Un premier ministre introuvable….

par pierre Dieme

Le chef de l’Etat, Macky Sall n’a toujours pas nommé un Premier ministre. Ses soutiens qui justifiaient l’urgence de restaurer ce poste, justifient encore le statu quo constaté depuis l’annonce de la restauration du poste de Pm. Un décalage dans le discours qui fait se poser des questions sur un faux alibi.

L’attente semble interminable. Elle crée une certaine lassitude, trois mois après l’adoption du projet de révision constitutionnelle n°38/2021 par l’Assemblée nationale, restaurant le poste de Premier ministre. Le peuple est toujours sans explications concrètes. Si à l’annonce de la décision du chef de l’Etat, ses ouailles ont évoqué un calendrier chargé avec la présidence de l’Union africaine, qui justifierait l’urgence de nommer un Premier ministre pour gérer le quotidien du gouvernement, des mois après, le discours est tout autre. Dans les rangs de la mouvance présidentielle, l’on soutient avec force détails que le Président Macky Sall a la latitude de nommer un Premier ministre quand il le voudra et qu’il n’y a aucune urgence à lui mettre la pression puisque pendant longtemps, il a lui-même géré son gouvernement. Certains comme l’ancien Premier ministre, Aminata Touré, lui ont même conseillé de nommer le chef du gouvernement après les élections Législatives du 31 juillet prochain, c’est-à-dire 8 mois après l’annonce de la restauration du poste de de Pm, 7 mois après l’adoption et la promulgation de la loi. Un décalage énorme. La longue attente a-t-elle mis en abîme les arguments du retour du PM tant chanté par la majorité ? Momar Thiam, Docteur en communication et marketing politique croit savoir que le schéma a été faussé depuis l’annonce de la volonté du chef de l’Etat de restaurer le poste de Premier ministre. «Le chef de l’Etat a commis une imprudence politique en annonçant la restauration, alors qu’on était à la veille de la préparation des élections locales», assure Dr Thiam. La suite on la connaît. Macky Sall traîne toujours le pas et ses soutiens qui ne manquent presque jamais d’arguments sont obligés de surfer sur la vague de justification.

«Ceux qui passaient leur temps à justifier la restauration du poste de Premier ministre trouvent aujourd’hui le moyen de justifier cette non-restauration»

Le chef de l’Etat a donc pris un énorme risque en annonçant la restauration du poste de Premier ministre à la veille des Locales, peut-être loin de s’imaginer qu’il pouvait perdre certaines grandes villes et surtout la capitale. Ses calculs et schémas politiques ont donc été fortement sapés par l’issue des Locales et surtout remis en cause les arguments donnés çà et là pour justifier le retour du Premier ministre dans l’attelage gouvernemental. «Malheureusement, on a vu avec le déroulé des Locales et les résultats ; la perte de certaines communes, de certaines régions et la non-qualification du pouvoir à Dakar, que cela a été contre-productif. A partir du moment où le Président décide de restituer le poste de Premier ministre, ceux qui sont avec lui n’ont pas été dans l’explication ou la légitimation de la restauration du poste de Premier ministre mais, ont été plus dans la justification de cette restauration. En matière de communication, quand on se met à justifier un acte posé ou une parole déjà dite forcément, on s’expose à la critique et aux commentaires, on n’est plus dans l’analyse, mais dans le commentaire. A partir de ce moment, vous n’avez plus de prise sur le débat et le message risque d’être complètement déformé.» Avec cette nouvelle posture des tenants du pouvoir, Dr Thiam estime qu’ils sont bien conscients que l’issue des Locales a été le principal frein à la nomination du Pm, mais qu’ils ne veulent pas pour autant le dire. «La question qui se pose c’est est-ce qu’il y avait opportunité de faire une telle annonce, ce qui fait que ce décalage dans leur discours existe. Ceux qui passaient leur temps à justifier la restauration du poste de Premier ministre trouvent aujourd’hui le moyen de justifier cette non-restauration tout de suite et disent même que le Président doit attendre après les Législatives. On reconnaît que cette défaite lors des Locales a été un frein à la restauration du poste de Premier ministre. Si on restaure le poste de Premier ministre, ça pourrait influer négativement, de manière contre-productive sur les élections législatives. C’est méconnaître la nature des élections. C’est accepter que s’il le fait maintenant, il peut être désavoué lors des Législatives», explique Dr Thiam. Qui poursuit : «En communication, les paroles doivent être suivies d’actes. A force de traîner, de prendre du temps, l’opinion peut avoir une perception négative d’une décision que vous avez prise. Soit, vous manquez d’allant ou d’élan, soit, vous n’êtes pas capables de maîtriser ce que vous dites puisque les paroles ne suivent pas.»

