Perdre Dakar, Guédiawaye, Pikine, Thiès, Ziguinchor, Diourbel, Rufisque, essuyer un refus poli des électeurs de Touba et venir ensuite prétendre avoir gagné, cela relève de l’auto-consolation
Certes, l’on peut bien comprendre que, pour faire bonne contenance, Benno Bokk Yaakar (BBY), la coalition de la majorité présidentielle, soutienne qu’elle reste largement majoritaire dans le pays. Et que, globalement, elle a gagné les élections locales de dimanche dernier. On croirait entendre feu Iba Der Thiam au lendemain des élections locales de 2009 ! En réalité, les résultats sortis des urnes montrent à tout le moins une contreperformance pour cette majorité conquérante qui, depuis 2012, a constitué une redoutable machine électorale qui a écrasé ses adversaires au cours de toutes les élections qui ont suivi celle triomphale de son président cette année-là.
Perdre Dakar, Guédiawaye, Pikine, Thiès, Ziguinchor, Diourbel, Rufisque, essuyer un refus poli des électeurs de Touba qui, pour ne pas humilier leur khalife et faute d’alternative ont voté bulletin blanc, et venir ensuite prétendre avoir gagné, cela relève de l’auto-consolation apparemment. Car tout le monde sait que rien que la victoire à Dakar de l’opposition contrebalance toutes les autres conquêtes qu’a pu faire le camp présidentiel à l’intérieur du pays. N’est-ce pas que c’est le président de la République lui-même qui rappelait, en inaugurant le Ter en janvier dernier, que « la région de Dakar concentre 25 % de la population sénégalaise et près de 70 % de l’activité économique du pays. Dakar concentre également l’essentiel du parc automobile national et enregistre environ 40.000 nouvelles immatriculations par an… » D’où le caractère hyper stratégique de cette capitale ! Et quand on y ajoute les autres villes citées ci-dessus, on se dit qu’il y a eu assurément un basculement de majorité électorale dimanche dernier dans notre pays. Plus généralement, l’on sait bien que partout où des pouvoirs ont été renversés par des révoltes populaires que ça soit en Afrique (Mali, Guinée, Burkina, Soudan, Egypte, Madagascar…) ou en Europe (Géorgie, Ukraine…), ce sont d’abord les capitales qui se sont soulevées à l’exception notable de la Tunisie et de la Lybie où ces soulèvements ont commencé respectivement à Sidi Bouzid et à Benghazi.
Encore que, pour le pays de Bourguiba, Ben Ali n’est tombé que lorsque la capitale est entrée dans le mouvement. Le pouvoir se conquiert dans les capitales même s’il se consolide souvent à l’intérieur des pays. De la même façon, électoralement, lorsque la capitale tombe, généralement le reste du pays suit. Au Sénégal, lorsque le régime socialiste a perdu Dakar en 1993, tout le monde sait qu’il était en sursis. De même, en 2009, quand les électeurs de la même ville ont infligé un cinglant revers au président Abdoulaye Wade à travers le maire Pape Diop, on savait qu’il allait sauter à la prochaine présidentielle. Pour dire que les résultats de dimanche dernier ne sont pas de bon augure pour le président Macky Sall dans l’éventualité où il envisagerait de se représenter en 2024 pour ce qui risque d’être le mandat de trop. Que le peuple ne le laissera de toute façon pas accomplir !
Axe de l’ingratitude et de l’indifférence !
Le plus important se trouve en effet dans le message que les électeurs ont voulu adresser au président de la République. Un message clair et sans équivoque visant à lui faire comprendre qu’ils n’accepteront pas qu’il essaye d’accomplir un troisième mandat qui, pour eux, constituerait un casus belli avec toutes les conséquences qu’il pourrait engendrer pour le président Macky Sall. De ce point de vue, plutôt que de simples élections locales, on a assisté en réalité à un référendum pour ou contre le président Macky Sall, le pour étant symbolisé par Benno Bokk Yaakar et le non par Yewwi Askan Wi. Dans ce duel de géants, évidemment, les candidats indépendants, quelle que fût leur valeur, n’avaient aucune chance. Et dans ce référendum, encore une fois, on peut difficilement soutenir que le camp présidentiel a gagné. A preuve par sa déculottée dans la région de Dakar. De manière ironique et paradoxale, d’ailleurs — et là nous ouvrons une parenthèse — c’est sur l’axe où l’actuel président de la République a déversé le plus d’argent et a concentré le plus d’investissements qu’il a enregistré ses plus mauvais résultats ! Cet axe c’est celui qui va de Dakar à Touba en passant par Pikine, Rufisque, Thiès, Bambey et Diourbel! Rien que l’autoroute Ila Touba (400 milliards) et le Ter (780 milliards sur 36 kilomètres) ont englouti 1180 milliards sur cet axe de l’ingratitude ou de l’indifférence de populations ! A l’inverse, les zones qui ont été les plus oubliées en matière d’investissements (« Titre Foncier » du Fouta, Kolda, Vélingara, Sédhiou, Kaffrine, Tambacounda, Kédougou…) ont été celles qui ont plébiscité les listes Bennoo ! Des zones qui, de toutes façons, ont vocation à accompagner les pouvoirs, tous les pouvoirs, et à tomber avec eux tandis que des villes rebelles comme Dakar, Pikine, Guédiawaye et Thiès, elles, sont celles qui les renversent. C’est pourquoi, lorsque ces dernières villes tournent le dos à un régime, il doit s’inquiéter.
