Personne ne peut comprendre que l’Onas, une structure de l’Etat société nationale, ne puisse pas assurer régulièrement l’assainissement de Dakar
Le 2 avril 2019, lors de sa prestation de serment à Diameniadio après sa réélection, le Président Macky Sall déclare sans ambiguïté, qu’« il y a urgence à mettre fin à l’encombrement urbain, à l’insalubrité, aux occupations illégales de l’espace public et aux constructions anarchiques ». Dans la foulée, il appelle à une mobilisation générale pour un « Sénégal plus propre, un Sénégal zéro déchet ». Le jeudi 08 août 2019, au Centre de conférences international Abdou Diouf (CICAD) de Diamniadio, il procède au lancement de la Campagne Nationale de Promotion de la Propreté (CNPP) dont le démarrage effectif, a-t-il précisé, aurait lieu tout juste après la fête de la Tabaski célébrée quatre jours plus tard. « Il faut engager tous les moyens qu’il faut pour qu’après la Tabaski, on puisse libérer la voie publique. Nous allons démarrer la mise en œuvre en mode fast track du programme zéro déchet », martèle-t-il. Mais il a fallu attendre cinq mois plus tard pour voir cet engagement se matérialiser.
Ainsi, le 4 janvier 2020, le chef de l’Etat a enfin donné le premier coup de balai près de chez lui, de l’opération « Cleaning day » en référence à l’Umuganda du Rwanda qui fait de la participation au travail communautaire de propreté une obligation pour toute personne, homme ou femme, considérée comme apte et ayant entre 18 et 60 ans. L’Umuganda est organisé le dernier samedi de chaque mois, de 8 heures à 11 heures et chaque Rwandais doit participer obligatoirement à ce travail communautaire afin de servir la collectivité. Le « Cleaning day » du président Macky Sall, lui, était programmé pour le premier samedi de chaque mois. Deux mois plus tard, l’apparition du Covid dans notre pays est venue compromettre le projet présidentiel poussant à suspendre le « cleaning day ». Ce au moment où les partisans du président de la République avaient déjà commencé à organiser leurs « cleaning days » sur fond de politisation et à grand renfort de folklore !
Ainsi, chaque politicien remettait des T-Shirts à son exactement comme Mame Boye Diao fait actuellement avec les cahiers d’écoliers ! pour délivrer un message de campagne pour les locales. Et, accessoirement, faire un clin d’œil au président ! En réalité, en dehors du prétexte du Covid, voilà pourquoi le « cleaning day » initié par Macky Sall a fait pschitt. Car, au contraire, le Covid devait être une opportunité pour lutter efficacement contre l’insalubrité et les déchets. Mais avec un manque de vision combiné à une absence de volonté et à l’effet de relâchement, le projet de propreté du Président ne pouvait que faire long feu. Surtout que, chassez le naturel du manque d’hygiène de nos compatriotes et il revient forcément au galop !
Echec du Président dans la gestion des déchets et ordures !
Ce qui devait arriver est arrivé. Lors de l’ouverture de l’Expo Dubaï 2020, séduit par la propreté de la ville hôte, le Président Macky Sall a étalé ses préoccupations en matière de propreté. A cet effet, il a fustigé l’incivisme des Sénégalais qui fait que le pays ne peut pas se défaire des rets qui l’enserrent irrémédiablement dans l’étau de la saleté et de l’insalubrité. « Je demande aux Sénégalais d’être plus exigeants en matière de propreté. Nous allons reprendre les opérations de salubrité mais aussi de désencombrement des rues. On ne doit pas occuper la voie publique sous prétexte que l’on doit travailler pour gagner sa vie. On va y remédier avec l’aide des maires, pour que ceux qui y viennent aient envie de rester ou de revenir », a-t-il pesté devant la délégation hétéroclite qui l’accompagnait à Dubaï. Le problème c’est que lesdits maires, fort préoccupés par leur réélection au cours du scrutin qui aura lieu dans trois mois, n’ont évidemment pas la tête à se lancer dans des opérations Augias ! Ce discours redondant est un aveu de l’échec du président Sall dans la gestion des déchets et ordures. Car si aujourd’hui des lieux comme Sandaga et Petersen, entre autres, sont devenus des jungles implantées au cœur de Dakar, c’est parce que l’Etat a failli au point que l’informel a fini par prendre pied là où il ne devrait pas. Pour mettre fin à cet incivisme, il faut revoir l’architecture de certaines zones de la capitale.
La délocalisation de Sandaga et de Petersen hors de Dakar est devenue un impératif vital. Avec les ressources prochaines du pétrole et du gaz, il faut mettre en place un programme de destruction-reconstruction de ces lieux de commerce qui asphyxient et défigurent Dakar tout en y provoquant des embouteillages monstres. Au 19e siècle, Napoléon III et le préfet Eugène Haussmann n’avaient-ils pas eu le courage de détruire 40 mille immeubles pour reconstruire Paris et en faire la plus belle ville d’Europe ? Ce n’était pas évident et pourtant, les oppositions tenaces et les railleries n’avaient pas résisté à la volonté du duo Napoléon-Haussmann de matérialiser leur projet de reconstruction de la capitale française.
