Longévité des maires : les inébranlables !

par pierre Dieme

Si les uns misent sur le social à tout-va, la générosité, l’accessibilité pour être indéboulonnables dans leurs collectivités locales, d’autres n’hésitent pas à transhumer autant de fois que possible pour garder leurs privilèges dans les endroits où l’on a coutume de voter majorité. Un échantillon loin d’être exhaustif des maires inamovibles.

Ceux qui étaient nés quand il prenait la tête de la collectivité locale de Mbayène sont aujourd’hui plus proches de la retraite que du monde du travail. Lui, c’est El Hadj Masse Guèye, édile de ladite commune depuis 1977, sous le règne du président Léopold Sédar Senghor. Quarante-quatre ans plus tard, M. Guèye, affaibli par le poids de l’âge, décide finalement d’abandonner le navire. Mais il ira jusqu’au bout du mandat en cours.

Agé de plus de 80 ans, ses proches n’ont pas manqué de le comparer au président-poète. ‘’Ce qu’il a fait n’est pas évident en Afrique. Ici, les gens ont l’habitude de s’arc-bouter au pouvoir. Lui, comme le président Senghor, il a décidé de quitter volontairement. Je pense que c’est un acte qui doit être salué et mis en exergue’’, racontait un animateur, à l’annonce de la nouvelle. Un évènement qui a mobilisé tout ce que le commun compte de notables : conseillers municipaux, chefs de village, leaders d’association, autorités déconcentrées.

Recordman indiscutable des mandats électifs, Masse Guèye laisse ainsi, derrière lui, une coalition Benno Bokk Yaakaar sous haute tension. Déjà, la guerre de succession est ouverte, comme c’était le cas avec le président-poète. Comme Senghor, l’inamovible maire est aussi accusé d’avoir désigné son successeur. Sauf que ce dernier doit passer par les élections locales de 2022 pour avoir l’onction du peuple de Mbayène. Ce qui est loin d’être gagné d’avance.

A quelques jets de la commune de Mbayène, dans le département de Tivaouane, arrondissement de Niakhène, se trouve son cadet Ngouda Ciss, Maire de Ngandiouf. L’homme est incapable d’aligner deux mots corrects de la langue officielle le français. Il est maire depuis 1990. Il assume son statut d’analphabète et compte sur son secrétaire pour la gestion des affaires de la cité. ‘’Je remercie vivement la population, particulièrement mon secrétaire. Je le remercie du fond du cœur. Je n’ai pas de diplôme, mais Dieu m’a beaucoup aidé. J’ai de l’expérience. Mais lui, il a la Licence et il est à mes côtés. Donc, c’est comme si c’est moi qui a la Licence’’, se réjouissait-il sous un torrent d’applaudissements.

Après plus de 30 ans à la tête de la municipalité, l’octogénaire ne veut pas suivre les traces de son ami et voisin de Mbayène, en voulant rempiler à la tête de l’institution. Pourtant, selon ses adversaires, il a aujourd’hui plus de 80 ans et devrait donc quitter la mairie, à l’instar du doyen d’âge. Mais pour Ngouda, la mairie est plus qu’un sacerdoce. ‘’La seule chose qui m’anime est la défense des intérêts des populations. Ce n’est pas une question de privilèges. J’étais en Europe et je gagnais bien ma vie. Je suis rentré au bercail, parce que mon marabout, Serigne Abdoulatif Diène, me l’a demandé. Il m’a demandé de gérer la localité dans la discipline. Quand je ne serai plus maire, je vais m’occuper de mes champs et de l’élevage’’.

