Après un exil forcé et douloureux de plusieurs décennies, la localité de Bissine, située dans la commune d’Adéane, dans l’arrondissement de Niaguis, renaît. Cette renaissance est favorisée par le retour progressif des populations, déclenché depuis le 5 juillet 2020, après les opérations de sécurisation menées par l’Armée dans ce secteur, jadis réputé zone de non-droit. Aujourd’hui, l’Etat et ses partenaires ont déployé une batterie de mesures et programmes à Bissine, Bindjalou Manjacque, Niaféna, etc. pour accompagner le retour des populations et leur intégration dans leurs terroirs. Seulement, tout n’est pas rose : si à Bindjalou et Niaféna, les populations adhèrent aux programmes et politiques publiques, à Bissine, l’accompagnement des populations retournées est plombé par des divisons internes, qui sapent tous les efforts consentis depuis plus d’un an
La vie a repris sur les ruines de la guerre. Même si les braises sont encore fumantes, l’avenir est moins compromis à Bissine, déserté pendant longtemps par sa population historique. Ses résidents étaient obligés de fuir les violences nées des affrontements survenus en 1992 entre l’Armée et le Mfdc. Ils se sont éparpillés aux quatre coins de la région de Ziguinchor, Sédhiou, à travers l’arrondissement de Niaguis et en Guinée Bissau. Les moult tentatives de retour des populations ont souvent avorté à cause de l’insécurité manifeste dans la zone, notée au fil des ans. Et l’errance des populations a continué, car elles étaient contraintes, à chaque fois, de différer leur retour au bercail. Le come-back sur les terres ancestrales : c’est le seul rêve, depuis 30 ans, qui avait toujours habité les natifs de Bissine. Il sera finalement matérialisé par l’Etat qui, en 2020, a entrepris la libération par l’Armée de cette zone très difficile, frontalière à la Guinée-Bissau, et où l’essentiel des bases du Mfdc étaient localisées.
Cette dynamique s’est soldée par l’installation d’une importante base militaire à Bindjalou Manjacque, située dans la commune de Boutoupa-Camaracounda, et l’installation de plusieurs cantonnements à Bissine et ses environs, ainsi que tout le long de la frontière sud. Des points stratégiques dans le cadre de la sécurisation de la Casamance, où l’Armée s’est désormais positionnée pour neutraliser les bandes armées. Au final, c’est toute une série d’activités illicites, telles que le phénomène du vol de bétails, très récurrent au niveau de cette bande frontalière, la coupe illicite de bois, la culture du chanvre indien, etc. que l’Armée a ainsi annihilée aujourd’hui, au niveau de ces contrées de l’arrondissement de Nyassia.
Aujourd’hui, l’Etat a fini de régler le problème de l’insécurité, à la faveur des opérations de sécurisation, qui ont totalement réussi, et de déminage menées sur les sites de retour. Comme à Bissine, qui a accueilli ses populations exilées, et où a été déclenché depuis plus d’un an, un processus de réinstallation et d’intégration sociales. «Dans le cadre du processus de retour, Bissine constitue, pour l’Agence nationale pour la relance des activités socio-économiques en Casamance (Anrac) et tous les partenaires, un véritable laboratoire d’expérimentation de programmes et de politiques publiques. Car, c’est à partir de cette localité et en rapport avec les autorités administratives, que l’Anrac a fait en sorte que tous les efforts soient articulés, coordonnés et harmonisés pour offrir les meilleurs services à ces populations retournées», renseigne Ismaïla Diédhiou. Selon le directeur technique de l’Anrac, l’Etat, à travers cette structure, va mobiliser, dans une même dynamique, des programmes tels que le Puma, le Pudc, le Provale-Cv, l’Agropole, pour accompagner le retour des populations déplacées.
