Malgré des efforts colossaux consentis par l’Etat, un engouement énorme suscité auprès des voyageurs sénégalais, la compagnie nationale Air Sénégal fait l’objet de toutes les controverses, à cause de la qualité du service
Entre patriotisme et qualité de service, le choix n’est pas toujours simple. La dialectique est au cœur de tous les débats autour de la compagnie nationale Air Sénégal. Aux uns qui ne cessent de débiter leur colère sur la toile, suite à des expériences malheureuses, d’autres portent la réplique, les invitant à plus de compréhension pour ne pas plomber l’entreprise, ‘’fierté nationale’’ à leurs yeux.
Mais que fait la compagnie pour limiter les préjudices causés aux voyageurs ? En tous les cas, le mécontentement ne cesse d’enfler chez certains voyageurs. Et du point de vue de la perception, les dégâts peuvent être énormes, si l’on en croit les experts.
Ancien pilote, ancien contrôleur aérien, Moctar Ndiaye prévient contre ce que peuvent être les conséquences d’un manque de qualité. ‘’Il faut savoir que les gens ne prendront pas une compagnie, parce que c’est le Sénégal. Ils vont voyager dans les compagnies qui les emmèneront, dans les délais, là où ils veulent aller. C’est l’un des tout premiers critères de choix. Le deuxième critère, c’est le prix. Le troisième, c’est le service. Voilà les choses qui sont les plus déterminantes dans la vie d’une compagnie. Pour marquer son empreinte, Air Sénégal doit obligatoirement se mettre au diapason des standards internationaux à ce niveau’’.
Sur le premier point, les récriminations contre la compagnie nationale sont nombreuses. Et les questionnements autour du management ne cessent de se multiplier. Pour M. et Mme Seck, si le patriotisme les avait poussés à prendre la compagnie nationale, malgré les mises en garde, le défaut de qualité risque de les y chasser. ‘’Personnellement, c’est la première et la dernière fois. Mon mari et moi l’avions pris par patriotisme. Mais dans ces conditions, il vaut mieux ne pas être patriote’’, lance Mme Seck très amère.
Avec son époux, la bonne dame devait quitter Casablanca le samedi 18 septembre à 12 h, après avoir fait leur réservation deux mois auparavant. Arrivés à l’aéroport à 9 h 30, on leur fit savoir que l’avion est déjà plein et qu’il faut patienter quelques instants pour voir s’il reste de la place en business. Les premiers arrivés, leur fit-on savoir, seront les premiers servis.
Au bout de quelques longues heures, suspendus aux aléas, ils finirent par avoir une information précise. ‘’Un certain M. Diagne est venu nous dire qu’il n’y avait finalement aucune place. La seule solution est de passer la nuit à l’hôtel. Nous n’avions pas le choix’’, regrette-t-elle. Le lendemain, les choses se sont décantées, non sans retard au départ. Mais ce qui révolte le plus la passagère, c’est la ‘’perte’’ de ses valises. Elle témoigne : ‘’Imaginez, la valise à 10 kg ne pouvait même pas monter dans l’avion avec moi ; de même que les bagages à main. Nous sommes arrivés au Sénégal à 15 h 38. Et jusqu’à 18 h, je cherchais mes valises et, à ma grande surprise, un monsieur est venu me dire qu’apparemment, les bagages sont finis et que j’ai la possibilité de faire une réclamation.’’
‘’On m’a dit que l’avion est plein et que je devais attendre le lendemain’’
Dégoûtés, impuissants, Mme Seck et son époux rentrent dans l’espoir de trouver leurs bagages prochainement. Pour elle, le plus désagréable dans tout ça, c’est le comportement des agents. Elle peste : ‘’Depuis dimanche, je les appelle. Mais ils parlent au téléphone avec un ton tellement sec ; ils sont vraiment agressifs au lieu de se mettre à la place du voyageur. Finalement, quand je les ai rappelés aujourd’hui (hier) à 8 h, un monsieur m’a dit qu’ils ont une valise en mon nom, alors que c’est deux valises de 23 kg. J’ai dû acheter de l’essence, aller jusque là-bas, pour chercher la seconde valise, alors qu’ils avaient dit qu’ils vont me les livrer. Le patriotisme ne vaut pas toutes ces peines’’, peste-t-elle pour conclure.
