La fuite en avant du nouveau Président de l’Union des magistrats sénégalais (Seybani Sougou)

par pierre Dieme

Après son élection à la tête de l’UMS en août 2021, les démocrates et citoyens soucieux d’une bonne administration de la justice attendaient du nouveau président de l’UMS qu’il décline sa feuille de route et poursuive le chantier engagé par le bureau précédent pour la mise en œuvre de véritables réformes visant à assurer l’indépendance de la justice. De ce point de vue, la conférence de presse du bureau de l’UMS qui s’est tenue le 17 décembre 2021, animée par Ousmane Chimère DIOUF constitue un très mauvais signal pour les sénégalais.

Pendant plus d’une heure, le Président de l’UMS a botté en touche, esquivant les sujets de fond comme par exemple les « affectations-sanctions » des juges NGOR DIOP et TELIKO, refusant d’adopter une prise de position claire, et assumée sur le départ du Président de la République et du Ministre de la justice du Conseil supérieur de la magistrature. Le CSM est un organe dont la composition et les attributions sont définies par la loi organique n° 2017-11 du 17 janvier 2017 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la Magistrature. En réalité, la question de la composition et des pouvoirs du CSM est fondamentale, car elle conditionne l’indépendance effective de l’autorité judiciaire et des magistrats du siège, une indépendance consacrée par l’article 90 de la Constitution qui dispose que les « magistrats du siège sont inamovibles ». Tout esprit rationnel conçoit aisément que le CSM (organe destiné à présider aux nominations et à la discipline des magistrats) ne puisse être présidé par une personnalité extérieure à la magistrature. La présence du président au sein du CSM accroit le climat de défiance à l’égard de la justice sénégalaise, et conforte le sentiment d’une justice assujettie au pouvoir exécutif ; une justice critiquée, vilipendée, décrédibilisée, et vouée aux gémonies.

Aux termes de l’article 4 des statuts de l’UMS, le rôle du Président de l’UMS est « de défendre les intérêts moraux, matériels et professionnels des magistrats, mais surtout de défendre et d’illustrer l’indépendance de la Magistrature telle qu’elle a été proclamée par la Constitution sénégalaise ». Une réforme du CSM fondée sur un affranchissement vis-à-vis de la tutelle de l’exécutif, le réaménagement du CSM (au niveau de sa composition et de son fonctionnement) et la transparence dans le processus de nomination pour permettre d’effectuer un choix sur la base de critères objectifs (publication des postes vacants et appel à la candidature) est un marqueur pour le nouveau bureau de l’UMS et une indication claire quant à sa ferme volonté d’œuvrer pour l’indépendance de la justice.

Pour mémoire, les propositions de réforme du CSM et du statut du parquet ont été validées par le comité de modernisation de la justice mis en place en 2018, présidé par l’universitaire, Professeur Isaac Yankhoba NDIAYE, composé de tous les acteurs (magistrats, avocats représentés par le bâtonnier, président de la chambre des notaires, président de l’ordre des huissiers, président de l’ordre des experts agréés, président de l’association des femmes juristes, représentants de la chancellerie.). A cette occasion, des segments de la société civile ont également été consultés (ex le Professeur, Constitutionnaliste Babacar Gueye, Seydi Gassama, d’Amnesty International, Maitre Mame Adama Gueye…). On le voit donc, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature est le fruit d’un consensus largement partagé. Ce qui est attendu du nouveau bureau de l’Union des magistrats du Sénégal, c’est d’avoir le courage de faire le plaidoyer de cette réforme emblématique qui aura le mérite de renforcer l’indépendance de la justice, au bénéfice des citoyens.

L’office du Juge, disait Robert Badinter, « c’est le devoir d’ingratitude ». La justice n’est pas là pour plaire ou déplaire au pouvoir exécutif. Une présidence fondée sur une collaboration avec le pouvoir exécutif, déclinée par Ousmane Chimère DIOUF dès l’entame de son élection ne doit pas se faire au prix d’accommodements, de renoncements, de calcul et de simple gestion d’une carrière personnelle. L’indépendance de l’autorité judiciaire est un principe fondamental de valeur constitutionnelle (cf article 90), découlant du principe de séparation des pouvoirs. Elle constitue l’une des garanties de l’État de droit. Elle est pour le justiciable la condition d’un procès équitable et pour le magistrat, la condition de sa légitimité.

Le bon fonctionnement de la justice n’est pas uniquement l’affaire des magistrats : c’est l’affaire des citoyens, et de toutes les organisations de société civile épris de droit et de justice. Disons-le clairement, la première conférence de presse du président de l’UMS a été un exercice mal réussi, et une sortie de route. Les citoyens sénégalais attendent désormais un changement de cap : une ligne claire de l’UMS qui défend et œuvre pour l’indépendance de la justice. Les citoyens veilleront à ce que la justice soit rendue au nom du peuple, et non au nom de « Macky SALL ».

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