Aujourd’hui, les réalisations sont palpables avec le secteur privé, à travers Safor/Cstm qui a érigé deux salles de classe à Bissine. Car, au-delà de renforcer les résultats scolaires, de l’équité, ce geste vise en outre, selon Ismaïla Diédhiou, à inciter le retour des populations au niveau de leur terroir. «Des gens veulent rentrer, mais s’il n’y a pas d’écoles, d’infrastructures socio-économiques de base, ils ne pourront pas le faire, car ils ont également des familles», a-t-il indiqué. «La réalisation de ces infrastructures va permettre d’encourager et beaucoup appuyer le retour des populations, car les écoles, les postes de santé sont extrêmement importants, dans ces zones-là», argue-t-il. En plus du Pudc, qui va apporter de l’électricité dans cette zone, l’Anrac va assurer la disponibilité de l’eau au niveau de ces terroirs. Le but étant d’inciter ceux qui sont encore au niveau des zones urbaines, où leurs enfants sont nés, de bénéficier, à leur retour au bercail, des mêmes conditions de vie que celles qu’ils avaient dans les villes. «Et c’est aussi cela l’équité», renchérit Ismaïla Diédhiou. L’équité se manifeste grâce à ses premiers investissements. «Et le choix de Bissine, par rapport à ce projet, répond à la démarche du président de la République. Car intervenant dans un contexte où il fallait impérativement libérer les populations de la Casamance de cette situation de ni paix-ni guerre, et qui faisait que la plupart des populations casamançaises avaient perdu leur dignité. C’est dire que si des actions de construction et de développement doivent être engagées, il fallait également suivre la situation de maitrise des aspects sécuritaires. Donc, là où les autorités disent que les conditions sont réunies pour que les gens reviennent et qu’on puisse les accompagner en tant qu’élu, en tant qu’organisations de développement, nous y intervenons et c’est ce qui motive le choix de Bissine», explique le député Demba Keïta. Dans le même sillage, le sous-préfet de Niaguis poursuit : «L’Etat veut aujourd’hui le meilleur pour les populations réintégrées des 13 villages. Et que tout ce qui se fait à Dakar, Thiès, Saint-Louis, Ziguinchor, soit réalisé également ici à Bissine et autres.» Richard Birame Faye souligne que l’inauguration de nouvelles salles de classe marque réellement le démarrage de la reconstruction de la zone. «Car constituant, pour l’heure, les seuls bâtiments debout à Bissine», enchaîne-t-il.
Bissine, questions d’intégration
A Bissine, la vie se reconstruit, mais il y a encore quelques problèmes majeurs à gommer. «Le retour est effectif depuis seulement un an et on entend que les populations de Bissine sont en train de se crêper les chignons. Ainsi, les échos que nous recevons de Bissine ne me permettent pas, en tant que maire, de regarder les autorités administratives et politiques, sans pour autant avoir un pincement au cœur. Cela nous pose problème», affiche le maire d’Adéane, qui pose le débat sur l’intégration des populations retournées de Bissine.
Au niveau de cette localité martyre, l’espoir, qui a accompagné le retour au bercail des habitants, est altéré par le climat de «méfiance alimentée par des personnes tapies dans l’ombre, qui sapent l’unité et la cohésion sociale». Grâce au programme de réhabilitation et de réinsertion conçu par l’Etat et ses partenaires, il incombe aux populations de restaurer le sens de la vie communautaire. Alors qu’à Bindjalou Manjacque, la reconstruction est sur de bons rails ainsi que la relance les activités socio-économiques, à Bissine, les démons de la division minent pour l’heure les projets d’intégration et de relance.
A la racine du mal
Bissine, qui constitue la seule localité de la commune d’Adéane, frontalière à la Guinée-Bissau, totalisait près de 1000 habitants et plus de 100 ménages lors du dernier recensement effectué vers les années 90. C’était avant l’exil forcé des populations. Bissine-Albondy, Bissine-Baïnounk, Bissine-Tenda, Dianna et Tranquille étaient les cinq grands quartiers de cette localité où cohabitaient toutes les ethnies de la Casamance. Des quartiers circonscrits par des limites naturelles, avec des voisins unis par une commune volonté de vie commune. Mais, les dernières décennies vécues séparément par les populations ont bouleversé les équilibres sociaux.
