Trafic de passeports diplomatiques, la honte !

par pierre Dieme

S’il y a un business qui est en train de nuire gravement à la réputation du Sénégal, c’est bien celui des passeports diplomatiques qui durent depuis des années. Souvent, de gros pontes de la République sont cités sans que les sanctions ne soient à la hauteur des fautes commises.

Le mot a été lâché par un ambassadeur, le délégué permanent du Sénégal à l’Unesco, Souleymane Jule Diop, hier, à l’émission ‘’Jury du dimanche’’ sur iRadio. A la question de savoir si, en tant que diplomate, il souffre de toutes ces histoires de trafic de visas, voici sa réponse : ‘’Je n’en souffre pas, mais j’en ai honte.’’ Un témoignage qui en dit long sur la valeur du passeport diplomatique sénégalais. Autrefois si prestigieux, le ‘’sésame’’ perd de plus en plus de son lustre.

Aujourd’hui, elles sont nombreuses les autorités sénégalaises à préférer utiliser d’autres titres, pour se rendre dans certains pays. Malgré les multiples réformes annoncées par les gouvernements respectifs depuis 2012, le trafic persiste. Le plus cocasse, c’est que désormais, même des agents assermentés se font remarquer dans ce qu’il est convenu d’appeler le business infamant des passeports diplomatiques et/ou de services.

Ces trafics ne datent pas d’aujourd’hui. En 2013, alors qu’Abdoul Mbaye était encore Premier ministre, éclatait le premier scandale des passeports diplomatiques sous le régime du président Macky Sall. Les mis en cause utilisaient la signature de l’ancien PM pour accomplir leur forfait. C’est d’ailleurs suite à une plainte de ce dernier que la bande à I. K. a été démasquée et mise hors d’état de nuire. A l’époque, le ministre Mankeur Ndiaye déclarait : ‘’Partout, vous avez des trafiquants. Il y a des trafiquants de drogue comme il y a des trafiquants de passeports. Ce qui est important, c’est que nous avons nous-mêmes démantelé ce réseau. Et l’Etat entend mettre en place des mesures pour sécuriser davantage la délivrance des passeports.’’

Présidence, Assemblée, ministère des Affaires étrangères : l’axe du mal

Depuis, pas mal de réformes ont été initiées, mais aucune n’est parvenue à mettre un terme au business illégal. Pire, aucune institution ne semble échapper à ce trafic, qui transcende les régimes et nuit de plus en plus à l’image du Sénégal. Des années après la Primature, c’est l’Assemblée nationale, la présidence de la République et le ministère des Affaires étrangères qui sont éclaboussés par le sale trafic.

Alors qu’on n’a pas fini de parler des députés Boubacar Biaye et Mamadou Sall, surgit l’affaire des gendarmes de la présidence et du ministère des Affaires étrangères. Dans ce deuxième dossier, les choses semblent aller beaucoup plus vite, grâce notamment à l’implication personnelle de l’aide de camp du président de la République. Lequel a été à l’origine de la procédure, sous la bénédiction du chef de l’Etat.

Quant aux députés, malgré la levée de leur immunité parlementaire, il y a quelques semaines, pour un dossier qui traine depuis le mois d’octobre, ils vaquent tranquillement à leurs occupations. D’ailleurs, c’est entre autres raisons qui ont poussé dernièrement des franges importantes de la population dans la rue, pour réclamer plus de justice et d’équité. Ils trouvent injuste que les parlementaires soient encore libres, au moment où d’autres personnes citées dans des affaires similaires croupissent en prison. C’est le cas de l’activiste du mouvement Y en a marre, Kilifeu.

Les choses pourraient, en tout cas, bientôt s’accélérer, avec l’entrée en service très prochaine d’une nouvelle équipe au niveau du parquet de Dakar.

Quand les collaborateurs directs des plus hautes autorités de la République alimentent le business

Souvent, ces trafics sont l’œuvre de proches collaborateurs des plus hautes autorités de la République. Sous Abdoul Mbaye, il s’agissait du directeur des Ressources humaines lui-même, avec la complicité d’hommes d’affaires et d’autres fonctionnaires de l’Etat.
Aujourd’hui, à la suite des députés, on parle de fonctionnaires basés à la présidence de la République et au ministère des Affaires étrangères, de surcroit des personnes assermentées, en l’occurrence des gendarmes. Conduite de main de maitre par la Division des investigations criminelles, cette affaire montre ô combien le système de délivrance des passeports diplomatiques sénégalais est infesté.

Le problème fondamental, c’est qu’il y a trop de monde qui peut user de subterfuges pour obtenir le ‘’précieux sésame’’, alors qu’ils n’y ont pas droit. D’ailleurs, à ce propos, beaucoup pensent à tort que les conjoints et enfants des députés ont droit au passeport diplomatique ; ce qui a été le fondement même de l’affaire des députés Biaye et Sall. Or, selon la législation, la loi n’a jamais accordé ce privilège à ces derniers.

Le député Théodore Chérif Monteil est formel : ‘’On fait des choses qui ne sont dans aucun texte. L’attribution du passeport à l’épouse d’un député n’est pas dans la loi. Le règlement intérieur de l’Assemblée nationale dit que le député a droit à un passeport diplomatique. Vous pouvez vérifier à ce propos l’article 106 du règlement intérieur qui porte sur la question.’’
Il résulte, en effet, de l’alinéa 5 de cette disposition que ‘’pendant toute la durée de leur mandat, les députés ont droit à un passeport diplomatique dans les mêmes conditions que les membres du gouvernement’’.

