Des violences sont notées ces derniers jours dans presque toutes les universités du Sénégal. Dans cet entretien, le Secrétaire général du Sudes/Esr, qui analyse cette situation, pointe du doigt les conditions de travail dans ces espaces. D’après Dr Oumar Dia, pour mettre fin définitivement à cette situation, il faut apporter des solutions structurelles aux problèmes qui gangrènent ce secteur de l’enseignement.
Ces derniers jours, on a assisté à une série de violences dans pratiquement toutes les universités du pays. Comment analysez-vous cette situation ?
La devise de la plus grande université du pays, c’est-à-dire Cheikh Anta Diop, est «Lux mea lex» : La lumière est ma loi. Cette devise pourrait être, en réalité, la devise de toutes les universités. Si dans les faits, ce n’est pas la lumière qui guide, ce ne sont pas des arguments qui s’affrontent ; si dans les faits, c’est la violence qui s’installe, c’est qu’il y a un problème structurel. Et quand on n’apporte pas une solution à ce problème structurel, on sera confronté à ces violences.
Notre syndicat avait eu à tirer sur la sonnette d’alarme en juin et juillet passés où il y avait une série de violences à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, pour rappeler la nécessité d’apporter une solution aux problèmes structurels. Il ne s’agit pas de s’attaquer aux symptômes, aux manifestations. Quand vous traitez une maladie, vous ne vous attardez pas sur les symptômes, vous allez aux causes profondes. Les causes profondes de la violence dans les universités sénégalaises, ce sont les conditions de travail catastrophiques pour les étudiants et les enseignants. Nous n’avons pas assez d’infrastructures dans ce pays, nous nous retrouvons surpeuplés sur de petits campus à la fois pédagogiques et les campus sociaux.
Ce seul facteur suffit pour générer de la violence. Ce n’est pas qu’au Sudes/Esr nous excusons la violence des étudiants, c’est qu’il y a une cause profonde à ces violences récurrentes. Et la cause profonde c’est que les conditions de travail ont tendance à amener les gens à s’exprimer de cette façon-là, il n’y a pas un autre moyen d’expression.
L’autre regret du Sudes/Esr, c’est que nous accablons tout le temps nos étudiants en disant qu’ils se comportent de façon violente mais il n’y a pas que les étudiants qui se comportent de façon violente dans les espaces universitaires. Il faut dire que les autorités universitaires également maîtrisent les textes légaux, maîtrisent les lois et règlements, mais elles fonctionnent aux caprices de leur gré et de leur humeur. En gérant de cette façon-là leurs universités, les autorités universitaires contribuent à installer de la violence. On est allé tellement loin dans cette logique à l’Ucad que le Recteur s’est permis d’ordonner à sa milice privée d’agresser physiquement des enseignants. Ce qui est inédit dans l’histoire de l’université sénégalaise : que des enseignants soient agressés.
En réalité, on est très mal placés pour donner des leçons aux étudiants si des autorités rectorales elles-mêmes peuvent recourir à ces moyens au lieu de négociations, au lieu de respecter les textes légaux qui portent sur le fonctionnement et l’organisation de l’université.
Mais généralement les étudiants font recours à la violence pour dénoncer la mauvaise restauration ou le retard dans le paiement des bourses
Il n’y a pas que ça, par exemple il y a une carte universitaire qui avait été arrêtée parce qu‘elle avait été étudiée en 2013. Cette carte prévoyait que les effectifs baissent à l’Ucad en deçà de 60 000 étudiants. Là on est remonté à près de 100 000 étudiants. Cette carte prévoyait que l’université Amadou Makhtar Mbow de Diamniadio soit construite et qu’elle soit achevée au plus tard en début 2017 et qu’elle accueille 30 000 étudiants, ce n’est pas le cas. Elle avait prévu que l’université du Sine-Saloum soit construite sur les sites de Kaolack, Fatick, Kaffrine, Toubacouta et qu’elle accueille 30 000 étudiants ce n’est également pas le cas.
Cette carte avait aussi prévu que l’université du Sénégal oriental soit construite à Tambacounda et qu’elle accueille entre 15 mille et 20 mille étudiants. Elle avait également prévu des Isep dans chaque région du Sénégal pour accueillir un nombre important de bacheliers qui vont s’orienter vers la formation professionnelle… que les chantiers des universités de Ziguinchor, de Bambey, de Thiès, de Gaston Berger soient terminés, ce n’est toujours pas le cas…
Tout cela n’a pas été fait. Cela aurait permis d’avoir des conditions de travail normales, des universités pacifiées. Cela n’a pas été fait, donc on se retrouve avec 100 mille étudiants à l’Ucad. Ils n’ont peut-être pas un maximum de 10 000 lits, un enseignant pour une centaine d’apprenants, on n’est pas dans des conditions de travail normales. Et la situation est tellement grave à l’Ucad que le moyen qu’on a trouvé pour cette année universitaire 2020-2021, qui n’est pas terminée, c’est de prendre les étudiants par cohorte, de dispenser les enseignements de façon graduelle. D’abord la licence 1 parce qu’on ne peut pas prendre tout le monde, on finit le premier semestre avec la licence 1, on prend les autres niveaux… Voilà l’environnement de travail dans les universités sénégalaises.
Dans une telle situation, dans un tel contexte, il y a potentiellement de la violence qui peut exploser à tout moment. C’est pour cette raison qu’il y a épisodiquement de la violence en juin, juillet, décembre. Nous n’excusons pas les comportements violents des étudiants, mais ils semblent être des symptômes. D’où la nécessité de s’attaquer aux problèmes structurels parce que c’est en apportant des solutions structurelles qu’on mettra définitivement fin aux violences dans les universités sénégalaises.
Il y a également la lancinante question de la violation des franchises universitaires qui revient à chaque fois qu’il y a affrontements entre les étudiants et les Forces de l’ordre. Comment faire pour trouver une solution à ce problème ?
La loi sur les franchises universitaires est une loi qui distingue le campus pédagogique du campus social. Pour nous Sudes/Esr, cette distinction n’a pas de pertinence. Le campus pédagogique n’est rien d’autre que le prolongement du campus social, il n’y a pas lieu de les dissocier.
La loi sur les franchises universitaires considère que les franchises ne s’appliquent et ne concernent que le campus pédagogique, et qu’elles ne concernent pas le campus social où vivent les étudiants. C’est ce qui conduit à ce genre de situation, où par exemple sans appel du Recteur ou sans autorisation du conseil restreint de l’université, la police peut se permettre d’intervenir par exemple au campus social ; qu’il s’agisse de l’Ucad ou de l’université Alioune Diop de Bambey.
Pour nous, le problème c’est la distinction entre le campus social et le campus pédagogique, et le fait de considérer que les franchises universitaires ne s’appliquent qu’au campus pédagogique. Les deux ne doivent pas être séparés et les deux doivent être concernés par les libertés académiques et les franchises universitaires.
Propos recueillis par Dieynaba KANE