L’ardeur patriotique actuelle peut déplacer des montagnes si on parvient à la mobiliser pour d’autres grandes causes comme l’émergence économique. Le «Senegaal dou dem» résulte de l’écart entre les potentialités du pays et sa situation réelle
La victoire des Lions du Sénégal, même si elle a été arrachée aux tirs au but, est loin d’être le fait de la chance. Elle est le fruit de la volonté, un «triomphe de la volonté». Cette volonté qui en 2019, a poussé les Sénégalais à descendre dans les rues pour accueillir les Lions malgré la défaite, alors que personne ne s’y attendait. Ce n’était pas pour célébrer une défaite glorieuse, mais un encouragement à persévérer, c’est-à-dire qu’à force de volonté, on y parviendrait. Car ce jour-là, le Peuple a voulu rappeler aux Lions que «les nations qui tombent les armes à la main se relèvent toujours, alors que celles qui capitulent ne se relèvent jamais». En 2019, face à l’Algérie, le Sénégal est tombé les armes à la main, et l’accueil populaire était une injonction aux Lions et aux autorités à ne pas capituler, car la tentation était forte de laisser la superstition ensevelir la volonté.
L’accueil populaire de 2019 malgré la défaite, a permis de fermer rapidement la page du cycle des désillusions (Caire 86, Bamako 2002 et Caire 2019) et concentrer toutes les énergies vers l’avenir, en faisant comme Guillaume d’Orange qui disait : «Je n’ai pas d’espoir pour entreprendre ni de réussite pour persévérer.» Dans l’histoire, la volonté est ce déclic qui permet de mobiliser les énergies individuelles vers un projet collectif. Gagner la coupe qui nous fuyait depuis des années, alors que sur le papier nous étions la meilleure équipe, a été un véritable projet collectif qui a mobilisé toutes les énergies individuelles, car comme le dit si bien Gustave Lebon, «à vrai dire pourtant, les maîtres du monde, les fondateurs de religion ou d’empires, les apôtres de toutes les croyances, les hommes simples, chefs de petites collectivités humaines ont toujours été des psychologues inconscients, ayant de l’âme des foules une connaissance instinctive souvent très sure. L a connaissant bien, ils en sont facilement devenus maîtres». En disant clairement aux Lions cette année, qu’il fallait amener la Coupe, le président Macky Sall a traduit en quelques mots, la psychologie des foules sénégalaises, en mettant une pression supplémentaire sur les Lions, comme le fit le Général Bonaparte quand il s’empara du drapeau pour se lancer sur le pont d’Arcole. Les soldats ne pouvaient que le suivre.
Cette année, le Sénégal ne pouvait que gagner, car la volonté a été plus forte que le hasard de la chance. La volonté a aussi pour corolaire, une confiance en soi qui nous fait cruellement défaut. Aliou Cissé a été victime le plus souvent, de la haine de soi qui nous pousse vers la préférence étrangère que de la critique sportive rationnelle. Cette haine de soi qui n’est pas seulement sportive mais aussi économique, et qui fait que l’opinion accepte qu’on paie le double à des sorciers blancs qui n’ont rien gagné plutôt qu’à un national, même s’il fait des résultats. L’Algérie qui a gagné en 2019 et le Sénégal en 2022, sont les rares équipes à avoir des nationaux à la tête de leurs équipes nationales. En 2019, face à la défaite, le coach Cissé s’était comporté en véritable chef, en se transformant en «marchand d’espérance» devant ses joueurs effondrés, ce qui m’avait fait écrire à l’époque, que les Lions n’ont pas eu la chance mais ont quelque chose de bien supérieure : la volonté (Le Quotidien du 24 juillet 2019). L’ardeur patriotique qui a déferlé avant-hier sur le pays, peut déplacer des montagnes si on parvient à la mobiliser pour d’autres grandes causes comme l’Emergence économique, parce que j’ai toujours cru que le «Senegaal dou dem» qui est devenu un réflexe populaire, n’est au fond qu’un dépit amoureux qui résulte de l’écart entre les Sénégalais qui croient en l’exceptionnalisme de leur pays et sa situation économique.
Les Lions ont su créer ce déclic qui permet de mobiliser des énergies individuelles vers un projet collectif. Créer ce déclic est le premier devoir et la première mission des hommes politiques des pays émergents comme Mahatir en Malaisie, Lee Kwan Yew à Singapour et Deng Xiaoping en Chine, et bien avant eux, Moïse sur la montagne, indiquant la terre promise aux Hébreux. L’histoire de l’Emergence est par conséquent plus la victoire de la volonté que de conditions ou de richesses naturelles.
Ma culture sportive est squelettique et je ne suis pas du tout passionné de foot, mais avec la ferveur patriotique que j’ai vue dans les rues, le Sénégal doit avoir l’audace de lancer la Remontada avec la volonté de gagner la prochaine Coupe d’Afrique, car avec de la volonté rien n’est impossible, parce que rien ne lui résiste.
Yoro Dia