« Á bientôt cent ans, il veut reconquérir le pouvoir pour son fils »

par pierre Dieme

Oui, in shaa Allah, il aura cent ans en 2024, et il se lance dans la reconquête du pouvoir pour son fils bien aimé. L’accepterons-nous ? Ce serait peut-être envisageable si sa gestion de douze longues années était plus ou moins un modèle de bonne gouvernance et si son fils s’en était inspiré. C’est malheureusement loin, très loin d’être le cas. Sa gouvernance a été une catastrophe et la cause de tous les problèmes que nous connaissons depuis le 1er avril 2000. Pendant douze longues années, il a accumulé scandales sur scandales, tous gravissimes les uns que les autres. Il a détraqué notre administration, notre fonction publique, notre système de rémunération et d’octroi d’indemnités aux agents publics. Pendant douze longues années, il a érigé en règle de gouvernement la détestable transhumance et la corruption. Pendant sa longue gouvernance meurtrie, les marchés de gré à gré et leur lot de fortes surfacturations étaient pratiquement la règle (297 milliards de francs CFA, rien que pour les 33 km de l’autoroute à péage). Sa gestion foncière à nulle autre pareille est responsable pour une bonne part des inondations qui constituent un véritable casse-tête pour son successeur et sosie. Il a transformé une bonne partie de Dakar en briques. Sa gestion des fonds politiques, avec son fils putatif, est aussi, sinon plus catastrophique que tous les autres scandales dont le moins grave l’aurait conduit directement en prison, si le Sénégal était vraiment un pays démocratique, avec des institutions et des hommes et des femmes à la hauteur des missions qui leur sont confiées. Les emplois fictifs de la Mairie de Paris et l’Affaire Bygmalion qui ont valu de sérieux déboires judiciaires à Jacques Chirac et à son successeur Nicolas Sarkozy, sont des peccadilles par rapport au moins grave des lourds forfaits que ce vieux président-politicien à accumulés pendant sa longue et nauséabonde gouvernance.

Je ne m’attarde pas à développer ces scandales. Je renvoie le lecteur qui voudrait en avoir le cœur net, le jeune lecteur surtout, à ma contribution « Vingt-quatre ans avec eux et elles, ce sera déjà trop » (WalfQuotidien du 26 février et L’Exclusif du 1er mars 2021) et à mon « audio » dédiée à la « générosité » du vieux président-politicien, ainsi qu’au financement scandaleux du Monument de la Renaissance africaine. Par contre, je vais rappeler et développer un peu une autre forfaiture, elle aussi gravissime. Je pense, comme par hasard, à la rénovation de l’avion de commandement La Pointe de Sangomar, tout au début de sa trop longue gouvernance.

L’une des toutes premières préoccupations du nouveau président de la République a été, dès son entrée en fonction, le 1er avril 2000, de disposer d’un avion neuf. Arguant de raisons d’économie budgétaire, il opta finalement pour une révision générale de l’avion de commandement, La Pointe de Sangomar. Une révision qui se déroula dans l’opacité la plus totale. Á la fin de la nébuleuse révision, un très luxueux palais volant est réceptionné avec pompe à Dakar, en présence de toute la République, avec une très large couverture de la télévision nationale (Journal parlé de 20 heures 30 mn). Le Président de la République aux anges déclare au peuple sénégalais, pour le rassurer, que « la rénovation n’a pas coûté un franc CFA au contribuable sénégalais, et que ce sont des amis qui ont préféré garder l’anonymat qui lui ont avancé l’argent ». Á l’époque, il n’était venu à l’esprit d’aucun Sénégalais, d’aucune sénégalaise, qu’il nous racontait des histoires. Il était encore en période de grâce et nombre d’entre nous étaient loin de soupçonner la véritable nature de l’homme. Il nous avait donc tous roulés dans la farine et ce n’est que trois ans après que nous nous rendrons compte que notre tout nouveau Président de la République nous racontait carrément des histoires.

La lumière nous viendra de notre compatriote Abdou Latif Coulibaly, un journaliste d’investigation d’une compétence et d’un courage remarquables. C’est lui qui jeta un pavé dans la mare, en publiant, le 17 juillet 2003, un véritable brûlot : Wade, Un opposant au pouvoir. L’alternance piégée ?, Les Éditions Sentinelles, Dakar.

