Maitre Malick Sall a-t-il finalement capitulé ou a été contourné par la Chambre des notaires ? La question se pose avec acuité dans le milieu du notariat sénégalais.
Confrontée jusque-là à un refus catégorique du ministre de la Justice et garde des Sceaux, la Chambre des notaires du Sénégal a trouvé un subterfuge pour demander, de façon irrégulière, contre les dispositions de son propre statut, la nomination de certains collaborateurs de notaires triés sur le volet.
Maitre Malick Sall a-t-il finalement capitulé ou a été contourné par la Chambre des notaires ? La question se pose avec acuité dans le milieu du notariat sénégalais. Longtemps catégorique sur la volonté des barons de faire nommer irrégulièrement certains de leurs protégés comme notaires, il serait sur le point de perdre le combat.
Après moult péripéties, la chambre serait sur le point de faire imposer ses hommes. ‘’Finalement, fulmine un interlocuteur furax, les autorités leur ont recommandé de faire des lettres d’engagement qui montrent qu’ils vont les recruter comme notaires salariés ou associés dans leur office. C’est tout simplement scandaleux. C’est inadmissible dans un contexte où le président de la République affirme vouloir mettre un terme aux recrutements anarchiques’’.
En fait, quand on cherche l’anarchie, il faudrait surtout s’intéresser à ce qui se passe dans cette profession. Comme pour les avocats, la loi exige, depuis 2002, un concours pour y accéder. Mais depuis lors, par des subterfuges, beaucoup sont parvenus à devenir notaires, avec la complicité des pouvoirs publics, sans passer par le concours. La goutte d’eau qui risque de faire déborder le vase, c’est le cas de la dizaine de candidats que l’on tente encore d’imposer. Cette fois, le mode opératoire frise, selon certains interlocuteurs, le ridicule, et indispose plus d’un dans les cabinets.
Faisant fi des dispositions de leur propre statut qui exige le concours, des notaires veulent, par de simples contrats de salariat, demander à l’Etat de violer les textes en vigueur. Dans le modèle de contrat parcouru par ‘’EnQuête’’, il est indiqué ce qui suit : ‘’Je vous informe que M. (untel) a effectué (tant d’années) de stage en mon office, ce qui lui confère toutes les capacités requises et l’aptitude à exercer les fonctions de notaire. Je souhaite lui proposer un contrat de notaire salarié pour valoriser ses compétences. A cet effet, vous voudrez bien solliciter auprès du garde des Sceaux la signature d’un arrêté d’aptitude aux fonctions de notaire.’’
En langage moins codé, c’est comme si un bon matin, des avocats se levaient et demandaient au garde des Sceaux de prendre des arrêtés pour nommer certains de leurs collaborateurs comme avocats à la cour. Simplement parce qu’ils justifieraient d’un certain nombre d’années d’expérience et auraient obtenu des diplômes de Maitrise ou de Master 2.
Pour Yves Nzalé, Coordonnateur du Regroupement des diplômés sans emploi, c’est tout simplement inadmissible de laisser la Chambre des notaires faire inscrire des candidats sans passer par le concours. Il peste : ‘’C’est un projet abject que nous allons combattre par tous les moyens. La question de l’accès à la profession des notaires a été réglée par les textes. La seule voie reste le concours qui garantit l’égalité entre le fils de notaire, le fils du paysan, le fils du cultivateur, du chauffeur ou du mendiant. Ce principe de l’accès à la profession par concours sera maintenu, quoi qu’il advienne…’’
Clercs et diplômés sans emploi ruent dans les brancards
De l’avis du diplômé sans emploi, si jamais la chambre persiste dans cette volonté, ils vont user de tous les moyens de droit pour faire face. D’abord, promet-il, un recours sera déposé devant les juridictions compétentes pour annulation, parce que, estime-t-il, il est hors de question que les jeunes qui sortent des écoles et universités soient sacrifiés au bénéfice d’autres Sénégalais dont le seul mérite est d’être des proches de notaires. Et d’ajouter : ‘’Nous allons également saisir les organisations internationales, dont l’Union internationale du notariat et la Commission des affaires africaines du notariat pour les informer de telles manœuvres. Aussi, en début d’année, nous comptons tenir un sit-in à la devanture de la chambre, non seulement pour barrer la route à ce projet, mais également pour exiger l’organisation du concours en vue de pallier l’insuffisance des notaires dans notre pays.’’
