Devoir d’exemplarité

par pierre Dieme

Les hommes politiques, autres leaders d’opinion, les membres de la société civile et autres lanceurs d’alertes, ne devraient jamais perdre de vue que l’intégrité est plus facile à conserver qu’à reconquérir

De l’histoire des chantiers de Thiès à la sordide affaire des passeports diplomatiques, en passant par celle des 7 milliards de Taïwan, de la Caisse d’avance, du trafic des visas, sans occulter celle dite «Sweet Beauty», sont autant de faits qui ont terni l’image de leaders politiques et/ou d’opinion au Sénégal. À l’instar de la France, certains leaders qui étaient promis à un bel avenir politique, se sont brisés les ailes en plein vol. D’autres attendent sur le couloir de la mort en priant de toutes leurs forces d’éviter la guillotine.

En se penchant sur ces faits, nous essayons juste de rappeler le devoir d’exemplarité qui incombe aux leaders. Quels qu’ils soient. C’est à dire une personne qui, par sa fonction ou sa position, est susceptible d’avoir une influence sur le public.

Selon wikipédia, « le leadership est l’influence politique, psychologique, sociale, etc. d’un individu sur un groupe d’individus ou d’un groupe d’individus sur un autre groupe. Le leader a des compétences personnelles qui lui confèrent une différence et qui lui permettent d’être écouté et suivi par un groupe de personnes ». Voilà pourquoi, pour parler comme Tessa Melkonian, « un leader doit être exemplaire ». D’ailleurs, selon certains observateurs, la professeure à l’École de management de Lyon, ne fait que s’inscrire dans le prolongement des analyses du sociologue Max Weber sur le pouvoir, l’autorité et la domination. Lors de la présentation de son livre, elle a soutenu dans une vidéo qu’« à l’heure où l’environnement est toujours plus incertain et où la somme des efforts demandés aux acteurs de la société ne cesse de croître, le besoin d’exemplarité devient particulièrement fort. La capacité des leaders à être exemplaires, c’est-à-dire à s’astreindre aux mêmes exigences que celles qu’ils déclarent attendre des autres, devient fondamentale ». L’exemplarité peut donc se comprendre avant tout comme une exigence comportementale.

Sonko, Khalifa, Y en a marre, les députés de la majorité

L’affaire dite de la Caisse d’avance qui a fait tomber l’ancien maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall de son piédestal a eu des relents politiques. Il ne fait l’ombre d’aucun doute. La célérité avec laquelle l’affaire a été vidée est une parfaite illustration. Pis, elle n’était pas encore revêtue de ce que les juristes appellent « l’autorité de la chose jugée » puisque le candidat déclaré à la présidentielle de 2019 avait la possibilité d’introduire un rabat d’arrêt. N’empêche, il s’est vu empêcher de se présenter à la Présidentielle de 2019. Ce qui feront dire certains observateurs et à juste raison, que l’objectif était d’empêcher Khalifa Sall à se présenter à la présidentielle. Le cas échéant, il pourrait mettre le président Sall en ballotage et l’envoyer au second tour.

Toutefois, on devrait en convenir que le maire de Dakar a commis une grosse faute qui a été utilisée contre lui au tribunal. Convenez-en avec nous, que même la morale la plus vénielle, réprouve qu’on puisse justifier des fonds, fussent-ils politiques, par de « fausses factures d’achat de riz et de mil ». Par cette glissade, Khalifa Sall, brillant homme politique, doté d’une grande expérience voit l’horizon de son avenir politique s’obstruer et dépendre désormais de la seule et unique volonté du chef de l’Etat, Macky Sall, comme l’a lui-même indiqué lors d’une interview avec nos confrères de France24.

Ousmane Sonko et le couloir de la mort

La machine judiciaire qui a broyé Karim Wade sur une liste de 25 dignitaires du régime libéral ainsi que Khalifa Ababacar Sall, a désormais Ousmane Sonko en ligne de mire. Le leader de Pastef/Les Patriotes a toutefois été sauvé par les émeutes de la faim des 3, 4, 5 mars derniers dont son arrestation imminente était l’élément déclencheur. Depuis lors, il est mis sous contrôle judiciaire en attendant un procès qui s’annonce rocambolesque avec Adji Raby Sarr qui l’accuse de viols à répétition et menaces de mort.

Là aussi, l’affaire semble mal engagée avec des déclarations de certains proches collaborateurs du président Macky Sall, les unes encore plus loufoques que les autres et confortant les partisans de la théorie du complot.

Toutefois, au-delà de ce que puisse penser les partisans et/ou les détracteurs de Ousmane Sonko, cette affaire a écorné son image d’un homme qui se dit « propre », doté d’une probité intellectuelle et morale inébranlable. D’autant plus qu’il risque gros avec un procès pornographique où une certaine presse va s’en donner à cœur joie comme ce fut le cas dans l’affaire Cheikh Yérim Seck, pour l’affecter moralement voire psychologiquement. Et à jamais !

Chef de l’opposition sénégalaise, depuis que Idrissa Seck a rejoint, armes et bagages, la coalition Benno Bokk Yaakar (BBY), Ousmane Sonko pourra alors, le cas échéant nourrir des regrets. Toutefois, comme on dit en droit « nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes, de sa propre immoralité ».