M. Coulibaly révèla que, « après sa prise de service, Abdoulaye Wade a aussitôt manifesté le désir d’acquérir un avion flambant neuf. Des conseillers autour de lui et le Ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Matar Diop, tenteront de l’en dissuader. Avec beaucoup de peine, il est vrai, ils y parviendront » (page 177). Le journaliste d’investigation révèle aussi que La Pointe de Sangomar avait été d’abord proposée à la vente pour un montant de 5 millions de dollars. L’offre de vente sera finalement annulée et l’avion de commandement proposé à une révision générale. Une firme anglaise (SFR Aviation) a été préférée à une entreprise américaine (BF Goodrich) qui « dispose du kit servant à réviser l’appareil (et) qui proposait pour tous les travaux envisagés, la somme de 16 millions de dollars, soit un peu plus de10 milliards de francs CFA. Donc beaucoup moins cher que l’offre anglaise estimée à 18 milliards de milliards de francs CFA » (page 177). L’entreprise américaine garantissait de nombreux autres avantages (pp. 174-178). Malgré tout, la Firme anglaise enlève la mise. N’oublions quand même pas que Karim Wade avait, à l’époque, ses entrées et sorties à Londres où il travaillait avant le 19 mars 2000.

Je ne m’étendrai pas sur ce livre bien documenté, que beaucoup de Sénégalais ont lu. Il avait même fait l’objet d’une réponse de la part de quelques membres les plus zélés de la mouvance présidentielle. Ce que j’en retiendrai simplement, c’est que les Sénégalais découvraient avec stupeur que leur nouveau Président leur avait menti, leur avait menti solennellement et publiquement. « Ses amis » qui lui avaient avancé de l’argent n’existaient que dans son imagination : la rénovation s’était bien faite avec l’argent du contribuable, et dans des conditions des plus opaques. S’appuyant sur des informations et des documents officiels précis, l’ancien journaliste d’investigation – il ne l’est plus  – (M. Coulibaly) estimait le coût de la rénovation à au moins 31 milliards de francs CFA. Oui, tout au début de sa tortueuse gouvernance, le vieux président ment officiellement et publiquement à son peuple. Que personne ne m’oppose son âge ou sa fonction ! C’est d’abord à lui qu’il appartenait de les respecter et donc, de les faire respecter, en nous disant la vérité. Ce qui a été rarement le ca d’ailleurs, tout au long de ses onze années de gouvernance meurtrie.

Donc, après la parution du livre d’Abdou Latif Coulibaly en juillet 2003, l’hebdomadaire Jeune Afrique/L’Intelligent n° 2225 du 31 août au 6 septembre 2003, est revenu avec le Président de la République sur cette nébuleuse affaire de la rénovation de La Pointe de Sangomar. Le journaliste lui a notamment posé cette question-ci : « Une commission parlementaire va se pencher sur l’opération de rénovation de l’avion présidentiel (…). Une affaire plutôt embrouillée, qui semble s’être déroulée dans la plus grande opacité et qui aurait coûté, si l’on en croit Coulibaly, 28 millions de dollars à l’État. » Le vieux président-politicien répondit alors, en s’imposant un aplomb qui lui faisait cette fois-ci cruellement défaut, qu’il avait reçu l’avion, un Boeing 727 âgé de 27 ans, de son prédécesseur Abdou Diouf, qui lui-même l’avait hérité de Senghor. C’est le Premier ministre d’alors, Moustapha Niasse qui, interrogé par ses soins, lui a recommandé l’achat d’un appareil neuf. La même question, poursuivait-il, a été posée au Conseil des Ministres qui a donné la même réponse à l’unanimité. La situation des finances publiques n’étant pas, à ses yeux, très brillante à l’époque, il opta pour la réhabilitation de l’avion de commandement, après l’avis d’experts britanniques et français. Pour le reste, précisait-il, il a fait confiance à son pilote qui s’était mis en rapport avec Boeing qui l’avait orienté vers la société américaine BF Goodrich, laquelle s’était occupée de la réhabilitation externe de l’avion, les Britanniques de FR Aviation prenant en charge l’aménagement intérieur.

Voilà ce qu’il répondait d’abord le vieux président que nous connaissons si bien. Demander l’avis du Premier ministre et du Conseil des ministres pour acheter un avion ! Lui-même, bourreau de deniers publics, s’inquiéter de la situation des deniers publics ! Qui va le croire ?

