Maillon essentiel dans le suivi et la mise en œuvre des instructions et recommandations du président de la République et des différents corps de contrôle, les inspecteurs internes se disent confrontés à des blocages structurels qui ne leur permettent pas d’accomplir convenablement leur mission. S’y ajoute : la fonction est peu attractive, ingrate, mal rémunérée… Ce qui fait que, souvent, les orientations du chef de l’Etat peinent à être suivies d’effets. Entre lourdeurs, politisation, malversations financières, népotisme et confusion totale des rôles, l’Administration sénégalaise se déstructure de plus en plus, sous le regard impuissant des inspections internes chargées notamment de veiller sur l’orthodoxie dans le fonctionnement des ministères. Premier niveau de filtre et de contrôle, ces dernières sont confrontées à une multitude de contraintes que la dernière réforme présidentielle n’a pas permis de résoudre complétement.
Pour en savoir davantage sur ce corps méconnu du grand public, ‘’EnQuête’’ a été à la rencontre de plusieurs inspecteurs internes, avec la facilitation du Forum civil. L’espoir était grand avec l’avènement du décret 2021-827 portant modification de celui de 82-632 relatif aux inspections internes des départements ministériels. Le contrôle interne devait ainsi être renforcé pour plus d’efficacité et d’efficience dans la mise en œuvre des politiques publiques. Mais quelques mois après son adoption, la montagne semble plus accoucher d’une petite souris. Un de nos interlocuteurs confirme sous le couvert de l’anonymat : ‘’On est vraiment resté sur notre faim. Des efforts ont certes été faits en ce qui concerne le renforcement de nos prérogatives ; les compétences ont aussi été élargies, rationnalisées et clarifiées, mais les facteurs bloquants sont toujours là. Nous peinons à accomplir notre mission correctement pour plusieurs raisons…
’’Résultat, l’Administration reste toujours peu performante. Avec des empiétements, des lenteurs et autres dysfonctionnements devenus monnaie courante. Et le président de la République ne manque presque pas d’occasion pour s’en désoler. Vendredi dernier, lors de la 6e édition de la Conférence des ambassadeurs et consuls généraux, il avouait : ‘’Trop souvent, et à juste titre, nos missions diplomatiques se plaignent du manque de réactivité de nos ministères. Or, répondre à nos missions, et à temps, est un impératif de courtoisie administrative, mais surtout une exigence de bonne gouvernance. S’y ajoute : les ambassadeurs sont des plénipotentiaires du chef de l’Etat, dépositaires donc de sa confiance et des pouvoirs qu’il leur délègue, au même titre que les ministres du gouvernement qu’ils représentent à l’étranger. Il est important que les ministères répondent à leur sollicitation, à commencer par le ministère des Affaires étrangères. Parce que là aussi, les ambassadeurs souvent se plaignent que le ministère mette du temps à répondre à leurs sollicitations.
’’Quelques jours auparavant, mercredi dernier en Conseil des ministres, Macky Sall s’adressait directement à ses hommes, en les exhortant à davantage œuvrer pour une plus grande efficacité dans la mise en œuvre des politiques publiques. Pourtant, c’est pour renforcer cette efficacité que le président de la République avait pris le décret 2021-827 pour remplacer celui de 1982 sur les inspections internes, jugé obsolète. Dans l’exposé des motifs du nouveau décret, il disait : ‘’Après près de 40 ans de mise en œuvre, ce cadre réglementaire n’est plus adapté au contexte actuel marqué par une évolution de la fonction de contrôle et l’obligation pour l’Administration d’avoir une préoccupation encore plus grande pour la performance, la transparence et la reddition des comptes.’’Aujourd’hui encore, la réforme semble à ses balbutiements.
Plusieurs contraintes continuent d’empêcher les inspecteurs de faire leur travail correctement. Au grand dam de l’Administration publique et, par ricochet, des usagers du service public. Performance, transparence, reddition des comptes Voilà les maitres-mots, fondement de la dernière réforme présidentielle des inspections internes. Hélas, les fruits peinent à tenir la promesse des fleurs. L’une des raisons principales, c’est la dépendance absolue des inspecteurs vis-à-vis de la tutelle.