Pour M. Nzalé, ce qui se passe au niveau de la Chambre des notaires du Sénégal est pire que le clientélisme dont parlait récemment le chef de l’Etat et il en est de même pour la profession d’huissier. ‘’Nous allons faire face, se répète-t-il. Cet état de fait ne passera pas. Il faut que les gens respectent les lois de ce pays. Si leurs protégés ne peuvent pas réussir au concours, ils ne peuvent pas intégrer la profession. Nous invitons le président de la République et le ministre de la Justice à prendre leurs responsabilités par rapport à cette situation qui perdure. Nous ne demandons rien d’autre que le respect des lois’’.
Au-delà des diplômés sans emploi, cette mesure crée un malaise jusque dans les offices notariaux. En effet, ils sont des dizaines de collaborateurs de notaires à être dans les mêmes conditions et ne comprennent pas pourquoi la chambre veut faire passer certains entre les mailles du concours, alors qu’eux n’y ont pas droit. Un deux poids, deux mesures qui en exaspère plus d’un.
‘’Parmi ces privilégiés, certains avaient participé au concours en 2013 et y avaient échoué. Ils veulent donc obtenir, par un tour de passe-passe, ce qu’ils n’ont pu obtenir par le mérite’’, s’offusque un de nos interlocuteurs qui parle de ‘’forfaiture’’ si jamais cette volonté est matérialisée.
La volte-face du ministre ?
Depuis son élection à la tête de la Chambre des notaires du Sénégal, Me Alioune Ka et son équipe n’ont eu de cesse de manœuvrer pour donner corps à ce souhait. Dans une lettre adressée au ministre de la Justice en fin d’année 2020, le président de la chambre demandait : ‘’Nous avons le plaisir de vous transmettre la liste des 14 stagiaires ayant intégré, avec le diplôme requis, les offices de notaire, après le décret n°2009-328 du 8 avril 2009, avant l’organisation du concours d’accès au stage le 17 novembre 2013, ainsi que les attestations de leur maitre de stage.’’
Ainsi, sollicitait-il leur intégration, nonobstant des dispositions qui exigent le concours comme seul moyen d’accéder à la profession de notaire. Avant lui, d’autres tentatives existaient sous le magistère de son prédécesseur Me Aissatou Sow Badiane, mais c’était plus des demandes qui n’étaient pas signées par la chambre. Ces derniers invoquaient la jurisprudence du ‘‘vivier’’ pour demander leur nomination. A l’époque, la position du garde des Sceaux était sans équivoque.
Après avoir souligné l’aveu implicite des demandeurs qu’ils ne remplissent pas les conditions, il leur disait : ‘’Vous faites valoir que d’autres collaborateurs de notaires ont eu à bénéficier d’arrêtés d’aptitude sans remplir les conditions requises, notamment l’inscription au registre des stages. Les personnes qui ont récemment bénéficié d’un arrêté constatant leur aptitude à la fonction de notaire, ont été inscrites au stage avant l’entrée en vigueur du décret de 2009.’’
En conséquence, faisait-il savoir aux candidats, ‘’une suite ne peut être donnée’’ à leur ‘’sollicitation d’insertion de dispositions transitoires dans le nouveau décret fixant statut des notaires, ce décret ayant été déjà pris… Il ne peut également être fait droit à votre demande de constatation de votre aptitude aux fonctions de notaire par arrêté’’.
Qu’est-ce qui a donc changé, serait-on tenté de se demander ? En tout cas, selon nos interlocuteurs, si une telle volonté passe, cela viderait le concours de toute sa substance, , puisque n’importe quel notaire pourrait faire nommer dans son cabinet des clercs de son choix.