Macky Sall et Emmanuel Macron, les hors-la-république

par pierre Dieme

Au Sénégal, l’obsession de l’exigence démocratique a fini par occulter l’exigence républicaine. Le régime de Macky est un fourre-tout de transhumance antirépublicaine et de clientélisme à haut débit

« La République va bien grâce à vous ! » Sur fond de crise de gilets jaunes, Emmanuel Macron avait été consolé par le petit-fils du Général de Gaulle, le 8 mai 2019. Macky Sall, le 10 novembre 2021, a eu les oreilles qui sifflaient. De passage pour la Paix à Paris, le président sénégalais a répliqué par des propos guerriers à l’antipode de l’esprit républicain. Il faut dire que, dès mars de cette année, aucun membre de la famille de Senghor ne se risquerait à lui donner un blanc-seing républicain.

J’ai conscience que les deux Républiques en question ont leur propre histoire et développement, même si Senghor s’est inspiré du régime républicain français. Si je m’intéresse à ces deux chefs d’État, en particulier sur ce thème-là, c’est qu’Emmanuel Macron et Macky Sall ont été élus pour donner un second souffle à leur République. Les noms de leurs partis, au demeurant, font la part belle à la République : La République en marche (LRM) et l’Alliance pour la République (APR).

Leur résultat, à la fin de leur mandat, est, cependant, mi-figue mi-raisin pour la France, et désolant pour le Sénégal. Si mon titre « Hors-la-République » les met sur un même pied d’égalité, pour Emmanuel Macron, il faut entendre qu’il est hors-sol, déconnecté des enjeux républicains contemporains, par ignorance idéologique et par absence de constance. Pour Macky Sall, c’est plutôt qu’il est hors-la-loi, il ne respecte aucunement les principes fondateurs d’une République, il les piétine.

Emmanuel Macron et Macky Sall sont dans l’air du temps, prêts à aller là où souffle le vent de l’opportunisme politique. Ni de droite, ni de gauche, inclassables dit-on, tous deux ont chamboulé leur paysage politique respectif, mais dans le but sinistre de réduire leurs oppositions, en siphonnant et judiciarisant, selon leur bon vouloir.

Stratégiquement proches donc l’un de l’autre, Emmanuel Macron et Macky Sall appuient sur le curseur souverainiste, consubstantiel à la République, a fortiori quand le besoin électoral s’en fait ressortir. L’un change la couleur du drapeau tricolore (bleu foncé, ça fait plus zémmouriste !), l’autre initie la cérémonie de levée du drapeau. L’un appelle à la cohésion de la Nation au début de la crise du Covid-19, l’autre combat le séparatisme religieux à la sortie du 1er confinement. Orfèvres de la chose publique, l’un distribue des sacs de riz tandis que l’autre signe des chèques de 100 euros.

Emmanuel Macron et Macky Sall ont hérité d’une République malade, fracturée de toutes parts. Où le devoir républicain est contesté par certains citoyens, notamment sur le plan de la laïcité et de l’école. Pour y remédier, encore fallait-il un respect absolu du droit républicain par les anciens chefs d’État. Sarkozy était le tricheur en chef d’une République en trompe-l’œil. François Hollande représentait la République des copains énarques. Me Abdoulaye Wade, quant à lui, avait morcelé la République pour en faire un « régime bâtard. » (Selon l’expression de Jean Bodin). Les deux nouveaux présidents avaient alors carte blanche pour reconquérir la République.

Sur le front républicain, Emmanuel Macron et Macky Sall ont agi sans conviction. La forme est là, mais le contenu est vide. Ils excellent dans le marketing politique : Emmanuel Macron supprime l’ENA, Macky Sall initie des concertations nationales sur la gestion du pétrole et du gaz. Nonobstant, ils naufragent sur la réforme républicaine ! Le scandale Aliou Sall et « La mafia de l’État » (ouvrage français) traduisent un exercice républicain entre-soi, familial et confus entre les frontières du privé et du public. L’identité de leurs principaux opposants, non-professionnels de la politique, en dit long sur l’ampleur de leur revers : un ancien haut-fonctionnaire avec Ousmane Sonko qui est la nouvelle figure de la probité républicaine et Éric Zemmour, un éditorialiste, qui joue sur les Républiques d’antan pour faire rêver de la grandeur perdue.

Il y a un autre signe qui ne trompe pas quant à leur échec commun : le déclenchement de deux insurrections durant leur mandat, au Sénégal (mars 2021) et en France (Gilets jaunes). Emmanuel Macron et Macky Sall ont ressenti la même peur, à des intervalles différents : se voir éjecter précipitamment du pouvoir par le Peuple. Ils ont repris la main. Cependant, leur image républicaine est entachée à tout jamais, accusés tous deux d’être les présidents des riches, d’une élite, d’un clan. Ces deux insurrections expriment une même incapacité républicaine, celle de soutenir la classe moyenne en France et celle de la faire émerger au Sénégal.

