Cheikh Ahmadou Bamba, une vie au service de l’Islam

par pierre Dieme

Fils de Cheikh Muhammad Habiboullah, communément appelé Momar Anta Sally Mbacké, et de Diaratou-Allâh Mariama Bousso (voisine de Dieu), par sa piété et ses vertus, Cheikh Ahmadou Bamba est né en 1853, à Mbacké-Baol, village fondé par son aïeul.

Le jeune Ahmadou Bamba vécut d’abord au milieu des siens, entre ses ascendants, grand-père et son oncle appartenant à la famille Boussobé où on lui inculqua une éducation spirituelle. Cet environnement imprégné des sciences coraniques avait déjà facilité son apprentissage du Coran qu’il allait mémoriser très jeune. Mais il allait surtout démontrer des dispositions et manifester très tôt un grand intérêt dans la quête du savoir. D’abord, sous la direction de son père, il se mit aux services d’érudits de l’époque pour s’informer, s’imprégner des arcanes des sciences coraniques. Il accompagna périodiquement son père dans les nombreuses pérégrinations de celui-ci, alors grand érudit et juge respecté par les Cours royales de son époque.

Orphelin de mère en 1863 et de père en 1883, 20 ans après, le jeune Cheikh Ahmadou Ba, la quarantaine sonnée, a déclenchée sa mission et lancé un appel à l’endroit de ses adeptes dans le but de les éduquer. Il réunira les disciples de son école en leur disant : «Celui qui nous avait accompagné dans le seul but d’apprendre peut aller voir ailleurs, là où il veut. Quant à celui qui cherche les mêmes buts que nous, qu’il continue avec nous dans notre nouvelle voie».
Après un court séjour à Mbacké Baol, il partit fonder Darou Salam, puis Touba, en 1888 où il va s’employer à enseigner et propager l’Islam, loin des foules et des critiques des hommes. Sa réputation de plus en plus grandissante, lui a valu des dénonciations aux autorités coloniales. Ces dernières commencèrent à le surveiller. On l’accusa ainsi de préparer une résistance armée. D’un autre côté mystique, le Cheikh, dans son ambition d’accéder aux plus hauts des «Martaba» ou «degré de sainteté», a signé un pacte d’allégeance avec le Prophète Mohamad (PSL) pour être son serviteur.

Ainsi, évoquait-il : «Je signe aujourd’hui un pacte d’allégeance avec le messager nommé Moustapha (PSL), pour être à son service. Que Dieu fasse que j’honore l’engagement». L’exil du Cheikh et sa déportation par le colonisateur, loin de son pays, des siens et de ses disciples, en cette année 1895, étaient une dure mise à l’épreuve de la part de Dieu. C’est cette épreuve qui devait servir comme escalier lui permettant d’accéder au rang des «hommes vertueux» et d’honorer les engagements. Ce qui lui avait valu une convocation pour comparaître à Saint-Louis, en vue d’un simulacre de procès pour l’exiler au Gabon, malgré l’absence de la moindre preuve pouvant le condamner.

Le samedi 18 Safar (10 août 1895), à 14h, le Cheikh est transporté par un détachement des autorités coloniales françaises. Ce procès inéquitable, tenu dans la salle de délibération du Conseil Privé, sis dans la Gouvernance de SaintLouis, le 05 septembre 1895, abouti à un jugement sans appel. Le Conseil Privé décida «à l’unanimité, après avoir entendu les rapports de M. Marlin et Leclerc, et fait comparaître Ahmadou Bamba, qu’il y avait lieu de l’exiler au Gabon». A quelle fin ? «Jusqu’à ce que», disait-il, «l’agitation causée par ses enseignements soit oubliée au Sénégal». Il fut transféré à Dakar, qu’il quitta le 21 septembre de la même année par voie maritime, pour le Gabon où il mena une vie ascétique pendant sept (7) ans. Il devait en revenir en 1902, par miracle, car il échappa à tous les traquenards érigés sur son itinéraire. Cet exil a duré plus de sept (7) ans, de 1895 à 1902.

Après son retour d’exil, il a subi un second exil en Mauritanie, où il a passé quatre (4) ans, de 1903 à 1907. Puis, les colonisateurs l’assigne à résidence à Thiéyène, jusqu’en 1912. L’année où il sera transféré à Diourbel, en résidence surveillée, jusqu’à son rappel à Dieu, en 1927. Il sera transporté par son premier Khalife, Mouhamadou Moustapha Mbacké, dans la cité religieuse de Touba, pour le repos éternel.

