La coalition BBY a fait son temps. Celui qui voulait remettre au goût du jour un Premier ministre pour s’occuper du quotidien des Sénégalais, est rappelé à l’ordre
La démocratie moderne place au coeur de sa problématique, l’engagement citoyen et la nécessité de rendre compte. Les peuples, principalement ceux des villes, ont fait montre de leur haute capacité à déceler les énoncés par lesquels on veut les duper. Faute d’avoir ignoré cela lors de ces élections locales, la coalition BBY au pouvoir, a subi des déroutes dans les circonscriptions importantes du pays.
Nonobstant l’argent qui a coulé à flot à travers tout le pays, les citoyens des principales villes du pays ont voté contre la majorité présidentielle. L’argent ne fait plus la différence, en tout cas pas partout. Dakar, Yeumbeul et de Yoff en sont une parfaite illustration. Ceci est une bonne nouvelle. L’assainissement de la vie politique passe par là.
Les polémistes du pouvoir, aveuglés par le biais de normalité, ont pris le parti d’arpenter les télés et les radios et de se complaire dans la jacasserie ignorant les coups de semonce des électeurs. Perclus de dissonance cognitive, ils peuvent continuer à jouer au renard futé tant qu’ils voudront mais, ils n’auront pas pour autant les raisins que représentent Dakar, Ziguinchor, Thiès, Guédiawaye et j’en passe.
L’ampleur de la défaite à Dakar et à Ziguinchor, gagnés par les plus farouches opposants au président, explique l’ampleur du rebond que BBY s’est efforcé d’afficher dès le lendemain de la déroute. On retrouve là l’effet bien connu du principe d’Archimède.
C’est le président lui même qui a campé le discours : « Nous avons gagné à 80% ». Se réfugier dans cette novlangue* où les phrases ânonnées “Nous avons gagné à l’échelle nationale” ou “nous ne pouvons pas perdre ce que nous n’avions pas “ n’aideront, hélas pas, à redresser la barque BBY pour faire meilleure figure lors des législatives à venir. Dans la bataille à trois que se livraient Sall, Sonko et Diaz, c’est bien le président qui a perdu.
Les raisons de cette déroute annoncée sont nombreuses :
Tout d’abord le troisième mandat, pour lequel le président Sall a continué d’entretenir une ambiguïté soutenue, a déclenché un vote sanction contre sa personne et précipiter la perte de ces grandes villes. Son ministre conseiller politique a cru bon de rajouter une couche en distillant une confusion subtile entre élections locales et quitus pour un troisième mandat. L’effet boomerang n’a pas raté. Au lieu d’élire leur maire, certains ont voté contre le troisième mandat.
Mener des investitures, menacer ceux qui s’écarteraient des directives présidentielles et parrainer en même temps des listes parallèles tel fut le challenge « orwelien »* que le président s’est imposé et a imposé à ses ouailles. Il leur a demandé de concilier pendant un moment ces deux choses contradictoires. Ce clair obscur a dérouté ses propres partisans avant de sonner le glas de ses troupes dans les urnes. Le président a abusé de son côté ingénieur, en jouant trop dans le paramétrique, il a plutôt semé la zizanie dans ses rangs. Ce fut la deuxième raison de son échec.
La guerre des egos a fait le reste. Tout le monde fut candidat à tout, car chacun y voyait le moyen de se distinguer, de se positionner pour les prochaines nominations, et de parvenir à réaliser son “pourquoi”*. Le président a libéré les ambitions et dès lors, les listes parallèles fleurirent ça et là.
Le casting mal exécuté a vu des pseudo leaders auto proclamés, commettre des maladresses, révélant leur incapacité à comprendre les vrais enjeux du moment et leur difficulté à imaginer des solutions louables.
On pressentait une défaite que seule l’arlésienne du fichier électoral aurait empêchée.
En dépit des ponts, des stades, des TER, BRT et des ports inaugurés en grandes pompes, et dont le président s’est bruyamment fait l’écho lors de son discours de fin d’année, il a été sanctionné. Le message est clair.
Le prochain président sera jugé assurément sur ce qu’il aura sauvé en termes de valeurs et non sur les infrastructures mises en place. Les locales ont donné le ton. Le peuple n’accepte plus les scandales financiers impunis.
Malgré la présence de ses alliés, Macky apparait comme un homme désespérément seul. Il a toujours eu un goût prononcé pour une pratique solitaire et présidentialiste du pouvoir. Il n’en fait qu’à sa tête. Quelle idée de vouloir désigner les investitures dans les locales ! Cela devra changer.
Ses décisions de ces dernières années ont beaucoup surpris : se séparer de ses ténors après une campagne de législatives menée tambour battant et remportée de haute main ; copter des gens en fin de parcours dans une stratégie de pie voleuse ; virer son Premier ministre sans crier gare ; prendre un décret en urgence pour rétablir le poste de Premier ministre ; décider finalement que le poste ne sera pourvu qu’après les élections locales, etc. Tels furent les actes cryptiques posés par le président qui interrogent sur sa hauteur de vue.
