Il avait fui son pays d’Afrique centrale pour venir s’établir sur les rives de l’Atlantique, dans cette partie la plus occidentale du continent. Ce pays qu’il avait choisi comme terre d’exil ou, plutôt, qui avait accepté de l’accueillir était devenu le sien. Il y a pris femme, y a eu des enfants qui ont la nationalité sénégalaise, qui y ont grandi pour certains et poursuivent leurs études dans de grandes universités occidentales.
Son argent, il l’y a investi, s’est parfaitement intégré, a développé d’excellentes relations de voisinage dans ses deux résidences de Ouakam et des Almadies, a fréquenté assidument les mosquées et entretenu aussi de bons rapports avec les chefs de confréries musulmanes au point que l’un d’entre eux, aujourd’hui disparu, l’avait adopté et le considérait comme son propre frère. Bref, le président Hissène Habré aimait ce pays, qui était devenu sa seconde patrie, et y a coulé des jours heureux pendant plus de 20 ans. Puis ce fut la curée, la chasse de la meute, les aboiements des chiens d’organisations prétendument de défense de droits de l’homme, les glapissements des chacals, les cris des hyènes, la ronde des vautours au-dessus de l’homme.
Lancée par l’organisation Human Rights Watch avec des moyens tellement importants que, finalement, bien rares étaient les Africains qui pouvaient y résister, l’impitoyable chasse à l’homme s’est intensifiée à mesure que le temps passait, se renforçant de l’appui de mercenaires que l’odeur de l’argent attirait. Dès lors, l’ancien président du Tchad n’a plus eu droit à une vie tranquille. Traqué, harcelé, persécuté, insulté, calomnié, il a fait face crânement, s’est défendu comme il a pu, a résisté avec courage mais les forces étaient inégales.
Quelle chance avait-il de résister face aux milliards de francs dégagés par son tombeur, son ex-chef d’état-major qui gérait comme une cagnotte personnelle les fabuleuses recettes provenant de l’exportation du pétrole tchadien ? C’était une question d’honneur, en effet, pour le président Idriss Déby Itno mort quelques mois avant lui de le faire juger et condamner de manière à pouvoir continuer à spolier impunément le Tchad qu’il avait de toute façon fini d’écraser sous sa botte de maréchal d’opérette. Des milliards qui venaient s’ajouter à d’autres débloqués par Human Rights Watch qui avait besoin d’épingler un dirigeant africain à son tableau de chasse de manière à pouvoir lever encore plus de fonds auprès de ses bailleurs. Au nom de la lutte contre l’impunité dans le monde.
Et si le président Abdou Diouf avait résisté à tous les assauts visant à lui faire lâcher son hôte Habré, si son successeur Wade a joué avec l’alors colonel puis général Déby en faisant mine à chaque fois de faire juger voire d’expulser Habré, jamais, cependant, ils n’ont cédé aux pressions de la meute. Le président Macky Sall, lui, n’a guère cherché à résister aux organisations de défense des droits de l’homme. Elles voulaient le scalp de Habré ? Il leur a offert sa tête ! Son gouvernement a signé un accord bidon avec l’Union africaine en vertu duquel on lui donnait « mandat » de juger Habré et de l’emprisonner au Sénégal, de jouer un rôle de maton sans aucune possibilité ne serait-ce que de lui accorder une libération pour cause médicale, ne parlons pas de liberté provisoire. Après quoi, Déby a aboulé le pognon pour faire juger l’homme qui l’empêchait de dormir.
Et Macky Sall a mis à disposition des magistrats pour interpréter ce qui aurait pu être une comédie judiciaire n’eut été sa fin tragique que tout le monde connaît. Faisant fi du droit d’asile qui est sacré, de notre légendaire Téranga qui sanctuarise nos hôtes et leur accorde en quelque sorte une immunité, le président de la République a livré le président Habré aux chiens qui le réclamaient. Il l’a fait arrêter, juger en un drôle et pitoyable procès au cours duquel le grand résistant Habré, qui n’avait que mépris pour ses juges, a refusé d’ouvrir la bouche une seule fois ne serait-ce que pour leur cracher sa salive en plein visage comme ils le méritaient ! Plusieurs fois malade, s’étant aussi fracturé la jambe une fois, il s’est vu régulièrement refuser la permission d’aller se faire soigner. Les organisations de défense des droits de l’homme mettaient systématiquement leur véto !
