La marche de la justice montre que, de temps à autres, la promotion, l’affectation ou le relèvement d’un magistrat de ses fonctions, est vu comme une réponse à la «servilité» ou la désobéissance à la tutelle
La décision d’affecter l’ancien président de l’Union des magistrats sénégalais (Ums) à la Cour d’appel de Tambacounda est perçue comme une sanction par certains. Elle n’est pas la seule mesure à être perçue comme telle. La marche de la justice montre que, de temps à autres, la promotion, l’affectation ou le relèvement d’un magistrat de ses fonctions, est vu comme une réponse à la «servilité» ou la désobéissance à la tutelle.
AFFECTE A LA COUR D’APPEL DE TAMBA EN GARDANT LE MÊME POSTE DE PRESIDENT DE CHAMBRE : Téliko paye pour… son «indépendance»
L’ancien président de l’Union des magistrats Sénégalais (Ums) n’a pas bénéficié d’une promotion lors du Conseil supérieur de la magistrature (Csm) tenu avant-hier, lundi 22 novembre 2021 au Palais de République. Il quitte la Cour d’Appel de Thiés pour celle Tambacounda avec le même poste : président de Chambre (de cette Cour d’Appel).
Selon la livraison d’hier, mardi 23 décembre de certains quotidiens, Souleymane Téliko qui siège, au même titre que le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, au Conseil supérieur de la magistrature, a pris la décision comme une sanction. D’après le quotidien Les Echos, il a qualifié la décision «d’injustifiable», en s’adressant à son ministre de tutelle qui n’est autre que le Garde des Sceaux, Me Malick Sall. L’affectation à Tambacounda reste, si l’on en croit ce quotidien, une décision que le magistrat Souleymane Téliko perçoit comme une épreuve à surmonter.
Pour l’ancien Procureur spécial près la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) et magistrat à la retraite, Aliou Ndao, amener Souleymane Téliko à Tambacounda n’est ni plus ni moins qu’une sanction. «La presse a fait état de l’incident qu’il y’a eu au cours de la réunion du Conseil supérieur. Tout le monde sait qu’entre le juge Téliko et l’actuel ministre de la justice, le torchon brule depuis longtemps. Le fait de l’affecter à Tambacounda, pour moi, constitue une affectation-sanction. La mesure n’est aucunement une promotion parce qu’il est affecté au Tribunal de Tambacounda qui n’est pas d’ailleurs fonctionnel et avec le même statut de président de chambre», a-t-il dit dans son analyse des décisions issues du Conseil supérieur de la magistrature (Csm), sur la Radios futurs médias (Rfm).
Mieux, selon Aliou Ndao, «ce n’est pas du tout une promotion ; c’est une sanction déguisée en affectation parce qu’il était président de Chambre et c’est lui qui avait jugé le problème des faux médicaments, dont l’auteur avait été gracié par le président Macky Sall alors que le dossier était en cours». Et, à son avis, le fait de l’affecter à Tambacounda, dans une juridiction qui n’est pas encore effective, reste une décision avec l’intention de sanctionner.
L’ancien Procureur spécial de la Crei explique aussi le départ de Souleymane Téliko du Tribunal de Thiés par une mésentente, connue de tous, avec Me Malick Sall. «Tous les acteurs de la justice savent qu’entre Souleymane Téliko et le Garde des Sceaux ministre de la Justice, le torchon brule depuis longtemps. Tout le monde le sait», insiste-t-il.
Pour rappel, outre ce procès sur les faux médicaments avec la grâce «inexpliquée» accordée au cerveau Mamadou Woury Diallo, le juge Souleymane Téliko a eu des antagonismes connus avec sa tutelle. Sa sortie, dans la presse, sur l’affaire Khalifa Sall lui a valu la traduction devant le Conseil de discipline du Conseil supérieur de la magistrature ; une procédure qui a eu comme résultat, un blâme.
