En transhumant officiellement cette fois-ci, le maire de la Médina ne fait que confirmer tout le travail mené pour Macky Sall depuis 2017 en sa qualité de cheval de Troie du pouvoir au sein de l’opposition
Décidément, la victoire des Lions à la Coupe d’Afrique des Nations est un bon prétexte pour assouvir des appétits mal étouffés. Si certains fédéraux ont glissé des proches dans la liste officielle de la délégation au Cameroun pour leur faire bénéficier des primes et autres terrains offerts par le président de la République, d’autres en profitent pour faire le grand saut et se rapprocher du pouvoir.
Bamba Fall, élu maire de la Médina le 23 janvier dernier, a saisi la balle de la victoire et de l’euphorie pour déclarer sa flamme politique au chef de l’Etat. « La Coupe d’Afrique des nations a fini de regrouper toutes les sensibilités du pays. Je m’en félicite vivement et je profite de cette occasion pour lancer un appel solennel à toute l’opposition sénégalaise.
Les élections sont derrière nous, j’invite tous les leaders à rejoindre le président Macky Sall pour l’intérêt supérieur de la nation. Car je suis persuadé que chacun de nous a un rôle à jouer pour la construction du pays. Qu’on arrête alors d’instrumentaliser les jeunes. Soyons tous unis derrière nos élus, d’opposition comme du pouvoir, pour la construction du pays. Je vais rejoindre le Président et travailler à ses côtés parce que c’est le moment. On fait de la politique depuis des mois, et il y a un moment pour cela et un moment pour travailler. Et on nous a élus pour cela. On ne peut pas travailler sans que le président nous accompagne et on a vu que le sacre des Lions n’a été possible que parce que tout le peuple sénégalais a fait bloc autour des futurs champions d’Afrique… » a déclaré Bamba Fall le jour de la victoire des « Lions ».
Ces propos annonciateurs d’une transhumance sans vergogne ont été suivis d’effet. Le 14 février — jour de la saint-Valentin ! —, un peu avant minuit, l’édile de la Médina a brandi à tout vent le décret le nommant ministre conseiller auprès du président de la République. Ce rapprochement soudain a surpris beaucoup de Sénégalais alors qu’en réalité, Bamba n’a jamais été éloigné du camp présidentiel depuis qu’il est sorti de prison le 25 avril 2017. Quelques jours après son élargissement, il avait organisé un meeting de condoléances à la suite du décès de son oncle.
Devant le Premier ministre Mahammad Boun Abdallah Dionne venu avec une forte délégation présenter les condoléances du chef de l’Etat à cette occasion, le maire de la Médina s’était extasié en ces termes qui fleuraient don déjà la transhumance : « monsieur le Premier ministre, je vous demande de passer mes salutations à mon grand frère le président de la République, Macky Sall. C’est un homme bon. Certains ne savent pas faire la distinction et ils disent « est-ce qu’il ne veut pas transhumer ? » Moi je serai un socialiste à vie, mais je ne rabaisserai pas celui qui fait un acte d’une si haute portée à mon endroit. J’ai eu un décès, certains membres de mon parti ne sont même venus ici, alors que quelqu’un d’autre, qui n’est même pas du même parti que moi, vient compatir à ma douleur. Et on veut que je les mette au même pied. Non, je ne le ferai jamais ! » s’était-il extasié.
Voulant témoigner au président Sall toute sa gratitude pour cet « acte de haute portée et haute signification » surtout que le Premier ministre était venu avec une énorme enveloppe contenant un « diakhal » consistant, l’édile de la Médina avait renchéri en ces termes : « Que le président de la République, avec tous mes mots acerbes que je lui envoie dans le cadre de la politique, m’envoie son premier ministre, cet homme qui lui est si cher, pour venir me témoigner sa compassion, je salue vraiment cet acte. Te teranga dinako fay (Je le lui revaudrai, en wolof). Moi je n’ai pas de maître en politique. Ce que le président vient de faire, si cela ne suffit p as à quelqu’un, rien ne lui suffira. Car c’est très fort. Dis au Président que c’est un acte fort, je suis comblé. Je lui rendrai la monnaie de sa pièce ». Eh bien, il vient de la lui rendre, cette monnaie de la pièce du président Macky Sall ! Mieux, lors du Festival international Soninké qui s’était tenu le 21 février 2018, au stade Iba Mar Diop, le maire de la Médina n’avait pas tari d’éloges obséquieux à l’endroit du président de la République : « Vous êtes un Président généreux, un président très proche de sa population.»