Alors qu’il gagne à toutes les élections locales depuis 1990, Ngouda Ciss a même du mal à reconnaitre les ministres du gouvernement de Macky Sall, leurs domaines de compétences. S’emmêlant sans cesse les pinceaux, confondant opposition et position, appel d’offres et appel ‘’doff’’, il compte sur l’appui des fils nommés du département de Tivaouane pour la prise en charge des besoins vitaux des populations : l’eau, l’électricité, les infrastructures. Les voix des électeurs, lui s’en charge. ‘’Les responsables, nous leur facilitons le travail dans les communes du département. Ce n’est pas nous qui sommes nommés. On ne gère que nos mairies qui n’ont pas de moyens. Quand on les sollicite, il faut qu’ils répondent. C’est comme ça qu’on peut aider le président de la République. Lui aussi doit nous aider. A chaque élection, par respect pour nous, les gens votent pour lui. Mais nous n’avons rien’’.

Ainsi, si la République du Sénégal a connu, de l’indépendance à nos jours, deux alternances, dans certaines collectivités locales, il est difficile, voire impossible d’imaginer même certains changements. Grâce à la transhumance, certains édiles parviennent à survivre à tous les régimes. Avant-hier socialistes, hier libéraux (PDS), ils sont depuis 2012 républicains (APR) pour continuer à profiter des privilèges.

Ancien du PS et du PDS, Allé Lô est, depuis le départ de Wade qu’il a pendant longtemps servi avec dévouement, de la mouvance présidentielle

Quand on parle des maires qui ont le plus duré dans l’histoire politique du pays, tous les esprits se tournent vers le sieur Allé Lô, Maire de la commune de Taiba Ndiaye. Sa différence avec les maires précités, c’est surtout d’être bien instruit et d’être au cœur des organisations d’élus locaux du Sénégal. Ancien du PS, ancien du PDS, Allé Lô est, depuis le départ de Wade qu’il a pendant longtemps servi avec dévouement, de la mouvance présidentielle. Assureur de formation, il est maire depuis 1990 et espère rempiler pour un 7e mandat à la tête de cette commune de Taiba qui semble s’identifier à sa personne. Pour lui, ce n’est ni une question de boulimie, encore moins pour les sous. Il disait : ‘’Je suis à l’écoute des populations. Si les gens veulent qu’on arrête, nous allons le faire. Je rappelle qu’en 1990, des notables sont venus me dire : ‘Allé, le terroir de tes ancêtres se meurt. Il faut venir nous aider.’ A l’époque, aucun cadre ne voulait diriger les communautés rurales. Il fallait juste bien parler, bien crier pour diriger ces institutions. Mais moi, j’y avais cru et y suis allé pour être au service des populations.’’

La transhumance, moyen de conservation du pouvoir

Aujourd’hui, soutient le sexagénaire, toutes les communes, anciennes communautés rurales, sont briguées par des cadres. ‘’Je rends grâce au bon Dieu pour y avoir contribué… C’est pour la même raison qu’en 1990, on a tenu une rencontre. Les gens entendent beaucoup de convoitises, beaucoup de promesses. Ils ont alors jugé utile d’échanger pour voir s’ils vont mettre la commune entre des mains inexpertes. On ne peut être maitre de ce dont on n’a pas été un apprenti. Ceux qui s’agitent sont incompétents. Ils n’ont aucune expérience et c’est très important dans la gestion d’une collectivité locale’’.

Et d’ajouter : ‘’Si je suis parvenu à faire ce que j’ai fait, c’est parce que j’ai eu de l’expérience et tout le monde le reconnait. C’est pourquoi moi, je suis contre la limitation des mandats, surtout dans les collectivités locales. Il faut un certain temps, avant de pouvoir attirer les investisseurs, les partenaires.’’
A plus de 70 ans, le président de l’Association des élus locaux, depuis le régime de Wade, ne compte donc pas abandonner le pouvoir local. C’est plus par sacerdoce qu’autre chose, si on l’en croit. ‘’Quand on m’appelait en 1990, je dirigeais une compagnie d’assurance et je gagnais 5 millions F CFA de salaire, à l’époque ! Je ne suis donc pas là pour l’argent.

