J’ai l’habitude de jeter un rapide coup d’œil sur les décisions prises par le président-politicien dans le cadre des nominations individuelles, lors des conseils de ministres. Deux d’entre elles, prises lors de celui du mercredi 27 octobre 2021 ont retenu mon attention, comme de nombreuses autres avant elles. Il s’agit de :
1 – Madame X, juriste, nommée Directeur de la Promotion de la bonne gouvernance ;
2 – Monsieur Y, Enseignant-chercheur, nommé Directeur du Suivi et de l’Evaluation des Politiques de Bonne Gouvernance.
Je précise que j’ai écrit exactement comme dans le communiqué dudit conseil. Je précise également que je ne doute point de la compétence des deux promus, ne les connaissant ni d’Adam ni d’Ève, comme on dit familièrement. Ce sont les titres pompeux que l’on colle souvent à des compatriotes bombardés à de hauts postes de responsabilités qui me posent souvent problème. Des titres comme « juristes », « économistes », « experts » en ceci ou en cela, « titulaires » de master ou de diplômes d’études approfondies (DEA) en ceci ou en cela. Des gens nantis de ces seuls titres (souvent non vérifiés semble-t-il) sont bombardés ministres, secrétaires généraux, directeurs de l’administration et de l’équipement (Dage), inspecteurs des affaires administratives et financières (Iaaf) dans les différents ministères, etc. Ces postes exigent quand même une compétence avérée, une connaissance approfondie des différentes procédures de l’administration, notamment de gestion de nos deniers publics. Il faut vraiment être le « père » ou le « fils » pour nommer Dage ou secrétaire général d’un ministère un homme ou une femme qui n’a pratiquement jamais travaillé dans l’administration. Peut-être même, qui étreint le premier poste de sa vie. Oui, cela existe bien dans notre pauvre pays, depuis le 1er avril 2000. Dans mes différents livres comme dans mes nombreuses contributions, j’ai vigoureusement dénoncé cette pratique à mille lieues de la bonne gouvernance. Cette bonne gouvernance pour la promotion de laquelle le président-politicien a nommé une directrice le 27 octobre 2021, et un autre chargé de l’évaluation et du suivi des politiques.
C’est énorme tout cela. Pour assurer la promotion d’une bonne gouvernance ou pour en assurer l’évaluation et le suivi des politiques, il faut quand même qu’elle existe. Or, où est cette bonne gouvernance dans toute la politique que met en œuvre le président-politicien depuis le 2 avril 2012 ? Je lui lance un défi, à lui et à ses vuvuzela. Qu’ils répondent à cette question !
Une bonne gouvernance, c’est d’abord un président de la République digne de la fonction, qui met en place un gouvernement resserré, avec des ministres eux aussi à la hauteur de la fonction pour laquelle ils sont nommés, donc connus pour leurs compétences, leur expérience, leur esprit d’entreprise, leur intégrité morale, etc.
Une bonne gouvernance, c’est une administration neutre, donc loin de la politique politicienne, efficace et au service des seules populations, sans tenir compte de leurs quelconques appartenances. Ses principaux responsables sont choisis, non en fonction de leur qualité de membres du parti gouvernemental ou de leur proximité avec le président de la République chef du parti, la « première dame », un chef dit religieux ou un quelconque porteur de voix présumé, mais en fonction de leurs seules compétences et intégrité morale. Dans cette administration, directeurs généraux, directeurs et autres responsables se préoccupent exclusivement à faire avancer les services qui leur sont confiés, plutôt que de s’occuper à massifier le parti dans leurs localités respectives, en faisant montre d’une générosité qu’ils auraient bien du mal à justifier[1]. Cette administration-là, est-elle celle que nous vivons depuis le 1er avril 2000 ?
Une bonne gouvernance, c’est une gestion vertueuse des différentes ressources du pays, protégées par des autorités qui sont intraitables dans la lutte qu’elles mènent contre la corruption, les détournements de deniers publics et tous autres actes crapuleux, plutôt que de les nourrir au niveau le plus élevé de l’État. Une bonne gouvernance, ce sont des organes de contrôle dotés de suffisamment de moyens humains, financiers, matériels, logistiques et surtout d’une bonne autonomie, leur permettant de faire leur travail sans pression, et en fonction de leur seule conscience. Des organes qui, s’il y a lieu, saisissent directement la justice des dossiers mettant gravement en cause des gestionnaires.
Une bonne gouvernance, c’est la lutte contre l’impunité, celle pour l’égalité devant la loi de tous les citoyens et de toutes les citoyennes, et quelles que soient leurs différentes origines et/ou appartenances. C’est donc une justice équitable, qui ne fasse pas de différence entre « Kumba am ndey » et « Kumba amul ndey ». Une justice qui est, au contraire, la « ndey », la mère de tous les citoyens et de toutes les citoyennes. En résumé, une justice totalement indépendante et à leurs services exclusifs, et non à ceux d’une quelconque autorité, fût-elle au niveau le plus élevé de l’État et distribuant, par ses décrets, de « juteuses » stations à une minorité de compatriotes bien identifiés.
La gouvernance qui vient d’être passée en revue, et non de façon exhaustive d’ailleurs, est-elle vraiment celle que nous vivons depuis le 1er avril 2000 ? Qui peut me situer, dans la seconde, une seule politique, une vraie, que l’on peut considérer comme de bonne gouvernance ? Donc, quelle bonne gouvernance Madame X a-t-elle pour mission de promouvoir ? Quelles politiques de bonne gouvernance Monsieur X va-t-il suivre et évaluer ? En tout cas lui aura bien du mal à s’acquitter de sa mission, le suivi et l’évaluation n’étant pas le point le fort de la politique de son mentor. Nos deux amis vont donc passer tout le temps à la tête des « services » qui leur sont confiés, pour être payés à ne rien faire, en tout cas à ne pas faire grand-chose. Comme d’ailleurs de nombreux autres compatriotes nommés sur la base des mêmes « titres » ministres d’État (oui, ministres d’État), ministres, ministres conseillers spéciaux, ministres conseillers, conseillers spéciaux, ambassadeurs itinérants (qui ne bougent pas d’un mètre), chargés de missions (qui ne mettent pas un pied à la présidence de la République) directeurs généraux, directeurs, présidents de conseils d’administration, de conseils de surveillance (qui ne surveillent rien), etc. C’est tout cela, depuis le 1er avril 2000, la nauséabonde gouvernance du « père », du fils biologique, des deux « fils putatifs » et des autres acolytes, membres de cette famille dite libérale qui travaille à se retrouver pour rester au pouvoir bien au-delà de février-mars 2024. Sans doute, le peuple sénégalais est-il facile, très facile à gouverner. Cependant, les laissera-t-il réaliser tranquillement leur rêve ? Je laisse le soin aux lecteurs et aux lectrices de répondre à cette question.
Dakar, le 28 octobre 2021
Mody Niang
[1] Je pense notamment à de hauts fonctionnaires de l’administration fiscale comme Amadou Ba, Cheikh Tidiane Ba, Mame Boye Diao, pour ne citer que ceux-là parmi de nombreux autres.