Alors qu’il se prévaut d’une démocratie dite normée et d’avoir ratifié toutes les grandes conventions en la matière de respect des libertés individuelles, notre pays déroule un arsenal juridique assez répressif voire liberticide. Le climat politique actuel marqué par des arrestations systématiques d’acteurs politiques, d’activistes, de membres de la société civile, l’interdiction méthodique des manifestations citoyennes, les mandats de dépôt à outrance et, à contrario, la mise sous le coude de la justice des dossiers impliquant des proches du régime en place semblent constituer autant d’éléments tendant à remettre en question l’exception dont le Sénégal a toujours fait montre dans le domaine de l’exercice des libertés individuelles.
Un véritable tournant dans l’histoire politique de notre pays. Réputé havre de stabilité démocratique où règne un véritable Etat de droit, cette image du Sénégal construite sur plusieurs années et à coups de beaucoup de sacrifices est de plus en plus remise en cause ces dernières années. Dans la presse ou à travers des manifestations, des citoyens sénégalais élèvent de plus en plus la voix pour décrier des injustices alimentées par une gouvernance à géométrie variable de la part des gouvernants.
Ainsi, sous le régime libéral du président Abdoulaye Wade, la plupart des récriminations concernaient des pratiques de malversation et de détournement de deniers publics très souvent relevés par des rapports de corps de contrôle publics mais non suivis de sanctions des principaux mis en cause du fait de leur lien de proximité avec l’ancien régime. A cela s’ajoutaient également les cas d’accaparement fonciers dont certains avaient alimenté des tensions qui s’étaient soldées par mort d’hommes jamais élucidée par la Justice.
L’avènement du nouveau régime en la faveur du second tour (29 mars) de l’élection présidentielle du 26 février 2012 dernier, avait ainsi suscité beaucoup d’espoir chez bon nombre de Sénégalais. D’autant plus que l’actuel chef de l’Etat avait inscrit sa campagne électorale sous le sceau de la « rupture et d’une gouvernance sobre et vertueuse ». Aujourd’hui, après neuf années de gestion, force est de constater que les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs. La rupture promue dans la gouvernance des affaires publiques tarde aujourd’hui encore à se concrétiser dans plusieurs domaines. Le Sénégal est toujours en proie à des malversations dans la gestion de ses ressources sans que les auteurs présumés de ces actes ne soient inquiétés.
Depuis l’avènement du nouveau régime, on a l’impression que le Sénégal vit au rythme des scandales dont certains se déroulent sous le regard impuissant ou complice de la justice : affaire des contrats pétroliers et gaziers, affaire des 94 milliards, affaire du fer de la Falémé, affaire des accords de pêche entre le Sénégal et l’Union européenne, affaire des phosphates de Matam pour ne citer que ceux-là. A ces pratiques, s’ajoute également une violation manifeste et de plus en plus exacerbée de l’exercice des libertés individuelles et collectives du fait de l’instrumentalisation par les tenants actuels du pouvoir des leviers de pression de l’Etat pour museler des opposants politiques que le chef de l’Etat s’est engagé lui-même « à réduire à leur plus simple expression ». C’est d’ailleurs dans ce sens que la quasi-totalité des responsables du Parti démocratique sénégalais (Pds) avaient été arrêtés et placés sous mandat de dépôt par l’actuel procureur de la République entre 2012 et 2017.
Aujourd’hui, après avoir réussi la prouesse de placer sur la tête de tous ses plus virulents opposants des dossiers judicaires, le régime en place semble se tourner vers des activistes de la société civile tendant à perturber son sommeil à l’image du leader du mouvement de contestation « Frapp France dégage » et d’autres lanceurs d’alerte. Pendant ce temps, des dossiers mettant en cause ses partisans trempés dans des scandales cités plus haut et des trafics (faux billets de banques et autres passeport diplomatiques) sont mis sous le coude de la justice sans oublier les interdictions à manifester.
