Après les «failles» aux élections locales, El Hadji Malick Sarr dit Luc, se projette vers les Législatives de juillet 2022. Mais, le conseiller politique du président de la République appelle à revoir l’alliance Benno bokk yaakaar après «l’échec de la conquête des bastions de l’opposition». Dans cet entretien, ce membre du Secrétariat exécutif national de l’Apr dénonce les «mauvaises informations» livrées au président de leur coalition lors des investitures.
Qu’est-ce qui a causé la défaite de Benno bokk yaakaar à Dakar, Thiès et Ziguinchor ?
Vous avez raison de poser cette question qui fait beaucoup parler. On annonce même que c’est la fin de Benno. Honnêtement, posons les problèmes dans leur véritable dimension. En 2014, lors des élections locales, nous avions été laminés à Dakar. Yoff nous avait sauvés et était la seule commune gagnée par le camp présidentiel. Des adversaires avaient remporté la Ville et les communes. En 2014, nous étions dans une phase de conquête de bastions de l’opposition. En 2022, nous étions dans une phase de défense des acquis. Il fallait défendre la majorité des collectivités territoriales, qui étaient entre nos mains. Il y a des bastions que nous avions acquis et qu’il fallait préserver et d’autres que nous n’avons jamais pu conquérir et qu’il fallait conquérir. Au finish, plus de 90% des communes que nous avions, demeurent encore sous notre responsabilité. Par contre, nous avons échoué pour la conquête de nouveaux bastions électoraux. C’est le cas de Dakar, Thiès et Ziguinchor. Nous avons échoué à conquérir ces collectivités en 2014 et en 2022. Mais personne ne saurait nier que de manière éclatante, nette et sans équivoque, le camp du président de la République a remporté ces élections locales. De plus, toutes les élections nationales, Macky Sall les a remportées à Dakar. Quand je parle ainsi, je fais la distinction entre les représentants du président de la République et le président de la République lui-même dans ces zones.
Donc le problème, ce sont les représentants du Président?
Absolument. Le problème, ce sont les relais politiques locaux. Dans le système de représentation politique locale, il y a des failles qui, en 2022, sont liées à beaucoup de facteurs. Pourquoi avons-nous perdu principalement à Dakar et dans certaines grandes villes ? La première raison, c’est l’impréparation organisationnelle. Il n’y a pas eu de réunion d’instances, ni du Secrétariat, ni du Conseil national, ni du directoire. Deuxième raison : on a tardivement pris en charge le fait électoral. On a laissé se multiplier les candidatures. Ce n’était pas de la démocratie, mais du démocratisme. Tout le monde était libre d’exprimer publiquement ses choix de candidat à la candidature. Quand il a fallu, à un mois, régler cette affaire, c’était trop tard. Des responsables qui s’étaient investis, ont procédé à des financements et payé très cher leur préparation à une élection ; qu’on leur dise qu’ils ne peuvent pas participer, avouez que c’est compliqué et difficile. C’était plus d’ordre individuel que d’ordre politique. Les lignes n’étaient pas claires dans la gestion du fait électoral. Résultats : il y a eu une floraison de listes parallèles. Ce sont les divisions qui ont précipité notre chute dans certaines zones, principalement à Dakar. Ces divisions nous ont été fatales. L’assurance de nos candidats dans certaines zones, a frisé l’arrogance dans les relations sociales avec les populations.
Quand vous parlez d’arrogance, peut-on mettre dans cette catégorie cette déclaration de votre candidat à Yoff qui a dit que même s’il dormait, les populations allaient voter pour lui…
Ça devient compliqué pour moi, quand la question est posée en ces termes. Abdoulaye Diouf Sarr est mon ami et historiquement, c’est un camarade de parti avec qui j’ai d’énormes rapports. Je peux considérer sa sortie comme une erreur de communication (il se répète). Il faut aussi reconnaître que nous avons été mal servis par des situations conjoncturelles dangereuses, notamment sur la question de l’homosexualité. Dans certaines zones, notamment religieuses, cela a été brandi comme seul argument contre nous, en disant : «Si vous votez Benno bokk yaakaar, c’est vouloir légaliser l’homosexualité.» Cette approche des questions de façon déloyale, explique aussi notre défaite dans certaines zones.
Vous parlez d’impréparation. Est-ce que n’est pas la faute du Président Macky Sall, qui a choisi les candidats ?
Vous comprendrez aisément qu’il m’est impossible d’accuser le président de la République, parce que sa responsabilité me semble très peu engagée. Le Président, contrairement à ce que beaucoup pensent, n’a jamais eu une approche dictatoriale dans la gestion du parti et de la coalition. L’une des critiques qu’on lui fait, c’est de laisser trop de pouvoirs à ses délégataires. Entre le Président, les bases, il y a tout un ensemble de responsables et de structures. C’est là où le problème se pose. Il faut discuter maintenant de la fiabilité des informations fournies au président de la République. C’est ça, le bilan que nous devons faire.
Vous voulez dire que le Président a été trompé par rapport à certaines informations ?
