Leçons d’un tsunami électoral

par pierre Dieme

Les électeurs incitent Macky Sall à revoir le choix de ses préposés aux responsabilités et l’option de ses investissements économiques aux antipodes de leurs préoccupations quotidiennes

À la proclamation des résultats des élections municipales et départementales de ce dimanche 23 janvier favorables, pour la plupart dans les grandes localités, au Yewi Askan Wi (YAW), on peut parler d’un séisme qui remodèle en grande partie le paysage politique sénégalais. Ces élections locales ont fini par prendre les allures d’une véritable présidentielle tant les candidats de Bennoo et certains de l’opposition n’ont pas lésiné sur les moyens pour convaincre les électeurs : caravane à l’américaine composée de bolides et de voitures de luxe, sono de grande puissance, distribution outrancière de billets de banque. Et le taux de scrutin qui avoisine 55% (contrairement aux 37% des locales de 2014) est comparable celui d’une élection présidentielle.

Ainsi, c’est une véritable révolution électorale qui s’est opérée de l’ouest jusqu’au sud du pays en passant par le centre. Ces locales constituent un désaveu cinglant pour Macky Sall, son parti, sa coalition et son establishment. La plupart de ses hommes et femmes plénipotentiaires investis se sont inclinés devant la furia populaire dévastatrice. À Dakar, le ministre de la Santé et de l’Action sociale Abdoulaye Diouf Sarr, candidat à la mairie de Yoff et concomitamment à la ville de Dakar, est tombé respectivement face au jeune Issa Laye Samb et le sémillant Barthelemy Dias de Yaw.

Le ministre des Collectivités territoriales, du Développement et de l’Aménagement des Territoires Oumar Guèye, la ministre Zahra Iyane Thiam, le directeur général du port autonome de Dakar Ababacar Sadikh Bèye, le ministre de l’Economie et de la Coopération Amadou Hott, le directeur général de l’ADIE Cheikh Bakhoum, le président du Conseil d’administration du port autonome de Dakar Moussa Sy, la ministre du Commerce Aminata Assome Diatta, le chef de cabinet du président de la République Mame Mbaye Niang, le directeur général de la Senelec Pape Demba Bitèye, le directeur général de la SN-HL Mamadou Diagne Sy Mbengue, le ministre de l’Emploi, de la Formation professionnelle, de l’Apprentissage et de l’Insertion Dame Diop, le ministre en charge du suivi du PSE Abdou Karim Fofana, le directeur général de l’Asepex Pape Malick Diop, le maire de Guédiawaye Aliou Sall, le ministre conseiller juridique du président de la République Ismaïla Madior Fall, le ministre de l’Economie numérique et des Télécommunications sont tous passés à la trappe. Et la liste est loin d’être exhaustive. Le président de la République, en jetant son dévolu sur ces responsables politiques apéristes, n’avait pas autant mesuré l’ampleur de l’impopularité de ces derniers. L’énormité de leurs moyens financiers et matériels n’a pas résisté devant la volonté de changement des électeurs déterminés à imposer l’alternance dans la gouvernance locale.

Les électeurs ont, sans aucun doute, plébiscité le changement avec YAW. Auréolé des réalisations récemment inaugurées (TER, pose de la première pierre du port de Ndayane, mise en service des ponts de Marsassoum et de Foundiougne), se glorifiant de la distribution gracieuse des deniers publics voilés sous le financement accordé par la Der (Délégation à l’entreprenariat rapide), Macky a cru pouvoir influer sur le vote des Sénégalais à quelques encablures de la campagne électorale. Malheureusement les jeunes, pétris de l’importance d’une carte d’électeur dans leur devenir, n’ont eu cure des réalisations onéreuses et prestigieuses du président de la République. La seule chose qui les importe, c’est de trouver des réponses idoines à leurs questions de survie quotidienne.

Lors des événements tragiques du mois de mars 2021, la jeunesse avait exposé, à travers une violence expressive, ses doléances à la première institution du pays. Et ces mêmes jeunes sont revenus massivement à la charge le 23 janvier passé pour itérer leur message de mars 2021, mais cette fois-ci à travers la violence des urnes. Les résultats sortis des urnes, avec à la clé une déroute de la mouvance présidentielle, sont un signal fort envoyé à nouveau par les populations notamment les jeunes et les femmes à Macky Sall. Et cela, pour l’inciter à revoir le choix de ses préposés aux responsabilités et l’option de ses investissements économiques qui sont loin de leurs préoccupations quotidiennes. Même si la mouvance présidentielle, telle une autruche qui plonge sa tête dans le sable pour feindre de ne pas voir le danger, crie à hue et à dia que la coalition Bennoo garde la majorité des collectivités territoriales, force est de constater que la perte des localités de prestige telles que Dakar, Guédiawaye, Thiès, Bambey, Diourbel, Mbacké (département), Touba (avec les bulletins blancs qui surplombent ceux du candidat du khalife), Kaolack, Bignona et Ziguinchor constitue une véritable bérézina électorale. Dans une élection présidentielle, tout candidat qui remporte simultanément ces localités s’assure, au pire des cas, un second tour. Et pour des législatives, toute coalition qui s’empare desdites localités se procure plus d’une quarantaine de députés au niveau de la proportionnelle. Par conséquent, les prodromes d’une seconde bérézina électorale se meuvent déjà dans le ciel des prochaines législatives. D’ailleurs, il est fort à douter de la volonté du président de la République de prendre, au moment opportun, un décret organisant les prochaines élections législatives.

In fine, il incombe au président Macky Sall de tirer tous les enseignements de ce scrutin lors de son prochain remaniement. Les électeurs ont exigé, à travers leur vote expressif du dimanche dernier, le sabrage de tous ces responsables qui ont fait long feu lors de ces échéances. Et cette volonté populaire ne fait que rejoindre cet axiome présidentiel qui postule que tout homme ou femme politique de son camp, nanti de tous les moyens financiers et matériels, qui perd dans sa localité, sera délesté de son poste de responsabilité. L’insomnie post-électorale risque d’être longue chez tous ces responsables qui n’ont, malheureusement, pas accompli ce pour quoi le chef de Bennoo les a investis au détriment des autres.

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