Certes, c’est difficile, c’est un sacerdoce, mais je ne le regrette pas et je veux faire avancer davantage notre commune, qui a déjà fait beaucoup de progrès, en matière d’électrification, d’accès à l’eau potable, même dans le domaine des infrastructures routières. Ce qui était loin d’être évident. Mon défi, maintenant, c’est d’aider notre jeunesse à avoir de l’emploi’’.

Indéboulonnable à Dagana, Oumar Sarr, ancien du Parti démocratique sénégalais, est aussi sur les traces des maires qui ont le plus duré au pouvoir. C’était en 1996, alors même qu’il était encore dans l’opposition, qu’il venait fraichement de s’engager avec le parti de Wade au début des années 1990, que le jeune cadre avait tapé dans l’œil des habitants du Walo. Depuis cette date, il gagne à toutes les élections dans la capitale du Walo. En 2014, face au raz-de-marée BBY, il réussit à sauver le navire bleu devant une pléthore de ministres et de directeurs généraux du pouvoir.

Depuis plus d’un an, il a rejoint la majorité et augmente donc ses chances de rester à la tête de la mairie de Dagana. D’autant plus qu’entretemps, il est devenu également ministre de la République et a acquis encore plus de moyens pour entretenir sa clientèle politique. Dans une interview accordée au quotidien national ‘’Le Soleil’’, il y a quelques années, il revenait sur les secrets de sa réussite dans le Walo. ‘’Je suis en symbiose avec mes concitoyens. Je suis avec eux dans les joies comme dans les peines. Les responsabilités au sein de l’État ne m’ont pas changé (il était ministre de Wade). J’ai la chance d’avoir des concitoyens exemplaires, engagés avec moi depuis longtemps. Je dis quelquefois que nous avons repris le combat de nos héros tombés dans les batailles coloniales. Nous sommes les Sidiya Ndatté Yalla des temps modernes. Nous savons nous battre’’.

‘’Manger à la table du riche, s’assoir à la natte du pauvre’’

Ex-trotskiste, Alioune Mar est aussi puissant dans la commune de Rufisque-Ouest. Avec Oumar Sarr, il faisait partie des responsables libéraux qui avaient sauvé le PDS en 2014. Né en juillet 1956, Mar aime se définir comme un produit de l’école coranique. Ce qui lui aurait été d’un grand apport dans son rapport avec ses administrés, qui le lui rendent bien dans les urnes.

Selon les populations, sa modestie, son humilité et sa générosité constituent le socle de sa longévité. C’est à l’université Cheikh Anta Diop qu’Alioune Mar embrasse la politique en se ‘’convertissant’’ au marxisme-léninisme. Il s’est fait trotskyste car, croyait-il dur comme fer, c’était seulement avec une telle idéologie révolutionnaire qu’il était possible de bouter hors du pouvoir le régime socialiste alors en place. Par la suite, grâce à la défunte Awa Diop, il rejoint le Parti démocratique sénégalais (PDS). Maire depuis 2002 dans sa commune de Rufisque-Ouest, Alioune Mar compte cette fois franchir une autre étape, en briguant la ville de Rufisque, riche de plus de 5 milliards de budget. La commune de Rufisque-Ouest, il compte la céder à un de ses lieutenants qui l’accompagnent depuis quelques années. ‘’Le secret de sa réussite politique, faisait-il remarquer dans un entretien à ‘’EnQuête’’, c’est trois facteurs : les investissements de la commune de Rufisque-Ouest dans le domaine social, la prise en charge des élèves et étudiants, et le fait qu’il ait pu gagner le respect de la jeunesse à son endroit’’.

En vrai politique, maitrisant parfaitement la sociologie électorale, il ajoutait : ‘’Vous savez, mon éducation fait que je peux manger à la table du riche et m’asseoir sur la natte du pauvre. Les jeunes ont conscience qu’un tel homme est celui qui peut prendre en charge toutes les couches sociales. Et ils l’ont montré lors de la campagne (2014). Le nombre de jeunes présents à mes caravanes dépassait mes attentes.’’

Mor AMAR

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