La dernière rébellion des transporteurs a remis les choses à l’endroit dans une République détraquée, accaparée par des intermittents du théâtre politicien, qui ont fini de reléguer, à l’arrière-plan, la défense des droits des travailleurs
Il ne faut pas se le cacher ! Malgré les désagréments, qu’elle a causés aux Sénégalais, la récente grève des transporteurs a été ressentie comme une bouffée d’air frais par la plupart des patriotes et démocrates de notre pays, particulièrement les vieux militants syndicaux.
Cette rébellion salutaire est venue remettre les choses à l’endroit dans une République détraquée, où la vie publique est accaparée par des intermittents du théâtre politicien, qui ont fini de reléguer, à l’arrière-plan, la défense des droits économiques et sociaux des travailleurs. Celle-ci est plombée, depuis près de 20 ans, par la dispersion et l’agitation fébrile de la plupart des organisations de travailleurs, autour d’agendas corporatistes.
C’est pour cela qu’il faut saluer l’unité d’action, l’engagement et la détermination des transporteurs, autant de vertus qui, dernièrement, ont cruellement fait défaut aux actions syndicales, les rendant si désespérément infructueuses.
Pour une fois, la riposte syndicale a été à la hauteur des affronts répétés, que ne cessent de subir les travailleurs de notre pays de la part d’un gouvernement arrogant, passé maître dans l’art du dilatoire et du louvoiement, pour désamorcer les grèves des travailleurs, sans jamais réellement satisfaire leurs doléances.
Malheureusement, les transporteurs auront engrangé plus de promesses que d’acquis, même s’ils déclarent adopter une posture d’expectative armée, en donnant au gouvernement, un délai de trente jours pour réaliser leurs exigences.
Pour nos gouvernants adeptes du libéralisme débridé, le dialogue social rime toujours avec la sauvegarde des intérêts de l’État de la bourgeoisie bureaucratique et ceux du patronat étranger.
Jetant la préférence nationale aux orties, le pouvoir apériste fait fi des conflits d’intérêt et autres délits d’initié, en autorisant les membres de son clan à mettre sur pied des sociétés, qui sont autant de niches juteuses, en vue de racketter les citoyens sénégalais. On pourrait citer le scandale des plaques d’immatriculation et surtout les innombrables infractions foncières et immobilières devenues la marque de fabrique des tenants de l’Émergence virtuelle.
Cette attitude antipatriotique, tournant le dos aux intérêts nationaux et cet égoïsme démesuré de l’État de la bourgeoisie bureaucratique expliquent aussi l’incapacité de nos gouvernants à conduire de véritables concertations nationales porteuses d’émancipation sociale.
Ces tares inhérentes à notre système politique, présentes depuis la période de domination coloniale, se sont accentuées avec la première alternance démocratique dans notre pays, en 2000, ce qui explique l’accélération du processus de dégérescence du mouvement syndical. La participation responsable d’avant alternance s’est muée en « connivence irresponsable » entre hommes de pouvoir et la plupart des leaders syndicaux.
C’est ainsi que les postes de membres des directions syndicales sont devenus des sinécures, ouvrant la voie à des stations juteuses, sans oublier les séminaires lucratifs dans des hôtels huppés.
Ainsi s’est constituée progressivement une aristocratie syndicale plus proche du patronat que du prolétariat et qui, à la longue, s’est muée en une gérontocratie, repoussant toujours plus loin, l’âge de la retraite syndicale.
Toutes ces mutations négatives ont eu pour conséquences de disloquer les ressorts démocratiques de la plupart des organisations syndicales, qui se sont fragmentées en de nombreux groupuscules désireux, eux aussi, d’accéder à la table de négociations et aux obscurs privilèges qui y seraient attachés.
Les larges organisations de travailleurs se sont fractionnées en de nombreux groupes de pression sectaires et clientélistes, faisant prévaloir leurs intérêts étroits sur ceux de la grande majorité des travailleurs.
La plupart des luttes ont perdu leur pertinence et leur caractère progressiste, pour se confiner à un corporatisme étroit, synonyme de cloisonnement et d’inefficacité.
L’État n’a jamais vraiment pris au sérieux les grèves-marathon de secteurs (Santé, Éducation…) – que les officines financières impérialistes qualifient de non-productifs – qui n’affectent pratiquement que les simples gens, usagers du service public et débouchent souvent sur des accords de dupes, dont la matérialisation est presque toujours remise aux calendes grecques.
À contrario, les secteurs des transports, de l’énergie, par exemple, sont crédités d’un fort potentiel subversif, pouvant provoquer, en quelques jours une crise politique majeure, voire un changement de régime.
Face à l’échec de la démocratie représentative, les multiples atteintes aux libertés fondamentales et la faillite des politiques publiques dans tous les secteurs d’activités, de nombreux pays de la sous-région sont happés par un tourbillon sécuritaire, qui menace jusqu’à leur existence.
Notre pays est lui-même traversé par une spirale de violences gratuites, symptomatiques du ras-le-bol populaire face à une gestion tyrannique et injuste du pouvoir, mais aussi des insuffisances de l’opposition politique obnubilée par les questions électorales et ayant peu d’influence sur le mouvement populaire.
Pour éviter à notre pays des convulsions sociopolitiques désastreuses, les travailleurs, tout en luttant pour leurs droits économiques et sociaux, sont appelés à jouer le rôle de dernier rempart contre le chaos imminent, pour plus de démocratie et de justice.
PAR NIOXOR TINE