Sénégal la gauche est morte, j’ai assisté à son enterrement

par pierre Dieme

Après l’indépendance du Sénégal, nous avons vu apparaître des mouvements de gauche composés d’intellectuels, d’étudiants et d’enseignants qui luttaient contre une indépendance qu’ils considéraient comme non aboutie. Certains sont partis poursuivre leurs études en France pour devenir des militants acharnés contre l’impérialisme, d’autres se sont rendus en pays amis, chez les camarades, notamment, en U.R.S.S. et en Allemagne de l’Est.

Une partie de leurs camarades est restée à Dakar pour s’attaquer bruyamment au régime en place. Ils sont brillants, éloquents, incorruptibles, bien encadrés par des étudiants et intellectuels européens qui épousent leurs causes. Ils sont maoïstes, marxistes léninistes, en tout cas de gauche, voire d’extrême gauche. Ils sont dans toutes les luttes et prennent des positions sur tous les sujets d’actualité. Ils ont des activités professionnelles ou sont de brillants étudiants au Sénégal. Ils adorent des joutes oratoires, se distinguent par leurs vocabulaires teintés de mots savants et sans faute de syntaxe. Leurs écrits fouillés font souvent référence à Karl MARX, LENINE, TROTSKY, MAO, FANON…

SENGHOR, l’ancien Président, est considéré comme un suppôt de l’impérialisme. Leurs écrits ne sont pas destinés aux ouvriers qu’ils défendent. Non, le français facile n’a pas sa place chez eux. Ils ne sont pas nationalistes, mais internationalistes. Après l’hymne national, il faut bien chanter l’internationaliste, surtout chez les trotskistes. Certains sont affiliés à la quatrième internationale : «Prolétaires de tous les pays unissez-vous» !

En France, ils sont proches des partis de gauche. Les décennies 80, 90, ont été des années de braise pour eux : garde à vue, emprisonnement, etc. Senghor quitte le pouvoir, Abdou Diouf devient leur cible. Le combat continue, disent-ils. La lassitude les guette et Abdou Diouf nomme certains d’entre eux à des postes de responsabilité, c’est le début de la prise de conscience de la réalité du pouvoir. Ils claquent la porte pour aller chercher le libéral Abdoulaye Wade avec tambours et trompettes. Du jamais vu au Sénégal : un cortège impressionnant de l’aéroport jusqu’au domicile de celui qui deviendra le Président du Sénégal en 2000. Ils ont gagné dans une coalition contre nature, mais, l’essentiel était de se débarrasser du parti socialiste au pouvoir depuis 40 ans.

Enfin, les voilà en charge du destin du Sénégal avec un Président de la République omniprésent. L’exercice du pouvoir les secoue, leurs idéaux commencent à se heurter à la réalité. Ils sont fatigués mais heureux de participer activement à la première alternance démocratique au Sénégal. Etant épris de liberté, de démocratie et de justice, une partie d’entre eux s’engage pour une nouvelle alternance : «c’est la lutte finale», En 2020, j’ai assisté à l’enterrement de la gauche sénégalaise dans les restaurants, les salons, les maisons des amis, etc. Il y a une «brigade» d’intellectuels, surtout les derniers des Mohicans qui mettent une perfusion sur leur idéal pour sentir le pouls et accompagner leur chute. Ce sont des grands débats : on se traite affectueusement de staliniens, de maoïstes nationalistes, de gauche molle.

Le diner est parfois enflammé au point qu’un président est désigné pour distribuer la parole. Lénine, Trotski, les bolchevicks sont convoqués par ceux qui pensent représenter encore la vraie gauche inexistante. Le testament de Lénine est brandi pour montrer que l’URSS a perdu son âme depuis l’arrivée au pouvoir des staliniens. Le cercle est clos et le ticket d’entrée est très cher. Il faut avoir lu : le petit livre de MAO, le capital de MARX, SARTRE, ARENDT, WEBER ou autres philosophes disparus. J’avoue que je me sentais un peu perdu dans cet univers impitoyable qui ressemblait à un enterrement bruyant et difficile à suivre. Les souvenirs sont évoqués pour dire que c’était mieux avant. La nostalgie des années 80 valide la mort des idéaux de gauche. Leurs assertions : «Les Sénégalais votent avec leurs pieds, le peuple sénégalais est très réactionnaire», font l’unanimité des participants au débat.

La majorité de nos dirigeants a coché la case «gauche» avant d’accéder au pouvoir ; elle a sillonné les partis tels que le PAI, la LD, le PIT, AND JEFF qui ont produit des hommes et femmes au pouvoir. Nous pouvons dire que c’était une bonne école de la vie où, le rêve et les illusions étaient permis. La gauche sénégalaise est morte mais, leurs représentants se plaisent à dire qu’ils gardent toujours les fondamentaux.

Par Alassane THIAM

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