Il faut voir ce qui a été fait pour que les décisions n’aient pas été, dans beaucoup de zones, les bonnes. Pourquoi des listes dissidentes ont battu des listes Benno ? Des gens qui n’étaient pas choisis par le Président, se sont présentés et ont battu Bby. Cela veut dire que les informations fournies au Président, n’étaient pas bonnes. C’est du concret. Le Président ne peut pas aller jusqu’au détail de la vie interne du parti. Il connaît tous les grands agrégats du parti, mais le détail de fonctionnement, non, à cause de ses fonctions régaliennes.
Il y a eu un problème de casting ?
Oui. C’est ma conviction.
Le Président doit-il se séparer de ces ministres ou Dg battus ?
Vous avez l’art de poser des questions difficiles. Nommer aux emplois civils et militaires, c’est une responsabilité exclusive du président de la République. Je lui fais confiance et je sais qu’il va prendre la bonne décision. On a de très bons camarades qui se sont battus et n’ont pas eu les résultats escomptés. On va analyser ça au cas par cas.
Ce problème de casting a-t-il eu lieu à Dakar, Thiès et Ziguinchor ?
Vous posez une question qui concerne notre cuisine interne. Nous allons discuter sur les alliances.
Doit-on rediscuter les alliances dans Benno bokk yaakaar, selon vous ?
Oui. C’est ça le sens d’une participation à une élection. Toute élection impose une recomposition qui prendra en charge la nécessité de revoir le casting, mais aussi le système des alliances. Il faudra voir comment le renforcer, le vivifier et emprunter de nouvelles voies.
Comment faire pour que les démons du 23 janvier 2022 ne resurgissent pas le 31 juillet, lors des Législatives ?
Il faut faire le bilan de ces élections, remobiliser les troupes. Lors du dernier Secrétariat exécutif, le Président a dit que des missions seront faites pour remobiliser les bases et rediscuter beaucoup de questions. C’est sur la base de ces actions de remobilisation, de recentrage d’actions politiques, de considérations d’un ensemble de facteurs analysés suite aux Locales, que nous allons ensemble définir une ligne de conduite. Des commissions de recueil des candidatures seront faites. Nous allons éviter que les travers des castings notés en janvier, ne se répètent. On verra ce qui va se passer inchallah, pour les élections législatives.
N’avez-vous pas peur de la grande coalition annoncée de l’opposition ?
Ils n’ont qu’à faire leur coalition. Nous voulons une grande coalition de l’opposition. Qu’ils y aillent et nous remporterons ces élections. Ils n’auront pas d’arguments pour dire : «Oui, vous avez remporté telle zone, etc.» C’est ça qui est intéressant. Les Législatives sont des élections nationales, alors que les Locales sont des élections de zone. Les Législatives sont les seules élections de partis, parce que les Locales sont des élections entre un homme et les populations avec lesquelles il vit. Nous avons gagné 438 communes et Yewwi, 71. Comment peut-on parler de vague Yewwi ? Il faut être sérieux ! Si c’était aux Législatives, on allait avoir une très large majorité. Mais, il y a cette tendance médiatique où l’on ne met en évidence que les échecs du pouvoir. Le numéro 2 de Pastef (Bassirou Diomaye Faye, Ndlr) a perdu, on n’en parle pas. Aïda Mbodj a également perdu le département de Bambey. On ne dit pas que le pouvoir a perdu des zones, mais on présente son incapacité à conquérir des zones qui n’étaient pas entre ses mains, comme étant une défaite. C’est un brouillage médiatique. Même dans nos rangs, il y a des gens qui pensent ainsi, tellement la pression médiatique est forte.
Mais dans les rangs de Benno, il y a une faible présence médiatique pour renverser la tendance…
Vous avez raison une fois de plus et je suis désolé de le dire. Les justifications ne sont pas systématiques et sont souvent approximatives. Mais, cela va changer.
Est-ce que vous connaissez le nom du prochain Premier ministre ?
(Rires) Non ! Seul le Président le sait. Il faut lui poser la question. Il nous faut un gouvernement qui traduise en actes, la vision profonde et radicale du président de la République. Ce sera un changement économique et structurel. Il faut régler la question des jeunes, du chômage et accélérer le développement économique. Recentrer l’effet de la croissance en termes de pouvoir d’achat. Il faut, pendant un an, créer les conditions pour qu’il y ait une baisse des prix.
Pourtant on assiste à la hausse du prix du sucre…
Ça aussi, c’est une absence d’explications. On n’explique pas pourquoi il y a une hausse. Ce sont des produits. Le plus souvent, c’est lié à l’ordre mondial. Ce que nous produisons en sucre n’est pas suffisant pour être consommé au Sénégal. Ce n’est pas nous qui déterminons les prix. Ceux qui nous vendent, le font à des prix très chers. N’eut été la subvention accordée par l’Etat, ce prix du sucre aurait été multiplié par 5 ou 6. Il faut donner ces arguments aux populations et leur expliquer qu’il est aujourd’hui impossible d’avoir des prix comme avant. Entre 2012 et 2020, nous avons réussi à stabiliser les prix, il y a eu des baisses. Il y a une incapacité à parler honnêtement et directement aux populations, en termes de communication.