et d’homme politique averti (parlementaire, responsable politique), auraient dû me ramener à beaucoup plus de circonspection sur un tel sujet ; sans compter mes postures toutes aussi sensibles de membre du cabinet du chef suprême des Armées et celle de Directeur des moyens généraux (DMG) de la Présidence de la République qui, naturellement, m’interdisent, évocation et développement sur une thématique qui ne devraient être point la mienne», publiait en guise de mea culpa Abdoulaye Ndour, emporté par le vent de l’affaire du capitaine Mamadou Dièye.

Sory Kaba, le syndrome du 3e mandat

Le 21 octobre 2019, le chef de l’État par décret 2019-1763 nomme Amadou François Gaye, expert-financier, Directeur général des Sénégalais de l’extérieur, au Ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, en remplacement de Monsieur Sory Fantamady Kaba. Un décret pris après le passage de M. Kaba à l’émission hebdomadaire de la Rfm, «Le Grand Jury». Au cours de cette émission du dimanche, Sory Kaba alors en délicatesse au niveau du ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur où une vive rivalité l’oppose à Moïse Sarr, Secrétaire d’État chargé des Sénégalais de l’extérieur, aborde une question taboue dans les rangs de la mouvance présidentielle : celle du 3ème mandat. Devant le micro du journaliste de la Rfm, l’invité de la semaine soutient que son mentor, le Président Macky Sall, réélu en 2019 n’a plus droit à un autre mandat selon les dispositions pertinentes de la Constitution qu’il interprète à l’occasion. C’est le branle-bas au sommet de l’État où les thuriféraires du chef, partisans d’un troisième mandat demandent et obtiennent sa tête.

Moustapha Diakhate, dans la marre aux crocodiles

Après Sory Fantamady Kaba emporté par le sujet tabou du troisième mandat, c’est au tour du tonitruant Moustapha Diakhaté d’entrer dans la danse. Invité de l’émission Sen Jotaay sur la Sen Tv, l’ancien président du groupe parlementaire de la majorité présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY) recyclé à la Présidence de la République, prend son courage à deux mains pour se jeter dans la marre aux crocodiles. Il soutient qu’il lui est égal d’être limogé mais que la manière dont Macky Sall veut mettre un terme à cette polémique est contre-productive. «S’il veut limoger toute personne qui en parle ou des gens de l’Apr insultent ceux qui expriment leur point de vue, cela pose problème. Le Président ne devrait pas cautionner ces insultes et le limogeage de Sory Kaba a créé plus de problèmes qu’il en a réglés. Il m’est égal d’être limogé ou maintenu à mon poste», jure t-il la main sur le cœur. Le lendemain de ces propos, le 28 octobre 2019 plus exactement, par décret 2019-1800, le chef de l’État met fin aux fonctions du ministre-conseiller Moustapha Diakhaté.

Capitaine Oumar Touré, dans l’imbroglio de l’affaire Adji Sarr

Alors que le Sénégal était de plain-pied dans l’imbroglio de l’affaire de viol présumé opposant la sulfureuse masseuse Adji Sarr au leader du parti PASTEF, arrivé troisième à la dernière présidentielle de 2019, un capitaine de gendarmerie focalise, à son tour, l’attention générale. Gravitant autour de l’enquête confiée alors à la Section de recherches de la gendarmerie de Colonne, le Capitaine Oumar Touré sort de son réserve et fait de croustillantes révélations sur l’affaire, confortant d’aucuns dans la thèse d’un complot prémédité aux fins de liquider un adversaire politique encombrant. Il sera aussi arrêté et mis aux arrêts de rigueur. Depuis Matam où il effectue une tournée économique, le chef de l’État signe le 17 juin 2021, le décret N°2021-830 portant sa radiation des cadres de la gendarmerie nationale sénégalaise. Le mercredi 07 juillet, l’ex- capitaine, décidément un tantinet bavard, revient à la charge, dans une lettre épistolaire adressée à…ses chers compatriotes. Il y retrace son parcours depuis son incorporation le 03 décembre 2012, rappelle son serment qui est d’obéir à ses chefs, remercie ses camarades d’armes et réitère sa gratitude au peuple sénégalais et à toutes ces personnes qui lui ont apporté soutien et réconfort à travers les réseaux sociaux.

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