LA MOURIDIYYA : une voie soufie

Par rapport à la Qadriyya, la Tijâniyya, la Mouridiyya est une confrérie jeune, fondée et d’inspiration endogène, créée par Cheikh Ahmadou Bamba à la fin du 19e siècle. Après la quête d’une spiritualité directrice, il s’évertua à déchiffrer la des voies spirituelles jusqu’ici pratiquées par ses devanciers. A l’image d’Abdel Kadir al Jilâni qui renia l’option de ses maîtres pour édifier sa propre voix, il entreprit la rupture au travers des retraites spirituelles ou «Khalwa» et la multiplication de ses migrations intellectuelles auprès d’érudits de renoms dans son pays et en Mauritanie. Sa doctrine trouve, selon Serigne Khadim Mbacké, comme fondement idéologique le travail c’est-à-dire le «Kasbu» et la prière comme élément stabilisateur de l’âme. «Au-delà du souci de former un ordre religieux (confrérie), Cheikh Ahmadou Bamba s’est avant tout soucié de ce que doit être le musulman, de ce qui constitue généralement sa vie spirituelle, des devoirs qui lui incombent dans les diverses circonstances de sa vie», écrit-il.

LES GARDIENS LEGS DE CHEIKH AHMADOU BAMBA

CHEIKH MOUHAMADOU MOUSTAPHA MBACKE (1927-1945) : une vie de rassembleur
Premier successeur de Cheikh Ahmadou Bamba à la tête de la communauté, Mouhamadou Moustapha Mbacké, fils de Cheikh Ahmadou Bamba et de Sokhna Aminata Lo, est né le 17 septembre 1888 à Darou Salam. Après des humanités auprès de Serigne Ndame Abdou Rahmane Lo, compagnon du fondateur du Mouridisme, Mame Thierno Birahim Mbacké, frère cadet du Cheikh, il s’était distingué par son dévouement inébranlable aux volontés de son père. Lorsque Cheikh Ahmadou Bamba fut rappelé à Dieu, en 1927, il s’attèle à cette mission. Malgré les moyens de transport quasi inexistants, il réussit à transférer, avec une grande discrétion, le Saint-homme à sa dernière demeure de Touba. Mais aussi en jouant le rôle de père et de rassembleur des différents dignitaires de la communauté et surtout en jouant un rôle de protecteur de la famille du Cheikh. A l’instar de son Père, il a créé, pour eux, des daaras, véritables pôles de développement où, en dehors de l’enseignement du Coran et de la liturgie, le travail productif est érigé au rang de véritable sacerdoce. C’est ainsi que, pour doter les Cheikhs, il eut à fonder de nombreux villages dont peut, pour mémoire, citer quelques-uns des plus connus : Tindody, Taïf, Naïdé, Darou Naïm, Kaél, Bayla. La plus grande réussite de Cheikh Mouhammadou Moustapha est, sans doute, la construction de la Grande Mosquée de Touba qui est une forte recommandation de Cheikh Ahmadou Bamba. Pour les besoins de sa réalisation, le premier Khalife de Serigne Touba avait réussi la construction du chemin de fer pour relier la ville de Diourbel à Touba, en vue de faciliter le transport des matériaux lourds et désenclaver la capitale du Mouridisme, fondée en 1888. Le père de Serigne Cheikh Mbacké «Gaïndé Fatma» quittera ce bas monde en 1945, à l’âge de 57 ans.

CHEIKH ABDOUL AHAD MBACKE : (1968-1989) Le bâtisseur

Cheikh Abdoul Ahad Mbacké est né en 1914 à Diourbel. La naissance de ce premier enfant de l’après exil a suscité, selon la tradition, une vive émotion de la part du Cheikh qui lui prédit un destin hors du commun. A la naissance du troisième Khalife général des Mourides, Cheikh Ahmadou Bamba, prenant à témoin ses plus proches disciples déclara : «Priez pour lui afin qu’Allah lui accorde longue vie car, en lui, je place un espoir immense». Le fils de Sokhna Maryama Diakhaté et frère aîné de Serigne Chouhaïbou entama ses humanités coraniques sous la conduite de son oncle et érudit, Serigne Hamzatou Diakhaté. Agriculteur émérite, il s’est investi dans ses exploitations de Touba Bélel, de Bokk Barga, de Kadd Balooji, de Mbara Dieng. Il a exercé le métier de commerçant ; cependant, sans jamais encaisser de ses clients plus qu’il ne lui est dû. Il s’est même essayé au transport en commun. Quand, le 6 août 1968, Serigne Fallou retourne à son Créateur, Cheikh Abdoul Ahad continue l’œuvre de construction et de modernisation de Touba. «Gnakk Caaxaan», pour décliner un autre de ses surnoms, Serigne Abdoul Ahad est considéré comme le bâtisseur ou l’homme de la transformation de la cité religieuse. Il s’affirma comme un bâtisseur et son Khalifa sera marqué avec le développement prodigieux et plus de sécurité dans la cité religieuse. En quelques années, Touba sera en chantier, avec un plan de circulation en période de Magal, son lotissement, l’extension de la Grande Mosquée, l’approvisionnement en eau, sans compter d’importants travaux de la Grande Mosquée, une Bibliothèque équipée qui compte des ouvrages du monde musulman et des écrits du Mouridisme.