Les erreurs du mauvais casting présidentiel se payent cash !
En dehors du caractère référendaire des élections locales de dimanche dernier, ce qui a coûté cher à la majorité, c’est le mauvais casting du président de la République, influencé paraît-il par son mauvais génie Mahmouth Saleh et par Mor Ngom, entre autres, dans la plupart des localités. Plutôt que de laisser les responsables à la base de son parti choisir leurs candidats, il a cru devoir le faire à leur place. Mal lui en aura pris dans beaucoup de cas et non des moindres…
Le président de la République doit donc décrypter clairement le message que lui ont envoyé les électeurs ce dimanche. Et préparer sa sortie de manière à ne pas la rater. Ce n’est pas qu’il ait démérité et qu’il ait mal travaillé puisque son bilan au cours de ces dix années a été « globalement positif » — pour reprendre les termes d’un défunt secrétaire général du Parti communiste français (Pcf), Georges marchais en l’occurrence, à propos de l’Urss ! — ne serait-ce que d’avoir maintenu la stabilité du pays, énormément investi dans les infrastructures et réussi à payer les salaires ce qui n’était pas évident ! Nul n’étant indispensable en démocratie, il devrait pouvoir désigner un dauphin compétent et loyal pour l’accompagner en direction de 2024 comme l’a fait le président Mahamadou Issoufou au Niger en portant au pouvoir son poulain Mohamed Bazoum.
Hélas, pour les deux années qu’il lui reste à passer au pouvoir, Macky Sall a choisi de consacrer l’une d’elles à régler les problèmes du continent en tant que président en exercice de l’Union Africaine (UA) plutôt que de se consacrer aux problèmes du pays qui nécessitent pourtant toute son attention. Parmi ces problèmes, encore et toujours l’économie. Les innombrables Pme-Pmi et Tpe sont presque toutes à l’article de la mort pour plusieurs raisons qu’il serait fastidieux d’énumérer ici mais dont la moindre n’est pas évidemment la pandémie de Covid-19 et aussi les problèmes de trésorerie de l’Etat même si les autorités refusent d’en entendre parler. Certes, investir 450 milliards de francs sur trois ans dans le programme « Xeyu Ndaw Yi » pour un traitement social du chômage c’est bien mais seulement voilà : l’Etat n’a pas vocation à créer des emplois ! Et même s’il en créée alors que les très petites, petites et moyennes entreprises, qui en emploient des dizaines de milliers, en licencient à tour de bras ce sera comme vouloir remplir un tonneau des Danaïdes. Ce sont les entreprises, notamment industrielles, qu’il faut aider à consolider des emplois et à en créer d’autres. Hélas, l’industrie constitue l’un des plus gros échecs de ce gouvernement.
Surtout, le président Macky Sall a le devoir, au moment où les pays de la sous-région s’effondrent un à un, de réconcilier les Sénégalais en sa qualité de garant de la cohésion nationale. En quittant le pays, il devra laisser un pays apaisé où Opposition et Majorité se parleraient et où ne prévaudrait pas un climat de guerre civile comme actuellement. Il devrait prendre acte des résultats des élections locales, s’engager à travailler avec tous les nouveaux exécutifs locaux — en particulier celui de Dakar — et s’engager publiquement à les accompagner dans leurs projets plutôt que de les bloquer, ce qui reviendrait à punir des citoyens pour avoir usé d’un droit que leur confère la Constitution. Quel bonheur ce serait pour les Sénégalais de voir le président Macky Sall, malgré l’adversité qui les oppose, travailler avec les patriotes sénégalais que sont Ousmane Sonko et Barthélémy Dias ainsi qu’avec leur mentor Khalifa Sall ! Nos compatriotes ont été contents de voir les responsables de Benno concéder leur défaite dans certaines localités et féliciter leurs adversaires tout comme d’ailleurs l’ont fait des cadres de Yewwi Askan Wi à l’endroit de leurs rivaux. Si le président Macky Sall pouvait couronner ce bel concert en tendant la main aux élus de la nouvelle opposition et en les aidant sincèrement, il réussirait une sortie de toute beauté car ayant beaucoup de panache. Il partirait avec les honneurs de la guerre ainsi que le proposait le général De Gaulle aux soldats mutins de l’Algérie française. En attendant, il a l’obligation de constituer un gouvernement de compétences — ce qui ne veut pas dire que les politiciens devraient en être exclus un homme comme Amadou Hott y ayant sa place malgré sa défaite les armes à la main dimanche dernier, à mon humble avis. Un gouvernement qui travaillerait réellement en mode Fast-Track pour résoudre les difficultés, surtout économiques auxquelles sont confrontés les Sénégalais. Pour le reste, le conseil fraternel que je donne au président de la République est le suivant : qu’il n’écoute surtout pas ceux qui voudraient le convaincre de faire un troisième mandat, ils le conduiraient à sa perte !
Post scriptum : Avec 1.734.688 électeurs, la région de Dakar pèse plus lourd électoralement à elle seule que les régions de Fatick, Matam, Saint-Louis, Kolda et Sédhiou (qui sont autant de greniers électoraux du président de la République) réunies ! C’est pourquoi, quand on entend les responsables de la mouvance présidentielle s’enorgueillir d’avoir gagné « 39 des 43 départements et 10 des 14 capitales régionales », il convient de leur demander de ramener les choses à leurs justes proportions !