Or la République, dans sa dimension bodiniste, c’est l’accomplissement des valeurs morales de raison, de justice, d’ordre, dans la seule finalité d’atteindre le bonheur. Oui, la République, c’est la félicité de vivre libre au sein d’une même communauté politique et de bénéficier de façon égale de la chose publique.  Les Français sont malheureux. Ils sont déjà en quête de plus de pouvoir d’achat dès le 10 du mois alors que l’indice du CAC 40 bat des records historiques et que Brigitte Macron se soucie de l’odeur des tapisseries de l’Élysée. Les Sénégalais sont malheureux. Les jeunes, sans perspective et en mode de survie quotidienne, fuient la Teranga alors que la nouvelle bourgeoisie salliste se la coule douce.

Léopold Sédar Senghor, à l’exemple du Général de Gaulle, incarnait la République. Abdou Diouf, tout comme Georges Pompidou et Jacques Chirac, orchestrait l’appareil politico-administratif, en bon père de famille, bon an, mal an. Le plus farouche opposant, dans le sillage de François Mitterrand, Me Abdoulaye Wade, lui, personnifiait la démocratie.

Mais voilà, au Sénégal, l’obsession de l’exigence démocratique, légitime fût-elle, a fini par occulter l’exigence républicaine, à savoir la bonne gouvernance. Deux affaires emblématiques déchiffrent le recul de la République sous Wade. Tout d’abord, l’affaire de la valise lors du dîner d’adieu du représentant local du FMI et l’affaire des droits d’auteur du Monument de la Renaissance Africaine. La République se volatilise dans l’intérêt personnel du chef de l’État. C’est une particularité bien sénégalaise de la pratique des cadeaux pour justifier les comptes en banque bien garnis de Monaco ou de Macky Sall.

Citons Bodin, c’est plutôt corruption de République qu’une République. C’est encore plus vrai sous Macky Sall. L’Assemblée nationale, haut lieu de la représentation du Peuple, a été contaminée par les frasques de la décadence républicaine. Faisant suite au désordre des passeports diplomatiques vendus par des députés affairistes, j’avais écrit que la République de Macky Sall était une fabrique de contrefaçon. Tout y était faux, sauf les morts des pirogues et les pauvres.

L’ancien directeur de cabinet d’Abdoulaye Wade, Pape Samba Mboup, dans une interview, prit prétexte de mes propos pour cibler l’entourage du président. C’est la démonstration parfaite de la lutte d’influence interpersonnelle, au sommet de l’État, sans se soucier de la grandeur de la République. Oui, la République, c’est de penser avant tout aux autres, au destin d’un Peuple, et non de soi et de ses petites ambitions personnelles.

Le régime de Macky Sall est un fourre-tout de transhumance antirépublicaine et de clientélisme à haut débit. Même les élections locales ne sont pas épargnées : soutien de listes parallèles discourtois d’un point de vue républicain, conflits d’intérêt manifeste avec des candidats directeurs généraux de sociétés nationales, préfectorisation de la démocratie locale : les préfets ont remplacé le parrainage, l’élimination des candidats de l’opposition tourne à plein régime.

Au Sénégal, le débat sur le 3ème mandat de Macky Sall, direct (il se présente) ou indirect (il combine un dauphin) – c’est du pareil au même, cela reste un 3ème mandat, fait oublier que la démocratie n’est qu’un attribut de la République. La démocratie ne sert à rien s’il n’y a pas de vraie République. La démocratie n’est alors qu’une succession de maîtres. Nous l’avons mesuré lors du passage de témoin entre Me Abdoulaye Wade et son élève Macky Sall.

Dans ce contexte, le nouveau fonds pour la démocratie, géré par Achille Mbembé, est, ne serait-ce que dans son intitulé, une erreur stratégique de la part de la France. Ce pays se distingue par ses valeurs républicaines (Liberté et chose publique), ce sont elles qu’il faut promouvoir. Mauvaise pioche pour Emmanuel Macron !

Au Sénégal et en France, les citoyens de ces deux pays doivent se réapproprier leur République. Jean-Jaurès nous le rappelait : « La République c’est le droit de tout homme, quelle que soit sa croyance religieuse, à avoir sa part de la souveraineté. » Prenez votre part de souveraineté pour exiger une vraie République !

Emmanuel Desfourneaux de SenePlus

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