Cette situation donne ainsi une certaine idée de la complexité de cette localité, dont les fils étaient éparpillés un peu partout en Casamance et dans la sous-région. Ces jeunes et femmes partagent le même terroir, mais ils sont nés et ont grandi hors de leur environnement naturel à cause de l’exil. Mais, ils sont condamnés à vivre à nouveau ensemble après leur retour. Ils ne sont plus les mêmes, ils ont été nourris à une éducation, voire des cultures différentes. Il y a une ligne de fracture entre ceux qui sont rentrés au bercail et ceux qui ont différé leur retour et qui refusent de valider les aménagements issus du dernier lotissement de 1032 parcelles.
Cette cohabitation se pose entre des populations jadis confinées dans les cinq grands quartiers quasi «autonomes» de Bissine, dont le nouveau découpage a sonné le glas. Une situation qui, selon plusieurs témoignages recueillis dans la zone, a exacerbé des tensions, avec la sortie des «locaux», qui appellent à rejeter le dernier découpage opéré par le Comité de pilotage, présidé par le Gouverneur. «Ce que l’Etat avait à faire il l’a fait. D’abord avec l’Armée pour sécuriser et stabiliser la zone ; puis pour booter l’ennemi hors de là. Ensuite, en accompagnant les populations pour leur retour avec le Puma, qui a amené tous les intrants (ciments, tôles, fer, etc.) à votre disposition pour la construction des habitations. Et au niveau régional, le Gouverneur, pour éviter que vous habitiez comme auparavant, décide de l’aménagement de Bissine pour vous permettre d’avoir de l’eau, l’électricité et tout le confort nécessaire pour l’amélioration de vos conditions de vie, comme en milieu urbain. Tout ce qu’on demande, c’est d’aller construire, car tout un dispositif est déjà mis en place ; au lieu de cela, vous vous crêpez les chignons», s’indigne Ibou Diédhiou, qui a contribué et accompagné le processus de retour des populations de Bissine depuis 2005, jusqu’à leur implantation, le 5 juillet 2020.
Aujourd’hui, le constat est accablant : à Bissine, aucun bâtiment n’est encore sorti de terre, plus d’un an après le retour. Contrairement aux localités de Bindjalou Manjacque et Niaféna, où l’accès est plus difficile que Bissine, en toute période, une quarantaine de maisons sont déjà debout. La vie est belle chez eux. «Mais ici à Bissine, on ne fait que râler à chaque fois. Et malgré tous les efforts consentis par les gens, d’autres essayent de nous mettre des bâtons dans les roues», s’indigne l’édile d’Adéane. Ibou Diédhiou est assez agacé par ces comportements. «C’est comme si on devait donner raison à ceux qui sont de l’autre côté, et qui avaient décidé d’envahir et d’occuper cette localité pendant des années», regrette-t-il.
L’Etat pousse de toutes ses forces, pour accomplir le dernier acte de la reconquête de la zone. «Aujourd’hui, l’hivernage est terminé, je vous exhorte à entamer la construction de vos maisons, car le Puma a donné du matériel de construction d’une valeur de 40 millions F Cfa (ciment, tôles, rôniers, etc.) pour l’aménagement des sites d’habitation de 1032 parcelles», conseille le sous-préfet de Niaguis. Richard Birame Faye cite les réalisations à Bindjalou et Niaféna, avec la construction de 40 maisons. «Bissine peut également le réaliser au lieu de se laisser divertir par des gens de l’extérieur», dit-il.
Mettre hors d’état de nuire les fossoyeurs de la paix
Pour le maire d’Adéane, il est temps que les agissements des personnes malintentionnées et tapies dans l’ombre cessent. «Sinon, ce serait un éternel recommencement», prévient Ibou Diédhiou. «Personne ne viendra développer Bissine à leur place. Bissine n’est pas le seul village retourné de l’arrondissement de Niaguis, où on compte aujourd’hui 13 villages retournés. Quand il y a ici des difficultés, retrouvez-vous autour d’une table ou sous l’arbre à palabres et discutez», conseille Ibou Diédhiou. A ses yeux, l’Etat et les partenaires ont joué intégralement leur partition. «Et si vous voulez que Bissine sorte de cette situation, cela ne dépendra que de vous, de vos comportements et vos agissements. Car, on n’arrive au terme d’un long processus pour ramener les populations au bercail, mais des forces occultes essayent de saper cette bonne dynamique», insiste Ibou Diédhiou. «L’Etat ne peut pas gérer deux conflits en même temps, à savoir le conflit casamançais et ce conflit interne à Bissine», met-il en garde.
