« Monsieur Guy Marius Sagna, assistant social, matricule de solde n° 657.190/P, précédemment en service au Centre de Promotion et de Réinsertion sociale de Liberté 3 B, est affecté au Service régional de l’Action sociale de Kédougou
« Monsieur Guy Marius Sagna, assistant social, matricule de solde n° 657.190/P, précédemment en service au Centre de Promotion et de Réinsertion sociale de Liberté 3 B, est affecté au Service régional de l’Action sociale de Kédougou. La présente note prend effet à partir de sa date de signature ».
C’est la note de service diffusée dans les réseaux sociaux depuis 18 jours. Chacun y va de son commentaire. Si certains dénoncent le caractère arbitraire qui caractérise de cette note de service, d’autres trouvent normal que Guy Marius Sagna puisse être affecté dans n’importe quel endroit du territoire national pour nécessité de service. Mais dans l’imaginaire des Sénégalais, quitter la capitale pour des régions à la limite de la frontière du Sénégal n’est qu’une sanction qui ne dit pas son nom. Aujourd’hui tous les fonctionnaires se battent pour être affectés à Dakar. Cela se comprend dans la mesure où tout est concentré dans la capitale.
Avec 0,28 % du territoire national, la région de Dakar regroupe, sur 550 km2, 25 % de la population et concentre 80 % des activités économiques du pays. Les conditions de travail sont meilleures à Dakar. C’est ce qui explique pourquoi Dakar fait l’objet de tant de convoitises. Dans l’éducation, les enseignants qui se trouvent dans les lieux éloignés de la capitale bénéficient de plus de points pour remplir des demandes d’affectation. A chaque sortie de promotion dans certaines professions, les majors ont toujours la latitude de choisir de rester dans la capitale. C’est ce qui montre l’iniquité entre les régions reculées et la capitale.
Dans l’imaginaire des autorités, les régions périphériques du Sénégal sont des lieux de déportations de fonctionnaires sanctionnés, de pandémoniums pour ceux qu’ils considèrent comme les ennemis de la République. Et tout cela découle de l’héritage colonial. Les Blancs colons ont de tout temps montré et démontré que la pire des sanctions contre les récalcitrants à l’ordre colonial, c’est de les éloigner de leur pays d’origine. Samory Touré, héros de la résistance guinéenne, est mort au Gabon en 1900 où il a été déporté par les Français. Cheikh Ahmadou Bamba est déporté au Gabon, exilé en Mauritanie avant d’être mis en résidence surveillée à Diourbel. Béhanzin, roi d’Abomey, est mort en exil à Alger le 10 décembre 1906.
Aline Sitoé Diatta, icône féminine de la résistance anticoloniale, a été déportée en Gambie puis à Tombouctou au Mali où elle a trouvé la mort le 28 mai 1944. Mamadou Dia, président du Conseil du gouvernement dans les années 60 a été jugé, condamné et incarcéré par le régime senghorien dans une prison infernale à Kédougou pendant 14 ans avec certains de ses proches. Boubacar Sall, le lion du PDS des années 80 a vécu la même injustice sous le régime du Président Diouf en étant expédié à Kédougou. Barthélémy Dias sous le régime de Wade a été nuitamment transféré à la Mac de ladite localité. Kédougou, l’une des contrées les plus riches du Sénégal, est diabolisée par l’image carcérale que nos dirigeants en font. Tout cela montre combien ces régions, qui sont pauvres en matière d’infrastructures bien que riches en ressources minières, sont victimes du manque de considération de ceux qui nous dirigent.
Léopold Sédar Senghor avait hérité des colons français cette transformation des régions reculées en purgatoire alors que ce sont ces régions qui porteuses jusqu’à aujourd’hui du développement du pays. Si une bonne politique d’équité territoriale était amorcée depuis l’indépendance, si nos dirigeants n’avaient pas appliqué une politique d’exclusion et de discrimination vis-à-vis de certaines régions considérées comme de simples purgatoires qui doivent accueillir des condamnés, aucun fonctionnaire ne trouverait rien à dire sur une quelconque affectation dans les zones reculées.