Y en a marre et son nouveau type de Sénégalais

Le mouvement Y en a marre est une fierté sénégalaise. Il s’agit de jeunes sénégalais qui ont eu le culot de s’opposer au régime de Me Wade, au péril de leur vie. Ils ont joué un rôle extrêmement important dans l’avènement dans la deuxième alternance et surtout contre la dévolution monarchique du pouvoir. Face à Macky Sall aussi, après une période d’hibernation, la bande à Aliou Sané a repris ses actions, dénonçant les manquements du régime de Macky Sall. Des lois plus ou moins scélérates à la gouvernance, ils n’hésitent pas à investir la rue, organisant marches et autres meetings pour dénoncer ce qu’ils considèrent un recul démocratique. Farouchement opposés à un troisième mandat, ils veillent au grain. Telle une sentinelle, ils surveillent et anticipent les actions des partisans du président Sall. Ces adeptes du NTS (Nouveau Type de Sénégalais) ne devraient pas non plus perdre de vue qu’ils seront surveillés comme de l’huile sur le feu. La moindre erreur risquerait de leur être fatale. C’est le cas aujourd’hui, avec le trafic présumé de visas dans lequel sont cités deux leurs membres, à savoir Kilifeu et Simon. Des vidéos devenues virales sur les réseaux sociaux écornent leur image. Et ce n’est pas des accusations de complot ou encore le fait de crier à une justice à double vitesse (à raison d’ailleurs) qui changera la donne. Y en a marre n’en sortira grandi que si et seulement si, ses membres, pas de moindres, sont déclarés innocents.

Étonnante omerta du Garde des sceaux

Tout comme les deux députés, Boubacar Biaye et Mamadou Sall, rendus tristement célèbres dans l’affaire de trafic supposé de passeports diplomatiques. Une affaire qui dépasse un régime puisque c’est l’image et surtout de la crédibilité du Sénégal qui sont en jeu. Sa diplomatie chantée et jalousée au-delà des frontières est aujourd’hui mise à rude épreuve. C’est d’ailleurs, ce qui justifie l’étonnement de plus d’un observateur face à l’omerta du Garde des Sceaux devant saisir le président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niass, comme ce dernier l’a rappelé et fort justement dans une lettre.

Wade « blesse », Macky « tue »

Et l’élève tua le maitre ! Macky Sall a beaucoup appris de Me Abdoulaye Wade. Mieux, il l’a dépassé. Politiquement. Et pour cause, le pape du Sopi n’a jamais empêché un adversaire politique à se présenter à une élection présidentielle. Abdou Diouf qui ne l’a jamais épargné, allant même jusqu’à l’emprisonner avant les publications des résultats, non plus. Mal parti pour la présidentielle de 2007, il a usé des « Rencontres de Midi » pour mettre Idrissa Seck, le seul à même de l’envoyer au second tour, hors d’état de nuire. Avant la Présidentielle de 2012, il a brandi l’affaire du blanchissement d’argent avec une piste gabonaise (Abdoulaye Sally Sall). Mais face à la bronca du public, le pape du Sopi finira par faire machine arrière. C’est la même chose qui s’est reproduite avec les évènements du 23 juin 2011 dont il est le véritable héros du jour pour avoir autorisé le peuple à manifester son courroux devant les grilles de l’Assemblée nationale.

C’est le contraire de Macky Sall qu’Aminata Lô Dieng a défini comme un « monstre froid qui avance masqué ». Les Libéraux qui croyaient qu’il n’allait pas emprisonner Karim Meïssa Wade l’ont appris à leurs dépens. Khalifa Ababacar Sall non plus ne nous démentira pas. Sonko ne doit son salut qu’à la détermination d’une jeunesse qui lui a servi de bouclier dans un contexte bien déterminé.

Quelques cas d’écoles

Ces quelques cas démontrent que les erreurs se paient très chères en politique. Avant Barack Obama, Colin Powell, était pressenti pour devenir le premier président de couleur aux Etats-Unis. Mais, l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, sous le prétexte fallacieux d’éliminer des armes de destruction massive inexistantes, le 20 mars 2004, a tué les supposées ambitions politiques de l’ancien Chef d’état-major général et Secrétaire d’Etat sous Georges Bush (Père).

Nous pouvons aussi citer l’histoire qui opposait Dominique Strauss-Kahn à la femme de chambre de l’hôtel Sofitel de Manhattan, Nafissatou Diallo, qui l’accusait de tentative de viol. Que dire des diamants de Jean Bedel Bokassa, l’affaire qui a empoisonné la campagne présidentielle de Valéry Giscard d’Estaing ; de la feuille d’impôt de Jacques Chaban-Delmas ? Sans occulter “Penelope Gate” qui a emporté François Fillon de la présidentielle française en 2017. Seule l’affaire des HLM de Paris et celle des emplois fictifs de cette même ville avec Jacques Chirac a fait pour le moment “pschitt” en France.

Ousmane Sonko ferait-il lui aussi exception au Sénégal ? Mystère et boule de gomme ! Mais, au vu de ce qui précède, les hommes politiques, autres leaders d’opinion, les membres de la société civile et autres lanceurs d’alertes, ne devraient jamais perdre de vue que l’intégrité est plus facile à conserver qu’à reconquérir.

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