Écartelés entre écoutes et espionnage, les sénégalais peuvent-ils se sentir sous étroite surveillance ? Tout porte à le croire avec la frénésie de vote de lois les unes plus scélérates quand les autres démontrent nettement une volonté de privation ou de contrôle des libertés publiques. Mieux, la présence de caméras de surveillance dans les centres urbains au moment où le maillage sécuritaire continue d’être une urgence nationale. Agressions, meurtres, trafic de drogue, trafic de faux billets ou de passeports diplomatiques, cette surveillance serait-elle applicable qu’à une catégorie de citoyens ?
En votant le projet de loi n°10/2021 modifiant la loi n°65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal et celui du n°11/2021 modifiant la loi n°65-61 du 21 juillet 1965 portant Code de procédure pénale, le Sénégal a-t-il adopté un Patriot Act renforcé ? On pourrait penser que non car si les services des États-Unis disposent de moyens conséquents pour leur permettre de dérouler sans ambages la surveillance généralisée de leurs concitoyens, il est impossible d’en dire autant pour le Sénégal.
Mais, renseigne Ibrahima Samb un ancien officier spécialisé dans la Cybersécurité, il convient de reconnaître que cette loi, « s’efforce au contraire de clarifier et d’adapter notre droit à des évolutions technologiques qu’on pouvait à peine soupçonner lorsque la loi de 2007 sur les interceptions de sécurité (les écoutes par les services de renseignement, aussi appelées écoutes administratives) a été adoptée. De manière imparfaite, certes, mais sans justifier un tel tollé ».
Des propos battus en brèche par Mor Talla Gueye é plus connu sous le nom de Nit Doff pour qui, « sous prétexte de mieux encadrer, on ne fait qu’ouvrir la porte à une surveillance généralisée des citoyens. ». Selon l’Activiste, le dernier rapport de l’African Digital Rights Network est assez révélateur des craintes de nombreux sénégalais. « L’Etat a rendu obligatoire l’enregistrement des téléphones portables et a acheté la technologie de surveillance des téléphones portables Fin Spy et a fait les deuxièmes demandes de données de surveillance de tous les pays », comme le renseigne l’étude qui révèle « qu’il n’y a pas de droit de soumettre une notification dans la loi de surveillance sénégalaise. Et il n’ y a aucune obligation légale de rendre compte au public du nombre et du type de demandes et d’autorisation de surveillance ».
En l’absence d’encadrement juridique, les juges faisaient alors référence à l’article 81 du code de procédure pénale (comme ils le font aujourd’hui en matière de géolocalisation) pour les requérir : « Le juge d’instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité. » Mais certains magistrats estimaient que l’expression « conformément à la loi » ne leur permettait pas d’enfreindre la loi visant le secret des correspondances. Avec le recul des années, on peut dire que ces derniers avaient raison, puisque le législateur a pour la première fois « officialisé » cette pratique en 2007.
Un rapport de l’African Digital Rights Network, cite le Sénégal parmi six pays africains où la surveillance de masse est pratiquée par l’Etat en totale déphasage des libertés publiques consacrées par la Constitution
Pour l’Activiste, c’est un sujet qui nous concerne tous. Il était donc prévisible qu’en l’absence de communication et d’explications de la part du gouvernement, cette loi allait mettre le feu dans les différents états-majors politiques notamment de l’opposition, qui voient à travers cette loi une volonté de casser toute ambition comme malheureusement, Karim Wade et Khalifa Sall. Ça eu également l’heur de décupler les posts et commentaires sur Internet.
Pour bien comprendre les enjeux possibles du gouvernement et les craintes légitimes des opposants, Journalistes et Activistes, il n’est peut-être pas mauvais de faire une rétrospective et à la loi de 2007 où l’État était devant un vide juridique. Mais depuis, les lois s’accumulent. Aussi bien pour les surveillances techniques effectuées par des policiers et des gendarmes sous le contrôle d’un magistrat, que pour celles qui n’apparaîtront jamais dans aucune procédure.
Les écoutes administratives : Avant 2007, les seuls textes relatifs aux écoutes ont été obtenus lors du passage de feu Jean Collin au ministère de l’intérieur entre 1971 et 1979. L’ancien tout puissant ministre d’état avait décidé d’organiser les écoutes. C’est ainsi qu’avec la création de la direction de la Sûreté de l’État, il sera mis en place un service chargé des questions de renseignement, dont le patron propose la création d’un organisme central placé sous son autorité : le réseau administratif des communications du Sénégal (Racs). Une circulaire qui à l’époque est classée secret-défense, mais prévoit que le RACS est en charge de « l’ensemble des écoutes et enregistrements téléphoniques et télégraphiques sur fils ainsi que des renvois sur réseau PTT des écoutes microphoniques, ordonnées par les autorités gouvernementales.
On dit que c’est grâce au RACS que le président Abdou Diouf a été averti de plusieurs coups fourrés de l’opposition de l’époque, dans son propre camp également.
Les écoutes judiciaires : À la préhistoire du téléphone filaire, il y avait peu d’écoutes judiciaires. Aussi, lorsque le juge délivrait une commission rogatoire à un OPJ, celui-ci devait se débrouiller. Si, dans les grandes villes, les services étaient équipés d’une pièce réservée à cet effet, ailleurs, c’était beaucoup plus difficile. Il fallait requérir les Postes et Télécommunications afin que soit effectuée l’opération technique nécessaire pour dériver la ligne à surveiller sur une autre ligne réservée à cet usage, laquelle était généralement ramenée dans un commissariat. Il n’y avait plus qu’à la relier à un magnétophone. Et tous les jours récupérer les bobines, les lire et dresser un procès-verbal des conversations susceptibles d’intéresser l’enquête. Un travail énorme. Quand la demande est devenue plus forte, ce sont de petites entreprises, parfois créées par d’anciens policiers ou gendarmes, qui ont effectué ce travail.
Il faut bien reconnaître que cet amateurisme et cette absence de contrôle étaient sources de dérapages. Notamment avec la technique de « la boîte vide ». Cela consistait à utiliser une procédure destinée à être classée sans suite, et à glisser dedans une écoute concernant une tout autre affaire, plus délicate, dans laquelle des personnes pouvaient être mises en cause. Une manœuvre utilisée parfois par certains magistrats, ou par des enquêteurs qui abusaient de leur confiance, et qui n’allait pas dans le sens des droits de la défense. Et les tentations grandissaient à la mesure des prouesses techniques. Dans une circulaire datant de 1997, le Garde des Sceaux de l’époque Jacques Baudin demandait d’ailleurs « que les commissions rogatoires soient suffisamment explicites et permettent aux magistrats d’élargir leur contrôle sur les modalités de mise en œuvre des écoutes téléphoniques ».
Cheikh Saadbou DIARRA de Atlanticactu.com