Pour un détournement estimé à 1,8 milliard de francs CFA, l’ancien maire de Dakar, opposant politique, a été jugé et condamné à 5 ans de prison. Pour plus de 12 milliards de détournements de deniers publics enregistrés dans différents organismes publics, aucun responsable de grand standing au sein du pouvoir n’a été sanctionné pour des malversations dont sa gestion pourrait être coupable.
De révélation en révélation, les scandales financiers répertoriés au Sénégal ne choquent plus grand monde. Les détournements présumés de deniers publics deviennent de plus en plus un trait de caractère acceptable pour un fonctionnaire. Peu importe les scandales et les bruits éphémères qu’ils génèrent, ce ne sont que les montants en cause qui semblent intriguer le débat public. Qui aura le plus d’audace pour détourner des milliards et passer quelque temps en prison, après avoir passé des moments de vie dorée ?
Car ces derniers temps, pratiquement toutes les grandes sociétés et institutions publiques sont mêlées à ces révélations sur des détournements présumés : la Sicap, La Poste, Postefinance, la Lonase, l’Ipres et même le Trésor public. A cela peuvent s’ajouter des trafics de passeports diplomatiques entre le palais de la République et le ministère des Affaires étrangères ; de même que des gestions hasardeuses et dangereuses à la Sar et à la Senelec.
Autant de raisons de croire que la bonne gouvernance a encore beaucoup de progrès à réaliser au Sénégal, de même que la répression de certains actes commis par des membres d’un certain bord politique.
Car beaucoup de citoyens se sont réjouis d’une information qui a fait, hier, le tour des médias et des réseaux sociaux. Celle annonçant le limogeage de Cheikh Tidiane Diop, Directeur général de la Comptabilité publique et du Trésor, et d’Abdourahmane Dièye, Directeur général des Douanes, comme des sanctions contre une mauvaise gestion de ces entités publiques.
En effet, dans l’organisme de gestion de l’argent de l’Etat cité en premier, un juge d’instruction a placé sous mandat de dépôt, le 23 décembre dernier, Abdoul Aziz Diop (percepteur de Mbacké de 2015 à avril 2021) et Mouhamed Ndiaye (percepteur de Saint-Louis de 2020 à avril 2021). Les deux agents sont poursuivis pour ‘’détournement de deniers publics, faux, usage de faux et blanchiment de capitaux’’. Le premier nommé est cité dans le détournement d’une somme de 2,5 milliards de francs CFA, alors que le second est accusé d’en avoir ‘’pris’’ 2,25 milliards.
Le ministère des Finances dément un limogeage du DG du Trésor
Quelques heures après cette information, un communiqué reçu à ‘’EnQuête’’ apprenait que le ministère des Finances et du Budget, qui assure l’autorité hiérarchique de ces régies financières (Trésor et Douanes), tenait à démentir ces informations inexactes. A ce jour, assure les services d’Abdoulaye Daouda Diallo, ‘’aucun décret n’est pris pour mettre fin aux fonctions desdits directeurs généraux.’’
Les DG ne sont apparemment pas encore tenus responsables de la gestion de leurs administrés. Ce qui n’est visiblement pas le cas, lorsque les responsables en chef sont des leaders de l’opposition politique.
Même si les cas sont loin d’être similaires, l’ancien maire de Dakar a été arrêté et condamné à une peine de 5 ans de prison ferme, assortie d’une amende pénale de 5 millions de francs CFA en 2018, pour une accusation portant sur une somme de 1,8 milliard de francs CFA. Il en a été de même pour ses coaccusés : la secrétaire Fatou Traoré, condamnée à deux ans de prison, dont six mois ferme ; Yaya Bodian et Mbaye Touré, respectivement comptable à la mairie de Dakar et directeur administratif et financier de la municipalité, condamnés tous deux à 5 ans de prison ferme.
Ainsi, si pour 1,8 milliard de francs CFA, la machine juridique s’est emballée pour régler en un temps record le sort d’un opposant politique et ses administrés, que devrait-il en être lorsque plus de 12 milliards ont été soustraits des caisses de l’Etat à travers différents détournements présumés dans près d’une dizaine de structures publiques ? Entre la Sicap, La Poste, la Postefinance, la Lonase, le Trésor, etc., les détournements révélés dans la presse tablent sur une somme similaire. Et pourtant, aucun directeur ou ministre de tutelle de ces institutions publiques n’a été inquiété pour le moment.
Plus troublant encore, à la Sicap (Société immobilière du Cap-Vert), 4,2 milliards auraient été détournés. Bien que les auteurs soient connus, aucune arrestation n’a été notée. A l’Ipres (Institution de prévoyance retraite du Sénégal), le dossier des tickets restaurant est au point mort, après les libertés provisoires accordées à des personnes arrêtées. A la Postefinance, un directeur qui a alerté les autorités judiciaires sur des malversations financières, a été limogé par son directeur général. A la Sar (Société africaine de raffinage), un marché de gré à gré de 200 milliards accordé à l’insu du Conseil d’administration. Etc., etc.
Moubarack Lo, économiste : ‘’Il faut les sanctionner durement’’
Ceci donne une impression de déjà vu, à l’image des leaders politiques qui ont été cités parmi les cibles de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) en 2012 et qui n’ont pas été inquiétés, depuis qu’ils ont rejoint le camp présidentiel.
Mais, un spécialiste qui s’est dit choqué par les détournements au Sénégal est Moubarack Lo. Et la première solution à apporter à ce problème est la répression. Selon l’économiste, ‘’le Sénégal a une Administration qui a suffisamment d’expérience et d’expertise pour pouvoir connaître toute la source des scandales. Aujourd’hui, il faut absolument renforcer les garde-fous pour que les scandales ne puissent pas se produire facilement. Et quand ils se produisent, malgré tout, qu’on les déniche et qu’on les sanctionne durement, parce que c’est inacceptable qu’au moment où on se bat pour répondre à la demande sociale des populations rurales, semi-urbaines et urbaines, que certains se permettent de faire des détournements’’.
S’agissant des détournements au niveau du Trésor, par exemple, ils ont été révélés par un rapport de l’inspection générale d’Etat (IGE), avant que l’agent judiciaire de l’Etat ne dépose une plainte contre les mis en cause. Preuve que l’Administration compte des agents capables de retracer les mouvements des fonds décaissés au nom de l’Etat.
Si des questions se posent, elles concernent la réelle volonté des autorités publiques d’apporter les sanctions appropriées à ceux qui impliqués au plus haut niveau de responsabilités.
Lamine Diouf