De Senghor à Macky Sall, l’actuel chef de l’Etat est le seul à voir ses principaux opposants constamment traqués et condamnés par la justice le plus souvent pour des déclarations politiques pendant que des partisans du régime dont la gestion est épinglée par des rapports de corps de contrôle publics ne sont nullement inquiétés.
Sous leur présidence, Senghor et Abdou Diouf qui avait à plusieurs reprises l’occasion d’envoyer en prison leur principal opposant, Me Abdoulaye Wade, n’ont jamais franchi cette ligne. Arrivé au pouvoir en la faveur de la première alternance démocratique, Me Abdoulaye Wade non plus, nonobstant son engagement, clamé partout lors de la campagne électorale, de traduire son prédécesseur et ses partisans devant la justice pour répondre de leur gestion, a plutôt choisi de proposer et soutenir la candidature du président Diouf à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (Oif).
POINTS DE VUE CROISES
MAEL THIAM, ADMINISTRATEUR DE L’APR ET 1ER VICE-PRESIDENT DU HCCT : «Un Etat de droit, ce n’est pas un Etat où chacun fait ce qu’il veut»
«Le président Macky Sall n’a fait que renforcer l’Etat de droit depuis accession au pouvoir. Maintenant, il faudrait qu’on s’entende d’abord sur la notion de l’Etat de droit. Est-ce s’appeler Guy Marius Sagna dans un Etat de droit peut vous autoriser à poser des actes qui ne sont pas conformes avec la Loi? Je ne pense pas puisque un Etat de droit est un Etat dans lequel on respecte la loi. Il faudrait que tous les Sénégalais le sachent: un état de droit, ce n’est pas un Etat ou chacun fait ce qu’il veut. Autrement, on parlerait d’Etat de non droit. Le droit, c’est l’ensemble des lois votées à l’Assemblée nationale de notre pays et les Conventions internationales ratifiées. Qu’on me dise maintenant qui a été arrêté et qui ne devrait pas l’être selon la Loi? Est-ce qu’au Sénégal, on doit dire, aujourd’hui, il suffit d’être activiste ou d’être politique pour enfreindre la Loi et crier qu’on n’est pas dans un Etat de droit lorsqu’on est interpellé suite à ses actes ? Qu’on me donne des exemples attestant du nonrespect du droit dans ce pays. Depuis son élection, le président de la République a renforcé nos juridictions, l’Assemblée nationale, notre Police nationale et la Gendarmerie sur le plan opérationnel, les droits des citoyens. Je pense également que dans un Etat de droit, il faudrait qu’on ait confiance à nos juridictions. Nous avons une magistrature ou exercent des Sénégalais dont la compétence est reconnue au plan international et qui n’aiment pas le pays moins que nous. Cela dit, nous devons également savoir que le temps de la justice n’est pas le temps des citoyens ni celui des journalistes. Ensuite, je précise que le cas de trafics des passeports diplomatiques est totalement différent de l’affaire Ousmane Sonko et de la caisse d’avance de la mairie de Dakar… Je pense donc qu’il n’y a pas lieu d’ameuter les populations, il faudrait qu’on sache raison garder. Nous sommes bien dans un Etat de droit où tous les cas sont élucidés. Ensuite, il faut savoir que le temps de la justice n’est pas celui des citoyens encore moins des politiciens ou des journalistes».