A l’instar de Mme Seck et de son époux, ils sont nombreux les passagers d’Air Sénégal qui ne cessent de se plaindre. Pour Bara Salihou, c’est également un problème de bagages qui se pose, mais aussi et surtout de la gestion de la clientèle. ‘’Ça fait quatre jours que je n’ai toujours pas reçu mes valises, alors que je dois aller à Touba. À cause de cette compagnie (dont je vois sa faillite si elle continue comme ça), ma femme et moi risquons de ne pas porter nos habits et récupérer les cadeaux pour nos prochains’’, rouspète-t-il sur sa page Facebook.
Avant de pester : ‘’C’est la première et certainement la dernière fois que je vais prendre cette compagnie !’’ Le reste, estime-t-il, c’est la gestion : gérer les aéronefs, la maintenance, gérer le personnel, faire de sorte à avoir un certain équilibre pour le développement de la compagnie. S’ils ne peuvent pas le faire, ils ont beau acheter des avions, recruter du personnel, beau créer de nouvelles lignes, il y aura toujours des problèmes.
‘’Il faut un personnel qualifié qui sait apaiser les clients’’
Si certaines récriminations sont justifiées, d’autres le sont moins, selon des spécialistes accrochés par ‘’EnQuête’’. Sur la question des bagages, par exemple, Moctar Ndiaye corrige : ‘’Si des bagages n’ont pas été trouvés à destination, ce n’est pas forcément de la faute de la compagnie, même si elle est tenue pour responsable sur le plan juridique. Deux choses peuvent l’expliquer : un problème de triage au niveau des aéroports – c’est le plus fréquent – ou un problème de vol. C’est moins fréquent. En fait, les bagages sont mis dans de petits containers rangés dans l’avion, selon l’ordre des escales’’.
Il poursuit : ‘’A chaque étape, on descend le container concerné. Il se peut maintenant que dans la mise en boite, on met une valise de Dakar dans le container d’Abidjan. Généralement, on retourne les bagages avec trois à quatre jours de retard. Ce sont des choses qui arrivent partout, avec toutes les compagnies. Et cela occasionne d’ailleurs des coûts très importants pour la compagnie. Mais, il faut un personnel qualifié qui sait apaiser les clients’’.
Ces quelques détails, renseigne-t-il, s’ils ne sont pas pris en charge correctement, ils peuvent entrainer des conséquences dévastatrices. Parce que, souligne-t-il, dans le secteur de l’aviation, l’image est essentielle. ‘’Dans ce milieu, renseigne le spécialiste, il suffit que les gens indexent une compagnie pour qu’elle soit dans des difficultés. Surtout chez les Occidentaux. Ils vont te dire : ‘Mais pourquoi telle compagnie ? Tu vas arriver en retard…’ Cela ne pardonne pas. Il faut donc limiter au maximum les couacs’’.
L’intolérance des Sénégalais vis-à-vis d’Air Sénégal
D’après un autre expert en transport aérien joint par ‘’EnQuête’’, il y a quand même de l’exagération et de l’acharnement dans les accusations contre la compagnie nationale. Il dénonce : ‘’Pour moi, c’est un mauvais procès. Les retards ne sont pas spécifiques à Air Sénégal. Même Air France. Mais personne n’en parle. Mais quand c’est Air Sénégal, on rue dans les brancards. Les gens sont vraiment intolérants avec notre compagnie. Ils ne lui pardonnent pas le moindre couac. Je pense que c’est souvent injustifié. Il faut savoir que l’aéroport n’appartient pas à Air Sénégal ; de même que les différents services’’.
Sur le cas de M. et Mme Seck qui n’ont pas pu embarquer parce que leur vol était plein, il rétorque : ‘’Ce sont des choses qui arrivent. Parfois, le système peut faire des erreurs. Parfois, et toutes les compagnies le font, on met des réservations en liste d’attente. Cela permet, au moment où l’enregistrement est effectué, s’il y a des absents, on fait appel aux gens qui sont sur la liste d’attente et qui sont venus. Ça, tous ceux qui sont habitués à voyager le savent.’’