Le président Sall apparait de plus en plus comme un président de toutes les fractures même dans son propre camp, lui qui prônait pourtant dans ses discours le « vivre-ensemble », la « paix dans le pays ».
On s’attendait à ce que Doudou Ka, Mame Boye Diao et Mame Mbaye Niang jouent aux rapporteurs d’affaires, aux rabatteurs d’électeurs pour le compte de BBY. Il n’en fut rien, ils flinguèrent plutôt en plein vol les investis du président, leurs collègues de parti. Ils s’écharpèrent si fort entre eux que les plaies ouvertes ne vont pas se refermer de sitôt, tant les mots échangés furent virulents.
Ses autres alliés eurent des fortunes diverses et on peut légitimement se demander ce qu’ils lui apportent.
Idy n’était plus audible depuis longtemps. Il continuait de vivre de sa réputation. En rejoignant le « Macky », il s’était mis dans un angle mort. Sa défaite cinglante, pour acquise qu’on la devinait, personne ne l’imaginait de cette ampleur. Il a perdu jusque dans son propre bureau de vote. Grandeur et décadence d’un damel ! Sa survie politique ne dépend plus que de Macky. Et pourtant cette servitude volontaire, dont parlait La Boétie, est profondément ancrée dans l’esprit de Macky Sall vis-à-vis de son mbeurr Idrissa Seck. Ce dernier a cessé d’être une menace pour lui depuis longtemps. L’image qu’il garde du chef de Rewmi du temps de sa splendeur alors que lui, l’actuel président n’était qu’un simple grimpion au palais de la République, manigançant de petites combines et commettant des meurtres avec des amis au profit du puissant Idrissa, devrait s’estomper.
Rewmi ne représente plus rien depuis fort longtemps. Les jeunes loups qui faisaient sa force, ont quitté le navire un à un pour chasser en solo. Son dernier pion, Diatara, ministre de la République a mordu la poussière dans la campagne de Thiès.
Idy n’apporte plus rien à Macky. Il rejoint le cimetière des éléphants qui entourent le président.
L’AFP n’existe plus depuis que son patron Niasse s’est installé dans son confort à l’Assemblée nationale. Même à Keur Madiabel, son fief de toujours, son poulain a été battu.
Niasse n’apporte plus rien à Macky et depuis longtemps.
On se pose encore la question lancinante de ce qu’apporte Aminata Mbengue Ndiaye dans le Ndiambour et à quoi sert son institution le HCCT. Depuis le décès de Tanor, (paix à son âme) le PS n’existe plus.
En clair ceux qui avaient permis à Macky de remporter la donne face à Wade en 2012 ne sont plus que des boulets à son pouvoir aujourd’hui. La coalition BBY a fait son temps. A force de ne pas vouloir gêner le président, ses membres se sont mis hors jeu tous seuls. Le réveil est douloureux. Elle a été mise en charpie dans ces élections locales principalement dans les grosses agglomérations du pays. Elle était restée dans son ronron tant que l’opposition était désorganisée, tant que les issues des élections précédentes lui restaient favorables. Ce n’est plus le cas. La tendance commence à s’inverser dangereusement pour la majorité quoiqu’elle en dise. Il faut la réinventer.
Celui qui voulait remettre au goût du jour un Premier ministre pour s’occuper du quotidien des Sénégalais, est rappelé à l’ordre. Il faudra qu’il mette les mains dans le cambouis et réponde lui-même aux attentes des siens : créer des conditions pour faire éclore des emplois pour les jeunes en créant des industries, punir sévèrement ceux qui sont mouillés dans des scandales financiers, faire que la loi soit la même pour tous et la République, la demeure de tous.
Il ne pourra pas le faire avec l’attelage actuel. Il devra donc nommer un Premier ministre et un nouveau gouvernement. C‘est un choix important car un Premier ministre doit savoir appliquer votre politique. C’est une décision qui se murit, s’analyse et se discute dans le secret de cabinet restreint. On consulte beaucoup à ce propos et parfois même en dehors du pays. Quand Senghor voulut “confier » le pouvoir à un de ses ministres avant de se retirer, il avait consulté …Houphouët. Abdou Diouf décrocha le gros lot devant Babacar Bâ.
Qui Macky consulte-t-il?
Qui mettra-t-il ? Un poids lourd – genre Amadou Ba – ce qui voudrait dire qu’il renoncerait au troisième mandat et préparerait son dauphin ? ou un haut fonctionnaire sans ambitions politiques – ce qui est plus conforme à l’idée qu’il se fait d’un Premier ministre – technocrate et travailleur ?
Dans tous les cas, il devra montrer qu’il a compris les messages de ces élections locales et qu’il prend le parti de travailler pour redresser le pays. C’est là où on l’attend. Le temps presse.
Dr Tidiane Sow est coach en Communication politique