Il y a aussi son engagement affiché pour une Justice indépendante, sans la présence de l’exécutif (Président de la République et Garde des Sceaux) dans le Csm. Souleymane Téliko avait fortement porté le combat du magistrat Ngor Diop, après son refus de libérer un guide religieux sur demande d’une autorité, alors qu’il était président par intérim du Tribunal d’instance de Podor. Le différend Yaya Amadou Dia et le juge Ousmane Kane a aussi mis le juge Souleymane Téliko au-devant de la scène. Alors président de l’Ums, des communiqués de presse relatifs à la position du Bureau de l’organe de défense des intérêts des magistrats sur cette affaire ont été largement diffusés dans la presse.
ALIOU NDAO, YAYA AMADOU DIA, MOUSTAPHA KA, SAMBA NDIAYE SECK ET NGOR DIOP : Des cas qui en cachent d’autres
Mardi 11 novembre 2014, c’est par un décret présidentiel que Macky Sall a démis le magistrat Aliou Ndao de ses fonctions à la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). Alors qu’il s’était présenté à procès, le président de ladite juridiction avait suspendu l’audience après que la décision de la tutelle lui avait été envoyée par message. Aliou Ndao venait ainsi d’être remplacé par Cheikh Tidiane Mara. La faute reprochée à Aliou Ndao est le non-respect des décisions de la hiérarchie sur les poursuites à engager.
Revenant sur cette éjection, en mars dernier lors d’un séminaire sur l’indépendance de la justice organisé par l’Ums, Aliou Ndao l’avait qualifié d’un «mépris» de la justice. «Je peux revenir sur cette parenthèse pour dire simplement qu’elle est la preuve du mépris du pouvoir exécutif à l’endroit du pouvoir judiciaire. Je n’en ai jamais parlé et je n’en parle pas avec rancœur», avait-il dit.
Avant de se demander : «comment peut-on relever un Procureur en pleine audience ? Parce que simplement celui-ci était en train de faire son travail correctement. Donc, cela est révélateur d’un manque d’indépendance et du peu de respect que le pouvoir exécutif a à l’endroit du pouvoir judiciaire. Le pouvoir exécutif n’a aucun respect pour le pouvoir judiciaire. Le pouvoir exécutif ne veut pas d’une justice indépendante. Les tenants du pouvoir ont peur d’une justice indépendante».
Ce procès de Karim Wade avait été aussi marqué par un autre incident qui avait valu à son auteur une affectation. Suite à un différend avec le président Henry Grégoire Diop, le juge Yaya Amadou Dia avait quitté l’audience. Il n’a plus siégé à la Crei. Convoqué par le Conseil de discipline du Csm, le magistrat sera affecté par la suite à la Cour d’appel de Kaolack comme conseiller, ce qui était perçu comme une sanction par certains de ses collègues.
Les magistrats Moustapha Ka et Samba Ndiaye Seck ont été démis de leur fonction suite à leur sortie, au Comité des droits de l’Homme des Nations-Unies, annonçant une possible réhabilitation de Karim Wade. Considéré comme une sanction, l’Ums avait, dans un communiqué, fustigé «la brutalité et la médiatisation de cette affaire». Aussi avait-elle déploré «le non-respect du parallélisme des formes» dans ce limogeage, en estimant Moustapha Ka «ne peut être démis que par un décret puisqu’il a été nommé par décret n°2017-228 du 6 décembre 2017, après avis du Conseil supérieur de la magistrature». Elle avait invité le gouvernement «au respect strict de ce principe», tout en reconnaissant à l’autorité politique sa liberté de se «séparer, à tout moment de tout collaborateur». L’autre regret de l’Ums c’était également d’avoir jeté, à travers cet évincement médiatisé par l’autorité, «en pâture deux valeureux magistrats dont la bonne foi n’est pas discutée».
Le magistrat Ngor Diop, juge et président par intérim du Tribunal d’instance de Podor avait été nommé Conseiller à la Cour d’appel de Thiès, suite à son refus de libérer un guide religieux. L’affaire est toujours pendante devant la Cour Suprême puisque lui-même avait saisi la haute juridiction pour contester son affectation. A signaler que c’est le président de la République, président du Conseil Supérieur de la magistrature, qui procède aux nominations, sur avis du Garde des Sceaux, ministre de la Justice et du Conseil supérieur de la magistrature.