En effet, au terme de l’article 1er du décret susvisé, l’inspection interne est rattachée au cabinet du ministre et placée sous l’autorité directe de ce dernier, qui valide en même temps les plans de travail annuel, les rapports de l’inspection et doit aussi signer les ordres de mission. Le ministre a donc la mainmise sur tout le processus de contrôle interne et a la possibilité d’empêcher les inspecteurs de poser des actes, selon son bon vouloir. Suivant nombre de témoignages, c’est là que le bât blesse. ‘’En vérité, nous n’avons aucune marge de manœuvre. Pour poser des actes, il nous faut l’autorisation du ministre dont nous sommes censés contrôler les plus proches collaborateurs, sur les plans administratif, financier et technique. Si le ministre ne veut pas, on est désarmé. La seule chose qu’on peut, c’est rendre compte en haut lieu, lors des réunions de coordination avec le Bureau de suivi de l’IGE’’.
Outre cette relation de dépendance, les inspections internes sont également dans un dénuement quasi total, qui ne leur permet pas de faire le job. Malgré le caractère hautement important et central de leur mission, les inspecteurs manquent presque de tout. Parents pauvres de l’Administration, ils n’ont même pas droit à des dotations de carburant, a fortiori des véhicules de service. ‘’Nous utilisons nos véhicules personnels. Il est difficile, dans de telles conditions, de faire le travail convenablement’’, regrette un de nos interlocuteurs. S’y ajoute un manque de personnel presque généralisé, malgré les promesses du nouveau décret. ‘’C’est le cas dans la plupart des départements ministériels. Parfois, vous n’avez que l’IAAF (l’inspecteur des affaires administratives et financières, coordonnateur du service) et son secrétaire, quelquefois avec un seul inspecteur technique pour faire tout le travail. Ce qui fait que le travail est souvent très lent. Rares sont les ministères où les inspections sont assez bien pourvues, bien que le nouveau décret prévoit, outre l’IAAF, au moins deux inspecteurs dans chaque ministère’’.
Manque de respect et de considération Dans une société où la reddition des comptes relève plus de la théorie, être contrôleur n’est pas toujours vu d’un bon œil. Souvent parqués dans leur coin, ces ‘’empêcheurs de tourner en rond’’ ont du mal à s’imposer face à certains agents zélés. ‘’Certains vous disent carrément : ‘Vous n’êtes pas habilités à nous contrôler.’ Parce que, pensent-ils, ils sont supérieurs. C’était le cas, par exemple, des établissements publics et certaines sociétés nationales. Ils (les DG de ces entités publiques) estiment que seule la Cour des comptes et l’IGE peuvent les contrôler. Pas l’inspecteur interne qu’ils considèrent comme un simple subordonné, membre du cabinet du ministre. Mais avec la nouvelle réforme, les choses sont clarifiées. On va voir ce que ça va donner dans la mise en œuvre’’. Et d’ajouter : ‘’En fait, ces gens – certains DG – tiennent tête même au ministre qui est censé être leur autorité de tutelle. Ils pensent ne devoir rendre compte qu’au président de la République, aux corps de contrôle comme l’IGE et la Cour des comptes.
’’ Et ce qui se passe au niveau de La Poste pourrait en être une des illustrations les plus parfaites de ces dysfonctionnements (des proches du DG s’en prennent vertement au ministre par voie de presse). A côté, au niveau même des ministères, les inspecteurs rencontrent d’énormes difficultés, à cause de l’ingratitude de la fonction et de la modicité de leurs moyens. Le contrôle administratif et financier sont ainsi rendus encore plus ardus. ‘’Certains nous voient comme des flics. Ils se méfient de nous. C’est un travail difficile et ingrat à la fois, alors que la rémunération ne suit pas. Les gens n’ont pas cette culture de reddition des comptes. Tout le monde ne se rend pas compte que nous ne sommes pas là pour créer des problèmes ; on est là pour faire éviter les problèmes, faire en sorte que les choses marchent comme il se doit, pour le bien des usagers et de la gouvernance’’, confie un inspecteur. Qui s’indigne : ‘’Regardez la taille de notre ministère ! Nous n’avons même pas un budget de 20 millions de francs.
’’Mor AMAR