Aujourd’hui, Bamba rend la pièce de la monnaie à Macky Sall en s’accointant avec lui. Depuis qu’il est sorti de prison, Bamba ne s’est plus investi comme un opposant au président Macky. Sa seule opposition, c’est à Cheikh Ba et au souspréfet Djibril Diallo. Une opposition qui ne sera plus d’ailleurs qu’un mauvais souvenir puisque l’honorable Bamba vient de rejoint le Mbourou ak Sow qui a pris du plomb dans l’aile depuis les élections locales du 23 janvier dernier. D’ailleurs quand Taxawu Dakar avait perdu les législatives de juillet 2017 au niveau de Dakar à cause du renversement de la situation aux Parcelles assainies, d’un côté, certains khalifistes avaient reproché au maire de la Médina d’avoir fait du tape-à-l’œil pour appuyer souterrainement la victoire frauduleuse de Bennoo aux Parcelles assainies. Ainsi, en transhumant officiellement cette fois-ci, Bamba ne fait que confirmer tout le travail qu’il a eu à mener pour le président Macky Sall depuis 2017 en sa qualité de cheval de Troie du pouvoir au sein de l’opposition. D’un autre côté, des responsables politiques disent que le pouvoir détient des preuves de scandale dans la gestion de la mairie de la Médina. Et que Bamba est obligé de transhumer sous peine d’être traduit en justice.
En décembre 2017, invité de Pape Alé Niang dans l’émission « Autour du micro », le maire de la Médina, évoquant l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar, avait balancé que Yakham Mbaye, alors dirpub du journal le Populaire, recevait un million de Khalifa Sall à chaque fête de Tabaski. Dans une réplique publiée par le journal L’Observateur, Yakham Mbaye s’était indigné des « mensonges » du maire de la Médina en déclarant ceci : « Lorsque je m’exprimerai, selon mon tempo, et en profondeur, dans les prochaines heures, il s’agira simplement de livrer des faits cimentés par des dates, en des lieux et avec des témoins précis ». Et Yakham de menacer l’édile de la Médina en ces termes : « Lorsque j’en finirai avec Bamba Fall, il est clair que les Sénégalais sauront qui est le vrai ripoux.»
Mais lors du meeting de condoléances du 15 février 2018, Bamba et Yakham se sont réconciliés façon bisounours et les menaces de déballage ont été enterrées au nom de la transhumance qui pointait déjà à l’horizon. Tout cela se passait au moment où son « ami » Khalifa Sall, alors maire de Dakar, était en procès. La décence morale et l’éthique de l’amitié auraient réprouvé les remerciements intéressés de l’édile en ces moments douloureux où Khalifa Sall, enveloppé dans un linceul judiciaire taillé par Macky Sall, « bienfaiteur » de Bamba Fall, était au bord l’enterrement politique. Et à la présidentielle de février 2019, Bamba a déclaré que Médina vote neutre puisque tous les candidats sont ses amis. Ce qui a soulevé l’ire des khalifistes qui assimilaient à juste titre une telle posture à une imposture qui ne faisait que renforcer Macky Sall.
Trahison politique
Dire que « je vais travailler pour le président de la République » est une façon de trahir et de détourner les suffrages des Médinois qui se sont démarqués de son rival Cheikh Ba pour l’élire. Etre dépositaire d’un mandat électif est un acte par lequel des mandants invitent un responsable politique à se mettre au service des populations par le travail. Donc dire que « je vais travailler pour le Président de la République », c’est faire preuve soit d’ignorance de ses responsabilités de maire, soit être dans une position mystificatrice pour tourner casaque. Et si dans sa station actuelle, Bamba ne comprend pas encore que les populations de la Médina lui ont signifié, le 23 janvier passé par un acte citoyen appelé vote, de travailler pour le bien de leur collectivité, le réveil risque d’être brutal pour lui aux prochaines législatives s’il est investi dans la liste majoritaire de Dakar.
Maintenant il appartient à Bougane Gueye Danny, leader de Gëm Sa Bopp, qui s’est beaucoup extasié de la victoire de Bamba Fall de clarifier sa position par rapport à la transhumance du maire de la Médina investi sous la bannière de son mouvement. Sans cela, il risque de donner raison à ceux qui supputent que le leader de GSB travaille aussi pour Macky Sall. Une chose est sûre : les militants « Takhawou Dakar » de la Médina avaient eu raison de s’opposer vigoureusement à une investiture de Bamba Fall sur les listes de Yewwi Askan Wi en disant que s’il était candidat, ils voteraient contre lui car c’est un traitre. Comme ils avaient raison !
Serigne Saliou Guèye