Au Sénégal, c’est la volonté politique et le courage qui manquent le plus !
La volonté politique, c’est mettre en place toutes les infrastructures nécessaires et les lois afférentes pour une bonne gestion des ordures et des déchets. Personne ne peut comprendre que l’Onas, qui est une structure de l’Etat société nationale, ne puisse pas assurer régulièrement l’assainissement de Dakar. Combien de fois l’eau des égouts ne déborde-t-elle pas des canaux d’évacuation pour aller inonder pendant plusieurs jours des quartiers qui se trouvent un peu en contrebas par rapport à d’autres ? On ne peut pas demander aux Dakarois d’être propres si les infrastructures et structures d’assainissement de l’Etat sont défaillantes. Le courage, c’est de s’armer des lois et de procéder aux sanctions à l’encontre de quiconque ne respecterait pas les mesures d’hygiène et de protection de l’environnement édictées par les autorités. Au Rwanda, l’Umuganda est inscrit dans la Constitution et toute absence non justifiée à ces travaux communautaires est sanctionnée par une amende pécuniaire. De plus, moralement, le contrevenant peut être considéré comme un lâche qui refuse de servir sa société. Procéder au désencombrement de tous les coins de Dakar, c’est d’abord repenser la stratégie à mettre en place pour que les déguerpis ne reprennent plus leurs places d’antan ou exercer un suivi permanent qui empêchera tout retour en zones des déplacés. Ce qui se passe au cœur de la capitale est inamissible. Les routes, les trottoirs sont colonisés par un essaim de marchands ambulants insouciants des problèmes environnementaux et de mobilité qu’ils causent.
Mais si le chef de l’Etat veut que Dakar soit une ville à l’image de Kigali, Rabat, Nairobi, Abidjan, Dar-es-Salam, Addis-Abeba, il faut s’adosser sur les codes de l’environnement, de l’hygiène et appliquer avec courage, rigueur et sans discrimination la loi sur tout contrevenant. Mais auparavant, il faut que l’Etat songe à mettre ces Sénégalais dans le besoin dans de dignes conditions d’exercice de leur métier. Là où l’on classe les villes précitées comme étant les plus propres et les plus écolos, Dakar, elle, occupe le rang peu enviable de 2e ville la plus polluée après New Delhi en plus d’être la ville la plus chère après Berlin. Jadis du Cap-Vert, la région de la capitale est devenue « Cap-depierres » à cause de l’élimination sauvage et criminelle des arbres en faveur de l’érection tous azimuts de blocs de pierre appelés indécemment immeubles. Les constructions anarchiques dans la capitale ne respectent aucune norme environnementale. On construit au gré de ses desiderata sans aucun souci de préservation de l’écologie. Si aujourd’hui, on ne peut plus respirer un air pur dans Dakar pourtant presque entourée d’eau, c’est à cause des tonnes de CO2 que déversent dans l’air les vieilles guimbardes qui y circulent. Les particules que libèrent les cars rapides, clandos et autres voitures du même acabit ont franchi le seuil du tolérable.
Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner qu’au ministère de la Santé, pour des raisons que nul n’ignore, on n’ose pas sortir les chiffres relatifs au nombre de Sénégalais qui meurent par an à cause de la pollution de l’air. Beaucoup de ceux qui souffrent de maladies pulmonaires le sont à cause de l’air de la capitale devenu irrespirable. La pollution industrielle n’est pas en reste. Les usines implantées dans la zone industrielle de Hann déversent des quantités importantes de gaz carbonique dans Dakar et en même temps rejettent leurs déchets solides et liquides sur les rivages de la Baie de Hann. Les populations riveraines ne sont pas en reste dans cette pollution outrancière de la baie de Hann. Ce même si des travaux ont été entrepris depuis des mois pour dépolluer cette baie qui devrait être l’une des plus belles du monde. Les plages qui permettaient aux Dakarois de profiter de la fraicheur et de la pureté de l’air marin sont devenues la propriété illégale des gens du pouvoir (actuel comme ancien) et d’affairistes qui y développent une industrie hôtelière ou médicale fructueuse. Tout cela pour dire que le mal de notre pays en matière de salubrité est plus profond que ne le pense — ou ne veut bien le dire — le président de la République Macky Sall. Lors du Conseil des ministres du 20 octobre dernier, le chef de l’Etat a demandé à ses ministres de reprendre l’opération « Cleaning day ».
Ainsi, le ministre Abdoulaye Sow en charge de l’Hygiène publique est invité à relancer l’organisation régulière des Journées nationales avec l’implication, au premier plan, des collectivités territoriales et des forces vives de la Nation. Hélas, le problème de Dakar n’est pas relatif seulement à une collecte régulière des ordures. Il y a beaucoup de préalables pour arriver à hisser l’ex-capitale de l’AOF dans le top des villes les plus propres du continent. Et si ces préalables ne sont pas réglés, les régimes se succéderont en laissant entier le problème de l’insalubrité et de l’incivisme à Dakar.
Serigne Saliou Guèye