Pour Moctar Ndiaye, même si cela peut arriver, c’est quand même très rare. ‘’En principe, dit-il, la compagnie doit avoir les contacts de tout client qui achète un billet, afin de l’informer de tout changement. Certaines compagnies te contactent même trois fois : WhatsApp, mail, appel téléphonique. Les listes d’attente existent certes. Mais il y a des délais et les gens sont informés. On ne peut pas laisser la personne venir jusqu’à l’aéroport sans l’aviser. Les gens doivent être informés à l’avance. A moins qu’on leur dise que si vous ne recevez pas de nouvelle, sachez que vous n’avez pas de place’’.
Des raisons techniques
Au-delà des problèmes techniques d’ordre conjoncturel, il y a des problèmes plus structurels, qui peuvent influer sur le planning des compagnies. Monsieur Ndiaye explique : ‘’C’est au niveau opérationnel qu’il faut prendre en charge certaines questions. Il faut veiller à ce que les appareils soient prêts à temps. Les causes techniques doivent être amoindries au maximum, même s’il faut reconnaitre que tout ne dépend pas de la compagnie. L’autre problème, c’est là où les grandes compagnies peuvent facilement affréter un autre avion pour pallier un retard, certaines petites compagnies comme Air Sénégal ne le peuvent pas. Il faut, en effet, avoir assez d’aéronefs pour ce faire, pour pouvoir se redéployer, dérouter des vols pour aller prendre des passagers dont le vol est en retard. Beaucoup de paramètres compliqués pour une petite compagnie’’.
En attendant d’y parvenir, l’expert préconise de mettre l’accent sur un service performant et efficace pour gérer certains impairs qui ne peuvent pas manquer. Il en est ainsi des personnels qui ne posent en principe pas de problème, en ce qui concerne les personnels navigants techniques, les hôtesses et autres, car il y a des normes internationales à respecter pour ces derniers. ‘’C’est au niveau du sol qu’il y a peut-être des failles. Au Sénégal, malheureusement, on n’a pas une école d’aéronautique. On a juste quelques écoles privées. Il peut y avoir des problèmes au niveau du recrutement, mais c’est surtout des facteurs humains. Il y aura toujours quelques brebis galeuses sur la chaine. Parfois aussi, il y a un problème de laxisme, de manque de rigueur… Les Occidentaux sont généralement plus stricts à ce niveau’’, constate le spécialiste.
Mais, il ne manque pas de saluer l’ambition et les efforts énormes consentis par la compagnie et les plus hautes autorités. ‘’Il faut les saluer, les encourager, mais aussi les inviter à être encore plus vigilants sur certains aspects’’, soutient l’ancien contrôleur aérien.
Les défis d’un hub !
Par ailleurs, Moctar Ndiaye a saisi l’occasion pour parler de défis encore plus importants pour la compagnie nationale, si elle veut jouer dans la ‘’cour des grands’’. Le plus urgent, à l’en croire, c’est d’avoir des infrastructures qui pourraient lui permettre de prendre en charge, in situ, certaines petites révisions de routine.
‘’Avoir un hub, souligne-t-il, cela demande beaucoup de choses. Il faut un système de maintenance efficace, des hangars, des bases techniques performantes. Si tu crées une compagnie et à chaque fois payer des centaines de millions pour la maintenance, c’est de l’argent perdu. Il est plus réfléchi d’avoir des techniciens – et il en existe à Air Sénégal – d’avoir des infrastructures et mettre des moyens pour prendre en charge certains problèmes techniques mineurs. Maintenant, pour les grandes révisions, c’est peut-être un peu tôt, même s’il faut aller dans ce sens’’.
Le pilote à la retraite de donner l’exemple d’Air Afrique qui avait un centre technique à Dakar, un à Abidjan et dans une autre capitale africaine. ‘’Cela permet de s’arrêter, de souffler et de faire certaines révisions. Parce qu’en aviation, il y a de petites pièces à changer périodiquement, même s’il n’y a pas de problème’’.