L’accaparement du foncier par des privés prend de l’ampleur au Sénégal. Les terres font, de plus en plus, l’objet de transactions et celles du littoral ne sont pas en reste
L’accaparement du foncier par des privés prend de l’ampleur au Sénégal. Les terres font, de plus en plus, l’objet de transactions et celles du littoral ne sont pas en reste. De la corniche ouest de Dakar, à la bande des filaos de Guédiawaye en passant par le Phare des Mamelles pour ne citer que ces endroits, la spoliation du domaine public du littoral est presque devenue abusive. Des projets immobiliers se multiplient sur les côtes et pour la plupart au détriment des populations. Les gouvernements se succèdent mais les scandales perdurent. Toutefois, des citoyens continuent de s’ériger en boucliers pour lutter contre ce phénomène.
«Je peux vous dire qu’en tant que Président de la République, les plus gros risques de conflit dans ce pays restent la question foncière. Au quotidien, je ne reste pas sans recevoir plus de 20 ou 50 dossiers brulants à travers le territoire national. On vous l’a confié. Cela ne veut pas dire, que vous devez, parce que vous êtes maire ou vous avez votre conseil municipal, prendre le territoire de votre commune, le distribuer au premier venu de façon à plonger le pays dans une situation où toute la terre va devenir privée. Ce n’est pas possible !».
Cette déclaration du Chef de l’Etat, Macky Sall faite lors de la Journée nationale de la décentralisation au Centre international de conférence Abdou Diouf (CICAD) à Diamniadio en décembre 2020 en dit long sur l’ampleur de la spéculation foncière au Sénégal. Il avait ainsi invité les élus locaux à une «gestion plus responsable» du foncier. «Nous devons nous atteler à la gestion de la question sensible du foncier. C’est le sujet qui fâche. C’est un sujet que nous devons aborder, et sérieusement. Je peux vous dire, en tant que président de la République, que la question foncière reste le plus gros risque de conflit dans ce pays», avait dit le Chef de l’Etat. En effet, dans cet accaparement du foncier au Sénégal, le littoral en occupe une place importante. Promoteurs immobiliers, investisseurs étrangers, autorités politiques, religieuses ou étatiques s’emparent des superficies démesurées au détriment des populations. Aujourd’hui, plusieurs constructions surgissent du littoral et parfois sans aucune mesure des conséquences environnementales.
A CHAQUE REGIME, SON LOT DE BRADAGE DES TERRES
L’occupation du littoral n’est pas un phénomène nouveau à Dakar mais les projets de l’organisation du sommet de l’OCI (Organisation de la conférence islamique) en 2008 y ont grandement contribué. Lors de la préparation de cette grande rencontre internationale, un projet d’aménagement de la corniche de Dakar avait été prévu. Il s’agissait, entre autres, du programme routier de l’Agence nationale de l’organisation de la conférence islamique (Anoci) qui se déclinait à travers l’élargissement et l’aménagement en 2×2 voies d’une route qui part du Bloc des Madeleines à la Pharmacie des Mamelles en passant par la mosquée de la Divinité mais aussi de la construction de cinq infrastructures hôtelières le long du littoral.
Le bradage du domaine public du littoral n’a pas non plus cessé au cours du régime de Macky Sall. « Finalement, ils ont fait pire que les Wade avec nos terres », s’exclamait le journaliste Madiambal Diagne dans une de ses chroniques hebdomadaires. Il accusait ainsi le régime en place de spoliation du domaine public. Non sans s’en prendre au régime précédent. « Abdoulaye Wade avait fait entailler, sur instigation de son architecte-conseil Pierre Goudiaby plus de 75 hectares des surfaces de l’aéroport international Léopold Sédar Senghor, pour en faire des lotissements de terrains vendus au prix fort. Les terres étaient cédées à moins de 5 mille francs le m2 à Mbackiyou Faye, qui les aura revendues, à plus de 150 mille francs le m2, suite à une action de courtage du Président Wade lui-même» avait écrit Madiambal Diagne. Des accusations qui n’ont pas laissé indifférent l’architecte. «Madiambal Diagne qui parle habite, sur le littoral », s’était-il contenter de rétorquer. Pierre Goudiaby Atépa avait aussi dit que le maire de Mermoz/Sacré-Cœur qui, pourtant dénonçait la « spoliation abusive du domaine public », a donné « plusieurs autorisations de construire sur la corniche». Des accusations surgissaient finalement de toutes parts. Le régime en place, quant à lui, renvoyait le dossier du bradage du foncier du littoral dans le compte des anciens régimes dont celui de l’ancien Président Abdoulaye Wade et de la ville de Dakar notamment sous le maire Khalifa Ababacar Sall. Quoi qu’il en soit, le littoral sénégalais est devenu un véritable partage de gâteau. Le débat a d’ailleurs fait rage récemment, en 2020, à cause des constructions au niveau du site des collines des Mamelles malgré son statut de Patrimoine historique classé. Les abords du phare des Mamelles faisaient l’objet de constructions de résidences privées et de projet d’investissements d’individus qui ont fini de faire du littoral un bien personnel. A cela, s’ajoute la bande des filaos de Guédiawaye qui est désormais menacée de disparition, pour laisser place à des logements. En juin dernier, Macky Sall a signé le décret n°2021-701 du 4 juin 2021 déclassifiant 150 hectares des terres sur la bande des filaos.