CHEIKH MOUHAMMADOU FADILOU MBACKE (1945-1968) : Le charismatique guide

Cadet de six mois de Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké, Cheikh Mouhamadou Fadilou a vu le jour, le 27 du mois de Rajab, à Darou Salam, en 1889. L’un des faits marquants de sa biographie restera, sans doute, cet attachement à Cheikh Ahmadou Bamba qui s’est manifesté lors d’une rencontre avec le guide. «Je ne suis ni le père, ni le frère, ni l’oncle d’aucun d’entre vous. Je suis une créature vouée au service exclusif de Dieu. Ceux d’entre vous qui auront choisi de m’accompagner sur ce chemin que j’ai réhabilité, ceux-là sont mes fils, neveux, frères et talibés», avait lancé Cheikh Ahmadou Bamba. Serigne Fallou avait aussitôt fait un acte d’allégeance qu’il déclinera ensuite en ces termes : «Notre espoir est en toi, toi qui nous as ouvert les portes de la félicité. Je te vends mon rang de fils pour acquérir la gloire d’être ton talibé.» En 1945, Serigne Fallou, devenu deuxième Khalife, plongea corps et âme dans la poursuite des travaux de la Grande Mosquée dont l’inauguration sera effectuée le 7 juin 1963. Le guide religieux a surtout réussi à donner une grande dimension au Magal de Touba, en demandant à toute la communauté mouride de se rendre dans la cité religieuse pour célébrer, à l’unisson, le Grand Magal de 1948. Le Charismatique guide a été rappelé à Dieu en 1968, après 23 ans de règne. Le Magal du «Kazou Rajab», qui lui est dédié, est encore célébré chaque année par la communauté mouride et reste l’un des plus grands événements religieux de Touba.

CHEIKH ABDOU KHADR MBACKE : (1989-1990) : Le guide et l’imam

Cheikh Abdoul Khadre est né un 3ème jour du mois de Muharram de l’an en 1914, au village de Ndame. Il reçut, à l’âge de 5 ans, sa première formation coranique auprès de Serigne Abdou Rahmane Lô à Ndame (Dar Alimou Kabir). Mais, c’est à Guédé, à quelques kilomètres de Touba, qu’il achève sa formation dans le domaine des sciences islamiques. Celui que l’ancien imam Ratib de Dakar, El Hadji Maodo Sylla, avait surnommé «imam des imams», a pris le relais de Serigne Fallou en dirigeant la prière de vendredi à la grande mosquée. Serigne Abdou Khadre Mbacké, appelé aussi «Boroom Bakhdaad», dirigeait les offices religieux et procédait lui-même à la prière sur les morts aussi souvent qu’il le pouvait. Il accéda au Khalifa en 1989. Il aura vécu un séjour terrestre de 75 ans. Exactement comme son père. Il est le père de Serigne Bassirou Abdou Khadre, l’actuel porte-parole de la communauté mouride.

CHEIKH SALIOU MBACKE (1990-2007) : La «baraka» d’un soufi

C‘est à Diourbel que Serigne Saliou est venu au monde, le 22 septembre 1915. Le cinquième Khalife général des Mourides a mémorisé le Coran auprès de son oncle maternel, Serigne Alassane Diakhaté. Dès son accession aux fonctions de Khalife général, en 1990, après le bref magistère de Serigne Abdou Khadre, Serigne Saliou Mbacké prend les rênes du Khalifa. A l’instar de son père, Serigne Saliou affiche sa détermination dans le sens de la défense de l’Islam et l’héritage de Cheikh Ahmadou Bamba. D’où sa fameuse déclaration : «Donnez-moi les jeunes, j’en ferais ce que Cheikh Ahmadou Bamba en a fait pour nos anciens». La vie de Cheikh Saliou a été surtout associée à des moments d’ascétisme, d’actes de dévotion, de détachement aux affaires mondaines et surtout au culte du travail. Sous son magistère, il développa d’importants projets agricoles, des enseignements religieux. Il entreprit les travaux de rénovation de la mosquée de Touba et poursuivit, avec succès, les travaux déjà entamés par son prédécesseur, Abdoul Ahad Mbacké. Il a été rappelé à Dieu en 2007.