SADIKH NIASS, SG RADDHO : : «Une démocratie, ce n’est pas seulement les règles, mais une pratique»
«La politique de deux poids-deux mesures en matière de justice n’est pas normale. Nous dénonçons cela. Il faut mettre tout le monde au même pied d’égalité en matière de justice. La justice doit être équitable et traiter tous les citoyens avec la même rigueur. Ça, c’est un premier constat. Le deuxième, c’est qu’aussi, nous sommes contre ce qu’on appelle des mandats de dépôt tous azimuts. C’est-à-dire le fait de les décerner comme ça de manière fréquente, automatique, même pour des délits mineurs. Parce qu’il y a des délits mineurs qui ne méritent qu’on envoie des personnes en détention. Donc pour nous, la liberté doit être la règle et la détention l’exception et non pas le contraire. Le troisième constat maintenant pour l’affaire des députés, je ne veux pas les lier. Je ne veux pas faire de commentaire alors que la justice suit son cours. On a appris l’ouverture de la session parlementaire le 14 octobre prochain, et il y a une demande du ministre de la Justice sur la table de l’Assemblée nationale pour lever l’immunité parlementaire de ces derniers. Nous suivons de près cette affaire et nous espérons que ces députés vont répondre devant la justice. Et qu’une enquête vraiment sérieuse se fera. C’est vraiment une chose regrettable le fait de ne pas donner le respect qu’il faut à nos passeports diplomatiques, c’est un document de l’Etat et ça va ternir l’image de marque de notre pays. Donc, nous demandons que justice se fasse et toutes les personnes qui sont incriminées puissent répondre devant la justice. Une démocratie ce n’est pas seulement les règles mais une pratique. Le respect des libertés est nécessaire dans une démocratie ».
THIERNO BOCOUM, PRESIDENT DU MOUVEMENT AGIR : «Nos autorités se basent sur les dispositions de la loi pour faire enfermer… »
«Notre arsenal juridique n’est pas différent de celui des autres pays. Non ! Il n’y a pas de différences. Seulement, nos autorités se basent sur les dispositions de la loi pour faire enfermer des activistes de plus en plus. C’est dans ce sens que j’estime que l’arrestation de Guy Marius Sagna est un recul démocratique. C’est une forme d’intimidation de l’activisme ou des activistes au Sénégal. Nous pensons que des personnes comme Guy Marius Sagna font de «l’activisme saint » ; c’est-à-dire tout simplement qu’ils sont dans des combats de principe et ils le font à visage découvert. Nous pensons donc que des personnes comme lui doivent être protégées. Mais, c’est dommage que cela ne soit pas le cas. La preuve, sur la question dont il a été convoqué, on se rencontre que la personne incriminée n’a même pas porté plainte. Mieux, aujourd’hui, une plainte de Guy Marius Sagna dort dans les tiroirs de la gendarmerie et n’est pas encore instruite. Ce qui renforce la thèse d’une politique de deux poids-deux mesures; chose inadmissible dans un pays qui se réclame Etat de droit. Car, au même moment, d’autres plaintes sont rapidement instruites et à qui on attribue des suites judiciaires ; donc il y a une politique de deux poids-deux mesures face au contribuable Sénégal et c’est inaccessible.
Par ailleurs, nous pensons que les différentes interdictions à manifester sont totalement contraires aux dispositions de la Constitution et violent totalement la Constitution puisqu’au même moment, on voit le parti au pouvoir et ses partisans dans le régime organiser des manifestations, des meetings, des rencontres. C’est quand même inacceptable qu’aujourd’hui, on puisse refuser à des citoyens sénégalais le droit de marcher; c’est le cas récemment avec la demande de Nio lank qui a été refusée par le préfet. Nous pensons fondamentalement que le droit de manifester est un droit constitutionnel inaltérable; et que les autorités doivent se donner les moyens d’encadrer les marches et non de les réprimer. Concernant la question des députés cités dans cette affaire de trafic de passeport diplomatique, je pense qu’il s’agit pour le moment d’accusation et tout le monde doit bénéficier de la présomption d’innocence; Mais, s’il s’avère qu’ils sont effectivement mêlés à cette affaire, il faut qu’une sanction se fasse ; d’abord que leur immunité parlementaire soit levée. Déjà, il y a une demande sur la table de l’Assemblée nationale; Il faut que une sanction sévère soit faite contenue de leur statut et à la limite même leur imposer des circonstances aggravantes; parce que c’est inadmissible qu’un député s’adonne à des pratiques de trafic de passeports diplomatiques, c’est inacceptable dans un pays comme le Sénégal. Donc, nous pensons que cet acte doit être sévèrement puni, s’il est prouvé dans le cadre d’un procès équitable ».
NANDO CABRAL GOMIS, OUSMANE GOUDIABY (STAGIAIRE) et OUSMANE SY