Hélas, même après sa mort, il n’a pas droit à un repos mérité puisque, à présent, le combat de nos mercenaires des droits de l’homme, et de ses prétendues victimes, c’est celui pour l’indemnisation de ces dernières ! Autrement dit, des figurants que Déby et Reed Brody, le chef des chasseurs de HRW, avaient recrutés pour venir jouer la comédie à la barre des Chambres africaines extraordinaires mises sur pied par l’Union africaine avec la complicité du Sénégal pour juger l’ancien homme fort du Tchad. Devant celles-là, on a même entendu de vieilles pétasses dont Habré n’aurait même pas voulu comme édredons, voire bonniches, prétendre avoir été violées par lui ! Ayant réussi à faire prononcer par ces « juges » indemnisation pour tous ces escrocs, HRW et leurs avocats veulent à présent que les biens de Habré soient saisis et vendus afin de désaltérer la soif d’argent de ses prétendues victimes. Il est à cet égard proprement indécent — mais ô combien révélateur — que priée de livrer son sentiment sur la mort du président Habré, l’avocate tchadienne Jacqueline Moudeina, compagne de chasse de Reed Broody, ait trouvé le moyen de parler d’indemnisation des victimes dès les premières phrases qu’elle a prononcées ! Ce au moment où même le gouvernement tchadien avait eu la décence de s’incliner devant la mémoire du défunt et de présenter ses condoléances à sa famille.
Un grand chef de guerre doublé d’un patriote sourcilleux
Le président Hissène Habré était un grand chef de guerre, cela nul ne le lui conteste. Il avait du courage à revendre et un patriotisme à fleur de peau, ce qui fait que les intérêts du Tchad passaient à ses yeux avant tout. Hélas, il avait parmi ses voisins un Guide fantasque et hégémonique qui a tout fait pour annexer le Nord du Tchad, plus précisément la Bande d’Aouzou. Surarmé, ayant transformé son pays en gigantesque arsenal, ne sachant pas quoi faire de tout l’argent que lui rapportait son pétrole, le colonel Kadhafi qui, comme tout Arabe qui se respecte, méprisait les Nègres, croyait que le Tchad lui revenait de droit. Mal lui en a pris puisque le président Habré a infligé à son armée une raclée qui lui est restée en travers de la gorge. Au cours de la bataille de Ouadi Doum, non seulement Habré a fait des milliers de prisonniers libyens — dont certains seront récupérés plus tard par les Américains qui les ont retournés contre leur ennemi Kadhafi — mais encore il a récupéré pour près de deux milliards de dollars d’armement libyen ! Quant à la France, elle ne lui a jamais pardonné l’enlèvement de sa ressortissante, la sociologue Françoise Claustre, et aussi d’avoir tué le commandant Gallopin venu négocier sa libération. Surtout, le président François Mitterrand avait considéré comme une humiliation personnelle le fait que, lors du sommet de La Baule où il sommait les potentats africains de se démocratiser, Habré lui avait porté la contradiction. Par cette objection courageuse, il avait signé son arrêt de mort. Quelques mois plus tard, la France soutenait son chef d’état-major, le colonel Idriss Déby, pour le renverser. L’homme qui nous a quittés la semaine dernière n’était sans doute pas un enfant de chœur mais qui l’était parmi les présidents africains des années 60 à 90, et même ceux d’aujourd’hui ? Dirigeant d’un pays en guerre, devant constamment se défendre face à des rébellions financées, équipées et entraînées par la Libye, avec une cinquième colonne omniprésente, le président Hissène Habré ne pouvait qu’avoir une main de fer et être sans pitié avec ses ennemis. Il y allait de la survie même du Tchad. En d’autres temps, les dirigeants de la Révolution française l’avaient fait lorsque, après avoir renversé et décapité le roi Louis XVI, ils avaient dû faire face à une invasion du territoire hexagonal par plusieurs armées. Ils avaient donc instauré la Terreur dont les atrocités font frémir jusqu’à présent. Qu’il y a ait eu des ennemis tués durant le magistère du président Hissène Habré, c’est sans doute incontestable. De là à parler de milliers de personnes massacrées, de génocides, de crimes contre l’humanité et autres incriminations qu’adorent les ONG, il y a manifestement beaucoup d’exagérations pour ne pas dire d’affabulations. Mais quand on veut tuer son chien, ne l’accuse-t-on pas de rage ? Et puis, était-il possible que le président Habré lui-même massacrât ces milliers de personnes qu’on l’accuse d’avoir tuées sans que son chef d’état-major d’alors, qui finançait les poursuites contre lui, et avait à l’époque la haute main sur tous les services de sécurité et de défense du pays y ait eu lui aussi sa part de responsabilité ? S’il n’était pas le principal exécuteur de tous ces massacres présumés ! Une question à laquelle aussi bien les ONG occidentales que les braves magistrats qui ont « jugé » Habré se sont bien gardés de répondre…