BOUCLIERS DU LITTORAL
La destruction et la privatisation du littoral sont décriées de partout. Universitaires, environnementalistes, défenseurs des droits humains, associations et collectifs pour la défense du littoral et simples citoyens sont montés au créneau pour dénoncer un accaparement de la corniche au détriment des habitants et exiger l’arrêt des travaux. Lors d’une visite de terrain, le collectif citoyen pour la sauvegarde de la colline et des terres du phare des Mamelles de Dakar avait annoncé une plainte pour «trouver les propriétaires des attributions et des bradeurs» et avait aussi saisi la Direction de la surveillance et du contrôle de l’occupation des sols (Dscos). Quelques jours après, cette dernière était venue stopper les travaux de construction entamés sur l’un des flancs des Mamelles et déguerpir les occupants même si d’aucuns soutenaient que sa descente musclée n’avait concerné que les petites installations aux abords de la route. Lors du lancement de la «Grande Marche du Littoral», le Collectif Sos littoral avait invité les autorités à faire un audit de la bande foncière du littoral. «L’accaparement des terres du domaine national et l’occupation de façon irrégulière et outrancière d’une partie de ce domaine qui est le littoral sénégalais, interpellent la nation dans son entièreté au regard des enjeux qui ne sont plus à démontrer», avaient soutenu les universitaires résidant de la cité des enseignants de Mermoz lors leur sit-in. L’architecte Pierre Goudiaby Atépa et sa bande mènent aussi une bataille pour la défense et la préservation du littoral à travers la Plateforme pour l’Environnement et la réappropriation du littoral (Perl). En 2017, ils avaient déposé une plainte contre Terrou-Bi, le maire de Fann-Pont E et tous ceux qui utilisaient de manière frauduleuse des autorisations de construire. «On distribue des terrains à des individus parce qu’on fait une mauvaise lecture des textes et on le fait sciemment», déclarait l’architecte qui avait fait savoir qu’il est stipulé dans les textes que le domaine maritime «ne peut être cédé à des tiers et on ne peut pas y construire sauf des réceptacles pour tous en aucun cas».
SAUVEGARDE DU RESTE DU LITTORAL
Face aux multiples dénonciations contre le bradage du littoral, le Président Macky Sall avait demandé de «recueillir des propositions de façon à sauvegarder ce qui reste» du domaine public maritime. Mieux, il avait demandé aux ministres chargés des Finances et de l’Intérieur de mettre en place un «Plan global d’Aménagement durable et de valorisation optimale du littoral national » et « de veiller, sur l’étendue du territoire, à l’application rigoureuse des dispositions du Code de l’Urbanisme et du Code de la Construction». «Je ne suis pas venu pour situer des responsabilités pour dire que c’est l’ancien ou le nouveau régime. C’est la continuité de l’État. L’État du Sénégal a 760 Km de côte qu’il faut sauvegarder. Nous sommes bien d’accord là-dessus. Le Président a une détermination telle qu’il a été le seul président dans l’histoire du Sénégal à venir sur la Corniche pour constater de lui-même les occupations qui y sont faites. Encore plus loin, il est allé jusqu’à retirer des baux donnés à des pays amis, prenant même des risques diplomatiques sur ces sujets-là. Donc, ça montre sa détermination», avait déclaré le ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique d’alors Abdou Karim Fofana. Aussi, ajoutera-t-il, «de la corniche Ouest aux Almadies, nous avons 20 kilomètres que nous avons divisés en trois parties. Du Boulevard de la République jusqu’à la Mosquée de la Divinité il y a un projet d’aménagement sur 9 kilomètres qui va être entamé cette année. Nous sommes encore dans les procédures et l’idée est de le faire de manière concertée »