Dans le milieu de la presse, des journalistes rétifs à toute instrumentalisation ont vécu ces affectations considérées comme des sanctions punitives. Feu le journaliste Moussa Paye, dans un document intitulé « La presse et le pouvoir », rapporte comment les confrères Lamine Touré et Demba Ndiaye, journalistes à l’ORTS, ont été mutés arbitrairement hors de la maison mère. « En début d’après-midi du 22 août 1985, alors qu’une coalition de partis de l’opposition a appelé à une marche antiapartheid vers le palais présidentiel, le téléphone sonne dans la salle de rédaction du journal parlé de la radio pour annoncer la diffusion prochaine d’un communiqué du ministre de la Communication Djibo Kâ. Le communiqué tombe effectivement sous forme d’une dépêche de l’Agence de Presse Sénégalaise qui invective “la poignée de 50 manifestants”.
Les journalistes de service, Lamine Touré à 20 h et Demba Ndiaye pour le prochain journal, vont refuser de lire la dépêche sans citation de la source APS comme le demandaient, avec une insistance pressante, jusque dans le studio, le directeur de la radio, Pathé Dièye Fall et le rédacteur en chef Ibrahima Sané. Les deux journalistes furent mutés à Saint-Louis et à Ziguinchor, après une molle résistance de la section SYNPICS de la radio », écrivait Moussa Paye.
Lui-même sera victime de l’arbitraire du régime socialiste en 1987. « Après plusieurs vexations, la direction du Soleil ne trouve, en septembre 1987, rien de mieux que de dégrader dans les faits Sidy Gaye et moi-même respectivement chef du service étranger et grand reporter classés donc à la quatrième catégorie de la convention collective et subitement affectés en qualité de chefs de bureaux régionaux de Saint-Louis, et Thiès, postes correspondants à la troisième catégorie », dénonce l’ancien journaliste de Sud. Cet arbitraire consistant à éloigner des fonctionnaires peu accommodants est aussi constatable dans le milieu de la magistrature où certaines consultations à domicile sont organisées pour envoyer au purgatoire certains magistrats refusant la soumission et le diktat imposés par la dyarchie du Conseil supérieur de la magistrature. Un procureur de la République servant à Mbour n’a-t-il pas été affecté en pleine année scolaire parce qu’il a avait osé mettre au gnouf une militante de l’Apr détenant illégalement des cartes d’électeurs ?
Le juge Souleymane Teliko, connu pour son combat en faveur de l’indépendance de la justice, est aujourd’hui envoyé à Tambacounda. Les autorités des différents régimes pensent que le meilleur moyen pour déstabiliser un mouvement syndical ou citoyen, dirigé par un fonctionnaire coriace, c’est le décapiter en éloignant son leader dans un endroit qui le couperait de sa base. Seuls les enseignants y échappent parce que leur ministre ne peut en aucun cas s’offrir la liberté d’affecter un enseignant déjà en service sans son consentement. Il ne peut affecter dans la même zone que pour des raisons de complément horaire.
Le cas de GMS peut être rangé dans la même catégorie des affectations-sanctions. Alors si ce sont ceux qui sont chargés de réduire les inégalités, de gommer certaines disparités sont les premiers, de par les actes administratifs qu’ils prennent, à déconsidérer les régions éloignées de la capitale, tout fonctionnaire affecté de Dakar vers les régions sans promotion a la latitude de le prendre comme une sanction vindicative. Il est notoriété publique que le leader de Frapp cause des insomnies au pouvoir en place et son ministre de tutelle, candidat à la mairie de Dakar, penserait certainement que Guy Marius Sagna pourrait constituer un obstacle à son élection le 23 janvier prochain. Une erreur politique pour beaucoup qui croient que cette tentative d’isolement et de bâillonnement du leader charismatique de Frapp coûtera cher à Abdoulaye Diouf Sarr au soir des locales du 23 janvier prochain…