En tous les cas, il poursuivait sa réponse tortueuse. La facture s’élevait, selon lui, à 17 milliards de francs CFA, soit 27 millions de dollars. Il jugeait – du moins c’est ce qu’il prétendait –, la note trop lourde pour le Sénégal et il avait fait jouer ses relations. C’est ainsi que Taïwan avait mis à sa disposition l’équivalent de 6 milliards de francs CFA, directement remis aux sociétés contractantes, entre avril et juin 2001. « Directement remis aux sociétés contractantes !» En avait-il vraiment le droit ? Le lecteur appréciera. Revenons à sa réponse qu’il poursuivait, sans convaincre personne !  De l’Arabie saoudite, il reçut, toujours selon lui, un chèque de 1,5 milliard de francs CFA qu’il remit au Ministère de l’Économie et des Finances. Ses autres amis qu’il a sollicités ne s’étant pas manifestés, il s’était retrouvé face à un gap de 10 milliards. Cette somme n’étant pas prévue au budget, il a fallu trouver la rubrique au sein de laquelle la dégager, précisa-t-il. La rénovation n’avait pas coûté un franc au contribuable. Voilà qu’il lui fallait trouver 10 milliards quelque part dans le budget.

Et le journaliste de Jeune Afrique d’anticiper la réponse du Président et de poser cette question : « D’où l’utilisation des fonds routiers sénégalais ? » « Faux », s’empressa de répondre le vieux président. « Nous avons puisé dans un fonds résiduel du Ministère de l’Équipement intitulé ″autres opérations routières″ ». Il feignait alors de s’indigner qu’on l’accusât d’utiliser des fonds destinés à des routes. Et il précisa qu’il s’agissait en réalité de 10,5 milliards et non pas de 15, « comme le dit Coulibaly apparemment fâché avec l’exactitude ». D’accord, 10,5 milliards, mais sur le dos du contribuable, contrairement à ses déclarations antérieures.

Ces différentes réponses méritent quand même d’être commentées, même rapidement. Ce que nous retenons d’abord, c’est qu’il avait affirmé publiquement que l’opération de rénovation de l’avion de commandement n’avait pas coûté un franc au contribuable sénégalais, et que ce sont des amis qui préféraient garder l’anonymat qui l’avaient financée. Voilà que, acculé, il estime le coût à 17 milliards de francs payés par l’État sénégalais. C’est ce mensonge qui pose problème et nous pouvons arrêter là notre commentaire. Si nous vivions dans une démocratie avancée, avec des institutions s’acquittant objectivement et indépendamment de leurs missions, il serait destitué et traduit au besoin devant les tribunaux pour délit présumé très grave. Cette assertion. C’est ma forte conviction.

C’est ce président-politicien presque centenaire qui veut reconquérir le pouvoir pour son fils, ce fils qui est tout à son image. Ce fils, Karim Méïssa Wade de l’Anoci, du plan Takkal, du bateau-hôtel « La Musica » loué à six milliards pour moins de six jours ! Ce fils dont les seuls voyages pendant onze longues années dans le jet privé de son ami et acolyte Abba Jaber nous auront coûté douze milliards ! Ce fils que Madiambal Diagne a présenté sous son vrai visage, un visage peu séduisant, dans son « Lundi » du 5 mars 2018 et qu’il a intitulé : « Karim, de quel peuple prétendrais-tu être le candidat ? » ! Madiambal Diagne, que personne ne peut suspecter de haine contre les Wade ! J’y reviendrai d’ailleurs dans mes toutes prochaines contributions, comme je reviendrai au moins sur deux forfaitures aussi graves que celles qui viennent d’être passées en revue.

Sans doute que cette contribution me vaudra, comme d’habitude, un tombereau d’injures les plus grossières. Á la place, j’aurais préféré des contre-arguments ou même une plainte auprès des tribunaux pour diffamation ou je ne sais quoi encore. En tous les cas, ces injures n’auront aucun impact sur ma volonté inébranlable de rappeler à mes compatriotes, qui sont réellement ce vieux président et son fils qui lui ressemble en tout. Ces deux-là ne peuvent pas constituer un avenir pour le Sénégal et sa jeunesse. Nos amis du PDS le comprendront-ils ?

Dakar, le 14 septembre 2021

Mody Niang

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