«On est toujours dans une espèce de machination politique»

Un décalage dans les discours qui n’est pas nouveau, selon Dr Momar Thiam. «C’est l’attitude de nos gouvernants en face du chef, rappelle-t-il. Le Chef dit quelque chose, on ne cherche pas à l’expliquer, mais à le justifier. Il y a une erreur de communication de la part de ceux qui tentent de justifier cela, c’est aussi dire une chose et se renier. Le ‘’wax waxeet’’ est plus ou moins engouffré dans ce décalage entre ces deux discours. Cela va nuire à la parole publique pour ne pas dire à la parole présidentielle.» Pour Dr Thiam, nommer un Premier ministre dans l’immédiat pourrait faire naître un nouvel espoir, mais cet élan est brisé par ces deux discours contradictoires qui consistent, dans un premier temps, à se justifier la nomination du Premier ministre et à se dédire pour dire qu’on va attendre après les Législatives. «On est toujours dans une espèce de machination politique», avoue Dr Thiam. Une machination politique justifiée surtout par les élections législatives. Moussa Diaw, Enseignant-Chercheur à l’université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, Docteur en Sciences politique : «Il y a l’approche des élections législatives, à quatre mois avec les incertitudes qui seront liées à l’action du gouvernement, s’il est formé ces jours-ci. Il n’aura pas le temps. Il y a des risques qui sont liés à un changement de gouvernement à quatre mois des élections. Un risque qui serait consécutif à la percée de l’opposition. Il n’y aurait pas de cohérence. Ça risque de le plonger dans des situations politiques très difficiles. Le président de la République était très pressé la restauration du poste de Premier ministre et de donner un calendrier.»
 

«Le président Macky Sall est rattrapé par la Realpolitik»

Un empressement qui fait que le chef de l’Etat n’avait pas pris en compte une possible débâcle aux Locales en annonçant la restauration du poste de Premier ministre. «Macky Sall est rattrapé par la Realpolitik. Il avait fait une interprétation arithmétique des élections locales, mais quand on regarde bien la réalité, il y a une forte percée de l’opposition, notamment dans les grandes villes où il y a une dense concentration électorale. Il y a d’autres facteurs qui sont en rapport avec la situation politique, les mouvements sociaux au niveau de l’éducation nationale, de la santé, des mécontentements qui cristallisent un certain nombre de mécontentement de syndicats ou de populations qui ont du mal à accepter la gouvernance économique politique et sociale de la majorité», explique Dr Diaw. A cela, s’ajoute, selon lui, climat incertain, un peu lourd, dans lequel le président a du mal à éclaircir les positions des uns et des autres ou à respecter ses annonces. «L’écart qu’il y a entre l’énonciation d’un discours et sa traduction dans la réalité remet en cause tout ce qui a été avancé comme argument parce qu’on avait dit que le Président serait chargé pour s’occuper des affaires intérieures parce que les questions africaines sont prenantes. Ça renforce le doute et le manque de confiance. Rien n’a été respecté. On est aujourd’hui dans le silence, en manque de communication sur ces questions-là. Le président s’est retrouvé dans une situation difficile. Dans une interview accordée à RFI, il avait dit qu’il avait quelqu’un en tête. C’est légitime de se demander si ce quelqu’un-là ne fait pas partie des membres du gouvernement qui ont été investis et qui ont échoué ? Si c’est le cas, il doit changer de registre parce que politiquement, c’est trop risqué. Ces facteurs expliquent le fait qu’on soit dans une situation latente. Le Président a du mal à trouver des justifications à ce silence, au fait qu’il ne parvient pas ou ne voudrait pas nommer un Premier ministre.»

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