Dans sa politique de massification, Macky Sall n’a que deux stratégies gagnantes : la transhumance coercitive ou les ennuis judiciaires. Mais pour combien de temps encore ?
Si à la veille de présidentielle de 2012, le candidat de Macky 2012 a déclaré à la télévision Walf TV que la transhumance est un cancer de la politique sénégalaise qu’il faut juguler voire éradiquer, une fois élu, il aura tôt fait de se raviser au contact de la realpolitik. Kaffrine aura été l’endroit idoine pour redéfinir positivement le nomadisme politique pourtant flétri dans notre Constitution.
« Ne parlons pas de transhumance qui a une charge très péjorative. Le terme n’est pas acceptable. Mais, il ne faut pas oublier que nous sommes dans une démocratie. La liberté d’aller et venir est garantie par la Constitution. On ne peut pas mettre les gens dans des carcans politiques. Lorsque vous avez une majorité, il faut chercher à la consolider en allant chercher dans le camp adverse, dans l’opposition… Que quelqu’un quitte un parti où il ne se sent plus à l’aise pour rejoindre un autre parti, il n’y a rien de plus normal… Nous n’accueillons pas des responsables politiques de l’opposition à coût de milliards ou avec des postes. Non ! Nous sommes dans une logique politique. Nous cherchons à renforcer notre majorité pour gagner le premier tour. Le mot d’ordre : c’est l’ouverture. Amenez des gens d’où qu’ils viennent avec n’importe quel moyen. Nous allons réduire l’opposition à sa plus simple expression. Ça va continuer », dixit le leader de l’Alliance pour la République (APR), le 16 avril 2015 lors d’une conférence de presse à Kaffrine.
Dans sa politique de massification, Macky Sall n’a que deux stratégies gagnantes : la transhumance coercitive ou les ennuis judiciaires. Les politiciens qui l’ont compris très tôt ont transhumé pour échapper au sabre judiciaire et les rétifs coriaces ont subi les rigueurs de l’enfer carcéral.
PDS : le bâton ou la carotte
Le PDS qui a voulu s’imposer comme la principale force politique de l’opposition, après la chute de son leader en 2012, afin de faire barrage au tout nouveau président élu, a été la première cible de Macky Sall. La mal-gouvernance du magistère de Wade à laquelle Macky Sall a été acteur clé pendant huit ans a été un prétexte pour réactiver la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), mettre aux arrêts le nouveau leader, Karim Wade, déstabiliser le PDS et contraindre certains libéraux à transhumer pour éviter la prison. Les responsables Oumar Sarr, El Hadji Amadou Sall, Aminata Nguirane, Aïda Ndiongue, Toussaint Manga feront la prison pour des raisons purement politiques. Si pour les libéraux susnommés Macky avait choisi le bâton, pour d’autres, il a choisi la carotte. Farba Senghor, Pape Samba Mboup, Serigne Mbacké Niaye, Souleymane Ndéné Ndiaye, Modou Diagne Fada, Aliou Sow et autres transhumants-ralliés ne diront pas le contraire. Aujourd’hui, la bande à Oumar Sarr composée d’Amadou Sall, Babacar Gaye, Bamba Ndiaye, malgré toute la radicalité affichée pendant les premières années de la gouvernance de Macky prend part au festin gouvernemental.
La même tactique pour déstabiliser le PDS est utilisée par le chef de Bennoo Bokk Yaakaar pour venir à bout de l’allié socialiste. Le bâton a été utilisé pour neutraliser Khalifa Sall et ses lieutenants, qui dès le début de l’alternance de 2012, ont manifesté des velléités de sécession vis-à-vis de Tanor et compagnie. Ainsi en 2013, la machine politico-judiciaire de l’État a été aussi mise en branle pour neutraliser voire éliminer politiquement le maire de Dakar qui, à l’instar de Karim Wade, serait un obstacle pour la réélection de Macky en 2019.
Khalifa Sall : le sabre judiciaire
Pour déstabiliser Khalifa Sall sourd aux sirènes du pouvoir, l’État a commencé par la mise en place de l’Acte III de la Décentralisation qui dépouilla le maire de Dakar de l’essentiel de ses pouvoirs et prérogatives. S’ensuivirent la mise à l’arrêt du pavage des rues de la capitale, le dessaisissement de la gestion des ordures au profit de l’UCG contrôlée directement par le ministère de la Gouvernance locale, du Développement et de l’Aménagement du Territoire, le blocage d’un emprunt obligataire de 20 milliards approuvé pourtant par le Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers (Crepmf), le blocage des travaux d’embellissement de la Place de l’Indépendance. Mais le point d’orgue sera atteint quand, à la suite d’une mission d’inspection à la mairie de Dakar, Khalifa sera accusé, jugé et condamné à cinq de réclusion pour « escroquerie sur des deniers publics » avant d’être gracié. Certains maires élus en 2014 (dont certains ont été battus lors des locales de 2022) sous la bannière de Taxawu Senegal qu’il dirige ont tourné casaque pour rejoindre, à leur corps défendant, le pouvoir. On peut en citer Bamba Fall, Banda Diop, Ousmane Ndoye, Moussa Sy, Pape Seck, Aliou Ndoye et Jean-Baptiste Diouf qui n’ont pas été des parangons de bonne gouvernance.