D’où vient alors cette hérésie d’accorder le précieux titre à leurs conjoints ? Le député précise et explique : ‘’On parle de passeports diplomatiques, mais il s’agit surtout de passeports de service que l’on donne aux conjoints. La 12e législature l’avait réclamé avec insistance, mais à l’époque, il y avait Mankeur Ndiaye qui s’y opposait. Maintenant, le président qui a la possibilité d’accorder ces titres à qui il veut, l’avait fait par mesure dérogatoire. Dans un premier temps, c’était pour une seule épouse ; au fur et à mesure, ils ont réclamé et obtenu pour toutes les épouses’’.

L’intervention humaine, la source du mal

Outre les conjoints et enfants des députés, les passeports diplomatiques sont également souvent accordés à des religieux, hommes d’affaires, personnalités du showbiz qui n’y ont souvent pas droit. Pour Abdoulaye Cissé, ce qui pose problème, c’est moins l’octroi des passeports diplomatiques à des personnalités religieuses ou culturelles que l’opacité qui encadre ce processus.

‘’C’est sous le manteau de religieux que tous les tartuffes, les faux dévots, les imposteurs brandissent ce passeport diplomatique. D’ailleurs, figurez-vous, il n’y a que les non-ayants droit qui, dès qu’ils l’obtiennent, pensent que c’est un sésame. Aussi, il est bien sûr très gênant que ce document soit si dévalorisé que ce n’est même plus la signature du ministre des Affaires étrangères qui permet de l’obtenir. Des politiciens ou visiteurs du soir du palais ont aussi leur quota qu’ils redistribuent à leur petite cour…’’, assène-t-il.

Pour le cas des religieux, le journaliste chroniqueur dit préférer une légalisation de cette pratique qui, jusque-là, est occulte et nébuleuse. ‘’Il faut, souligne-t-il, que le pays assume les facilités et diligences qu’il accorde aux dignitaires, chefs religieux, chefs coutumiers et autres chefs traditionnels. D’ailleurs, tous les pays délivrent des passeports diplomatiques à des personnalités qui n’ont aucun lien avec l’architecture institutionnelle qui donne droit à ce genre de privilège. Alors, sans avoir un rôle institutionnel, les dignitaires religieux peuvent  être honorés de porter les sceaux de la République’’.

A en croire le journaliste de la RFM, le Sénégal gagnerait à assumer et à assainir cette pratique consistant à délivrer ces documents de voyage à des chefs religieux, dirigeants de grandes entreprises qui sont dans une diplomatie culturelle, économique et de relation publique pour l’Etat. ‘’Personne ne trouverait à redire et aucun autre pays ami ne peut reprocher au Sénégal d’avoir sa spécificité de sa norme sociale. D’autant que, et c’est bon à préciser, en tant que régulateurs sociaux, ces religieux contribuent à préserver le pays de certains soubresauts que le monde entier nous envie’’, plaide le journaliste.

Avant de justifier : ‘’Combien d’hommes d’affaires libanais, koweitiens, nigérians, russes, sud-africains et même sénégalais voyagent avec des passeports diplomatiques d’une puissance étrangère ?  Évidemment, certains « passeports simples » de certains pays comme la France, les USA dispensent des formalités et contraintes de visa sur beaucoup de destinations. La finalité est la même que pour les passeports diplomatiques.’’ 

Aveux ! 

Sur l’affaire du trafic de passeports diplomatiques démantelé par la Dic, entre la présidence de la République et le ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, Seneweb a pu se procurer des éléments des procès-verbaux des deux gendarmes cités dans le cadre de l’enquête. 

L’un des prévenus, l’adjudant-chef M. L. Ba, qui dit officier à la Présidence en qualité d’assistant de l’aide de camp du président de la République Macky Sall, avoue être en contact avec l’homme d’affaires L. Seck, présenté comme le cerveau de ce trafic. Le sous-officier, en poste depuis 2016, s’occupe de l’écriture des lettres d’établissement, de renouvellement ou d’annulation des passeports diplomatiques. 

Ainsi, il aurait avoué avoir délivré des passeports diplomatiques à des personnes dont les noms ne figurent pas sur les demandes, sans pour autant exiger une décharge. Selon les sources du site, le pandore a évoqué les cas de Mamadou Seck, ancien président de l’Assemblée nationale et Falilou Kane ancien ambassadeur. Et, il a ajouté qu’il a été trompé par des faussaires, car l’identité de ces personnalités a été usurpée dans ce trafic. 

Selon toujours la source, il a admis avoir rencontré à quatre reprises L. Seck. : ‘’J’ai délivré, à deux dates différentes, deux passeports diplomatiques à L. Seck au niveau de la station Elton de Mermoz. Il m’avait promis en vain un transfert d’argent via Orange money pour la diligence. Mais il ne m’a donné aucune somme d’argent jusqu’à ce jour», a-t-il dit aux enquêteurs. 

Toujours d’après-lui, L. Seck se faisait passer pour Mamadou Seck et lui envoyer des sommes d’argent variant entre 50 000 et 100 000 F. Toujours est-il que, selon toujours les sources du site, il ressort d’une réquisition faite auprès d’un opérateur téléphonique, que l’’assistant de l’aide de camp du président de la République a reçu de multiples transferts d’argent via Orange money de la part du cerveau de ce trafic. 

L’autre gendarme impliqué dans cette affaire travaille au bureau des passeports du ministère des Affaires étrangères, depuis 2016, dit-on. A. Ndione y effectue l’enrôlement et la production des passeports diplomatiques. Même s’il nie toute implication dans ce trafic, il a avoué que L. Seck lui offrait des sommes d’argent dont les montants varient entre 15 000 et 30 000 F pour la diligence qu’il apportait au traitement de ses dossiers.

MOR AMAR

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