Même son de cloche chez le député Demba Keïta, qui a insisté sur les moyens pour permettre aux Forces de défense et de sécurité de nettoyer la zone de Bissine. «Il faut que les autorités administratives, au niveau local, et les collectivités territoriales puissent aussi faire un travail au niveau communautaire pour ressouder les liens sociaux et familiaux. Tout en faisant respecter la loi.» Selon ses dires, tout le monde n’est pas favorable au retour de la paix, surtout ceux qui vivent du conflit, de l’économie de guerre. «On connaît les fossoyeurs, il faut les neutraliser, M. le sous-préfet. Il ne faut pas leur donner la possibilité de nous faire chanter, car ils ont leurs propres intérêts au détriment de l’intérêt général des populations. Et on doit s’opposer à cela», clame Demba Keïta, acteur, depuis des décennies, du processus de paix avec l’Ong Ajac/Apran. Il ajoute : «C’est ce que nous avons toujours fait ici, ce que le Président Macky Sall a compris, en commençant par Bissine. Car depuis Diouf, Wade, nous n’avons jamais eu le soutien de l’Etat et c’est seulement avec Macky, qu’on a senti l’engagement de l’Etat et du Président de la République pour dépasser cette situation, qui perdure depuis 39 ans.»
Aujourd’hui, il est question de refuser de se plier, sous les assauts des «fossoyeurs» de la paix. «Et même s’il doit y avoir 30, voire 40 familles qui sont prêtes à démarrer leur construction, que l’Administration soit également prête à les accompagner dès maintenant pour l’érection de leurs maisons. Distribuer les parcelles afin qu’elles commencent à construire», plaide Demba Keïta. Pour lui, il faut aller de l’avant pour consolider le processus actuel, comme à Bindjalou Manjacque, Niaféna, Boucotte Mancagne. «Et si maintenant, ce sont deux personnes tapies dans l’ombre qu’on connaît et qu’on a fini d’identifier, qui vont nous empêcher de libérer ces populations-là de la dette, de cette situation d’étouffement, ce sera une faiblesse qu’il ne faut pas accepter», admet le député.
En écho, le sous-préfet de Niaguis, Richard Birame Faye, essaie de placer les populations devant leurs responsabilités. «J’ai l’impression que vous, populations de Bissine, n’avez pas compris les enjeux ; tout l’effort fourni en termes de sensibilisation, beaucoup de gens ne l’ont pas compris, notamment ceux qui polluent l’atmosphère et qui vous mettent en mal avec les pouvoirs publics et qui sont contre le lotissement de Bissine», martèle-t-il. Sans langue de bois, le sous-préfet de Niaguis assure que ces fossoyeurs de la paix sont à Dakar, Ziguinchor, dans des zones bien loties. «Et sachez que s’il n y a pas de lotissement il n’y aura d’électricité, pas de réseau d’adduction d’eau, etc.», prévient-il.
Il rappelle que le lotissement réalisé à Bissine répond à une loi et a été piloté par le Comité régional d’urbanisme, présidé par le Gouverneur de Ziguinchor. «Celui qui s’oppose donc à ce lotissement, s’expose dès lors à des sanctions prévues par la loi. Et celui qui enlève une borne, je m’occuperais personnellement de lui, car on en a assez de la récréation. Et vous avez vécu 30 ans de conflit, 30 ans d’errance, de stagnation, car l’Etat n’a pas pu réaliser des choses ici pour des raisons de sécurité. Aujourd’hui que cela est réglé, vous devez être les premiers à refuser ces polémiques liées au lotissement de Bissine», enjoint-il aux populations. Pour le sous-préfet, la terre est du domaine national, appartenant à l’Etat. «Et j’en veux pour preuve, qu’aucun de vous ne dispose d’une délibération, d’un bail, d’un titre foncier, etc. Arrêtez, car les gens se sacrifient pour vous», tonne-t-il. Lui et les autres responsables de la région sont complétement désabusés par la situation prévalant à Bissine, qui panse ses plaies, en les grattant en même temps.