Si Macky a utilisé la manière forte pour mettre à carreaux les dissidents khalifistes du PS, il a usé de l’arme alimentaire pour domestiquer voire phagocyter Tanor et les siens. Des ministères, des postes de députés, de direction et d’agence et un Haut conseil auront suffi pour inciter le défunt leader socialiste à al ler à Canossa. Dans le même registre de soumission à Macky Sall, 82 secrétaires généraux (sur 138) de coordination du Parti socialiste réunis le 21 octobre 2017 avaient donné leur imprimatur au bureau politique pour acter l’exclusion de Khalifa Sall, d’Aïssata Tall Sall, de Bamba Fall, de Barthélemy Dias
Moustapha Niasse, quant à lui, avait exprimé tôt son soutien à Macky Sall à la présidentielle de 2019 depuis 2013. Ce soutien décidé unilatéralement et prématurément avait précipité le départ de Malick Gakou et d’autres responsables jeunes progressistes. Aujourd’hui l’AFP n’existe que de nom dans la mesure où l’essentiel de ses militants préfère le combat d’opposition à la soumission.
La gauche communiste anesthésiée
Dans les combats qui ont mené aux alternances de 2000 et de 2012, la gauche historique incarnée par le PIT, la LD et AJ y a joué un rôle prépondérant. On se souvient du pôle de gauche qui a été le catalyseur de la victoire de Wade en 2000. Cette même gauche a été un artisan dans la victoire de 2012. Mais aujourd’hui cette gauche a perdu sa dignité. Elle a renoncé à la lutte des classes pour la lutte des places. L’ambition de promouvoir la masse populaire a cédé la place à l’instinct de survie individuelle. Jouissant des voluptés du pouvoir, Amath Dansokho, Ibrahima Sène, Moussa Sarr, Nicolas Ndiaye, Momar Samb, Ousmane Badiane, Aminata Touré, Mahmout Saleh et d’autres pontes de la gauche léniniste, trotskyste ou maoïste ont rangé les armes de la critique dans le fourreau des passe-droits et autres avantages pécuniaires. Ibrahima Sène, PCA de la Miferso est devenu et le thuriféraire et l’avocat numéro 1 de Macky dans les réseaux sociaux. Ce même Macky Sall qu’il avait accusé en 2012 d’être le candidat des loges maçonniques et des LGBT. La gauche incendiaire anesthésiée, ramollie, survit aujourd’hui grâce à la perfusion alimentaire de sa Majesté.
Rewmi : les jouissances du « mourok-sow »
Rewmi, le dernier parti qui a quitté l’opposition pour aller goûter aux jouissances du « mbourok-sow », subit les conséquences désastreuses de son alliance avec l’APR. Les élections locales ont montré à suffisance que le parti d’Idrissa Seck a perdu dans le salmigondis moisi du « mbourok-sow ». La preuve, les 129 724 électeurs qui avaient massivement voté lors de la présidentielle de 2019 pour Idrissa Seck ont refusé de se rendre aux urnes lors des locales. Seuls 29 électeurs ont voté pour la coalition « mbourok-sow » contre 103 bulletins blancs.
Aujourd’hui, le PDS est à nouveau dans le viseur du président Macky Sall. Mais la stratégie présidentielle change. Il ne s’agit plus d’agiter le bâton judiciaire comme en 2013 mais la carotte pour apaiser la faim occasionnée par dix rudes années de traversée du désert de l’opposition. Le nouveau stade de Diameniadio baptisé Abdoulaye Wade est un tapis rouge déroulé au PDS pour rejoindre la coalition présidentielle. L’objectif visé est de neutraliser le restant du PDS et de captiver ses 440 000 voix obtenues lors des locales.
La récente sortie de Doudou Wade (Grand Jury de la RFM du 27 février 2022) qui divise le parti libéral et l’intervention du porte-parole adjoint de l’APR Abdou Mbow (édition du 28 février 2022 de la mi-journée de la RFM) laissent présager un rapprochement entre le PDS et l’APR. Le gouvernement en vue où certains apparatchiks libéraux ne cracheraient sur un maroquin ou strapontin risque de rapetisser davantage le périmètre électoral du PDS fortement réduit depuis 2012.
Si Macky avait déclaré qu’il allait réduire l’opposition à sa plus simple expression, il faut souligner que ce postulat s’applique plus aussi à ses alliés ou ralliés. Notamment la LD, le PIT, le PS, l’AFP et le Rewmi.
Quant aux opposants radicaux Yewistes, à défaut de les avoir comme alliés ou de démanteler leur coalition, Macky envisage de maintenir sous pression judiciaire ses leaders les plus charismatiques : Ousmane Sonko avec l’affaire Adji Sarr, Barthélémy Dias avec l’affaire Ndiaga Diouf et Khalifa Sall toujours privé illégalement de ses droits civils et politiques.
C’est dire donc que le président de la République emploie avec efficacité la tactique du « diviser pour régner » ou la contrainte judiciaire. En procédant ainsi, le leader de la coalition yakariste est parvenu à affaiblir ses alliés, ses ralliés et certains encore-adversaires et à réduire leur capacité d’entente et de cohésion. Le but d’une telle stratégie mackyavélique du président est de continuer à régner en tout absolutisme dans le jeu politique et de préparer sereinement les modalités de son départ en 2024.
Ainsi la monstruosité de Macky se manifeste à travers sa capacité à maîtriser le jeu politique et à le rythmer à sa guise. Mais pour combien de temps encore ?
Serigne Saliou Guèye de SenePlus