CHEIKH MOUHAMMADOU LAMINE BARA MBACKE (2007-2010) : L’héritier des pères fondateurs

Fils du vénéré Serigne Fallilou Mbacké, Serigne Mouhammadou Lamine Bara Mbacké a vu le jour à Touba, en 1925, et a été le sixième Khalife général des Mourides, après le rappel à Dieu de Cheikh Saliou Mbacké, le 28 décembre 2007. L’histoire retiendra qu’il a été le premier des petits-fils de Serigne Touba à avoir assuré les charges de Khalife général de toute la communauté mouride. Appelé affectueusement El Hadji Bara, il est l’homonyme de Serigne Mouhamadou Lamine Bara Mbacké, fils de Cheikh Ahmadou Bamba car il est venu au monde pendant que ce dernier était en visite chez Mouhammadou Fadilou Mbacké. Son père le confia très tôt à son homonyme. Après avoir acquis de solides connaissances en sciences religieuses, il retourna auprès de son père pour continuer sa formation spirituelle. Très tôt attaché au service de son père, il a eu à jouer des rôles divers comme chargé de mission ou homme de confiance dans beaucoup de tâches. Très proche de Serigne Saliou Mbacké et très lié à Serigne Abdou Khadre Mbacké qu’il accompagnait chaque fois diriger les prières du vendredi à la grande mosquée de Touba, Serigne Mouhammadou Lamine Bara Mbacké a également eu à jouer un rôle auprès d’Abdoul Ahad Mbacké, Cheikh Abdou Khadre et Serigne Saliou. Il quitta ce bas monde en 2010.

SERIGNE SIDY MOKHTAR MBACKE : (2010-2017) : L’apôtre de l’unité en Islam

Le 7ème Khalife général de Serigne Touba, Serigne Sidy Mokhtar Mbacké est né le 25 octobre 1925. C’est son père Mouhamadou Lamine Bara Mbacké qui l’a initié au Coran, avant de le confier à Mame Cheikh Awa Balla Mbacké, fils de Mame Thierno Mbacké, à Darou Marnane. Puis, chez Mouhamadou Lamine Diop Dagana, un des proches du fondateur du Mouridisme. Serigne Sidy Mokhtar hérite de la charge de Khalife des Mourides en juillet 2010. Il s’est illustré à la tête de la communauté mouride par des travaux importants portant sur l’extension de la Grande Mosquée de Touba et la construction de la Mosquée Massalikoul Jinan de Dakar. Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké a été unanimement reconnu comme un artisan inlassable de l’unité de la Ummah. Sous son magistère, tous les foyers religieux du Sénégal ont parlé d’une même voix. Rappelé à Dieu le 9 janvier 2018, il repose aujourd’hui à Gouye Mbind.

SERIGNE MOUNTAKHA MBACKE : Un leadership très tôt affirmé

Fils de Serigne Mouhamadou Bassirou Mbacké ibn Khadim Rassoul, (1895-1966), Serigne Moutakha Mbacké est devenu le 3e petit fils de Cheikh Ahmadou Bamba et 8e Khalife général chargé de poursuivre l’œuvre du fondateur de la Mouridiya. Il succède à Serigne Sidy Mokhtar Mbacké, rappelé à Dieu dans la nuit du mardi 9 janvier 2018. Serigne Mountakha Bassirou Mbacké est né en 1933 à Darou Kayel, près de Mboul. Educateur, Serigne Mountakha a ouvert le Daara des homonymes de Sokhna Diarra Bousso, mère de Serigne Touba, à Porokhane. Serigne Mountakha Mbacké a été homme de confiance de Serigne Saliou Mbacké, de Serigne Mouhamadou Lamine Bara Mbacké et de Serigne Sidy Mokhtar Mbacké. Le 8e nouveau Khalife général a très tôt affirmé son charisme, son leadership et son engagement. Il a placé son magistère sous le signe de l’éducation, de la revalorisation de l’enseignement coranique, des sciences religieuses et de la formation. D’où son projet de création d’une université islamique. Dès son avènement il a placé son magistère dans le sens de la continuité de l’œuvre de ses pères et aînés. Après l’Hopital Khadimou Rassoul, construit par le l’Etat, celui que l’on affuble du surnom de «Borom Mbegté mi» (l’homme de la félicité) a déjà entrepris la construction d’un complexe universitaire Cheikh Ahmadou Bamba, dont les travaux sont en phase de réalisation et évalué à des dizaines de milliards. Sans compter sa contribution exemplaire face à la riposte contre la pandémie (100 millions de F CFA) et pour soutenir les populations de Touba touchée par les inondations (50 millions de FCFA).

REALISÉ PAR OMAR DIAW

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