Le président Habré et moi…
Le président Habré, je l’admirais pour ses qualités de grand résistant, de patriote africain authentique, son courage à toute épreuve, sa dignité et son refus de l’humiliation de l’Afrique. J’avais fait sa connaissance au début des années 2000 alors que les chiens de guerre avaient déjà commencé à aboyer en sa direction. Pendant qu’activistes des droits de l’homme et mercenaires de tout poil commençaient déjà à l’accabler de tous les maux de la Terre et réclamaient sa tête, j’avais pris ma plume pour le défendre et essayer un tant soit peu de rétablir les faits à la lumière de ce que je savais en tant que journaliste intéressé par ce qui se passait sur le continent. J’avais donc fait une série de papiers pour le défendre. Puis un beau jour, j’étais dans mon bureau — le siège de notre journal se trouvait alors à Gibraltar — lorsqu’un homme a demandé à me voir. Je l’ai reçu et il s’est présenté à moi comme étant un médecin tchadien vivant dans notre pays. Il se disait envoyé par le président Habré qui voulait faire ma connaissance car appréciant énormément le fait que je le défende sans le connaître, sans avoir jamais demandé à le rencontrer alors pourtant que je savais qu’il était au Sénégal depuis 1990. Un rendez-vous fut convenu et je me rendis donc à Ouakam où l’ex-homme fort du Tchad m’a reçu chaleureusement et retenu à dîner alors pourtant que ce n’était pas prévu initialement. Ce jour-là, il m’a longuement parlé de lui-même, de sa politique, des complexités de la politique tchadienne, de ses rapports avec Kadhafi et aussi, bien sûr, les présidents français, de la situation géopolitique de cette partie du continent à la lisière entre la partie « blanche » et noire de l’Afrique etc. Après ce premier contact, nos rencontres ont été régulières quoique espacées. Et c’était à chaque fois un ravissement pour moi d’entendre parler cet homme à la vaste culture et aux analyses toujours lucides sur les événements du continent. C’était un homme d’Etat, un vrai, doté d’une vision très structurée, qui avait de fortes croyances, qui était également très au fait de tout — enfin, disons, de l’essentiel — de ce qui se passait à travers le monde. Un homme qui lisait beaucoup, était tout le temps devant son téléviseur en train de zapper entre les différentes chaines d’informations qu’elles soient francophones, anglophones ou…arabophones, car il maîtrisait parfaitement l’arabe aussi. Parfois, celle que j’appelais « Mme la Première Dame », sa gracieuse épouse Fatime Raymonne, se mêlait à nos discussions. Elle aussi était une intellectuelle de haut vol comme tous ceux qui ont lu dans la presse ses textes très bien écrits et solidement argumentés ont pu s’en rendre compte. Bien sûr, au fil des années, pour ne pas dire des mois, lui, le chef de guerre intrépide et le grand stratège, sentait l’étau des colonnes ennemies se refermer autour de lui. Pour autant, il ne s’est jamais départi de son légendaire sang-froid. Jusqu’à ce qu’un allié de ses ennemis, un combattant insoupçonné, le président Macky Sall en l’occurrence, lui plante sa dague dans le dos. La suite, on la connaît. Le Sénégal, qui fut pendant plus de deux décennies sa très hospitalière terre d’asile, s’est brusquement transformé un jour en prison pour lui…
Bien sûr que je ne pouvais manquer de rendre un hommage mérité à ce grand Africain que fut le président Hissène Habré dont je prie du fond du cœur le Bon Dieu pour qu’Il l’accueille en Son paradis. Je n’avais pas voulu mêler ma voix au chœur des pleureuses ni mes larmes à celles des crocodiles qui, après avoir conduit à la mort le président Habré, se sont ensuite fendus d’hommages hypocrites ! En cette très douloureuse circonstance, je présente donc mes sincères condoléances à sa veuve, la très distinguée et fidèle « Mme la Première Dame » Fatime Raymonne Habré, à sa famille ainsi qu’à toute sa famille au sens large. Puisse enfin le président Habré reposer en paix en attendant que l’Histoire se charge de le blanchir à tout jamais des accusations calomnieuses portées contre lui par ses ennemis. Des accusations qui lui ont valu de vivre le martyre que l’on sait…
Mamadou Oumar NDIAYE
« Le Témoin » quotidien