La révolte de populations pour dénoncer ou obtenir la résolution d’un problème ou une situation politique est devenue une marque de la société. La dernière en date est la salve de huées notée, le dimanche 22 août, lors de la visite du ministre de l’Intérieur et de Sécurité publique, Antoine Félix Abdoulaye Diome à Keur Massar, une zone fortement touchée par les inondations. La réprobation de l’autorité, parfois avec une manière violente, n’est pas chose nouvelle. Le mouvement de mai 1968 fait partie des plus grandes manifestations que le Sénégal a connues. Les événements contre la dévaluation du franc Cfa sont aussi un exemple, parmi tant de manifestations qui ont rythmé la gouvernance du Sénégal.
Les pluies qui se sont abattues au Sénégal au milieu de ce mois d’août sont à l’origine d’inondations dans plusieurs localités du pays ; surtout dans la banlieue de Dakar, la capitale. Et pour exprimer leur rasle-bol, les populations de cette zone sont descendues dans la rue, notamment lors de la visite du ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, Antoine Félix Abdoulaye Diome, le dimanche 22 août. Tivaouane-Diacksao, Keur Massar et d’autres localités de la banlieue dakaroise sont sorties pour réclamer de l’autorité l’évacuation des eaux de leurs maisons et domiciles, rues et autres ateliers et services engloutis.
Le ministre Antoine Diome fut hué. Cependant, son cas n’est pas un exemple isolé ; les Sénégalais vont même au-delà. Mieux, la manifestation tend à devenir le recours privilégié des Sénégalais pour résoudre ou dénoncer un problème, une injustice, une situation… Hormis cet évènement, les émeutes qui ont fait suite à la convocation du leader du parti Pastef, Ousmane Sonko, en mars dernier, constituent une marque indélébile dans l’histoire de la revendication et de la contestation citoyenne. Saccages, pillages, jets de pierres et même des morts (13 officiellement), ont rythmé la vie du Sénégal pendant plusieurs jours. Et pourtant, ils portent l’identité d’une «nation stable».
La suite est connue, Ousmane Sonko a bénéficié d’une liberté, mais sous contrôle judiciaire, les manifestants arrêtés libérés, même s’il a fallu l’intervention de leaders d’opinion. La révolte sous la présidence du chef de l’Etat Macky Sall, c’est aussi cette sortie des habitants de Cap-Skiring, dans la région de Ziguinchor (Sud). Dans la journée du samedi 30 mai 2020, ils se sont rassemblés contre le manque d’eau dans leur localité. Tout allait bien aux premières heures de la journée dans cette cité balnéaire de la Casamance, lorsque la ville a basculé soudainement dans la violence, après que la Gendarmerie eut demandé aux organisateurs d’une conférence de presse sur le manque d’eau de surseoir à leur face à face avec les médias.
Ainsi, Cap-Skiring bascule dans une «guérilla urbaine», avec des populations assoiffées qui déversent leur colère dans la rue, se frottant aux Forces de l’ordre usant de gaz lacrymogènes pour contenir et/ou disperser la meute de manifestants répliquant par des jets de pierres… Des populations révoltées parce qu’assoiffées, ce n’est pas une expérience spécifique à cette ville du Sud. Suite aux problèmes nés de la destruction du tuyau de conduite d’eau à Keur Momar Sarr, dans la région de Louga (Nord), entrainant des perturbations et une pénurie du liquide précieux pendant de nombreux jours à Dakar, plusieurs quartiers de la capitale étaient dans la rue, dans la soirée du mercredi 25 septembre 2013. N’en pouvant plus de vivre cette situation de «Dakar sans eau» pendant plusieurs jours.
LE DÉCLIC DU 23 JUIN
Le Sénégal et les manifestations notamment de rue, c’est une histoire vieille de plusieurs années. Mais, elles ont leurs marques lors du magistère de l’ancien président de la République, Abdoulaye Wade. Le droit à la liberté d’expression prôné et institutionnalisé par ce politique aux idées libérales en est pour quelque chose. Pendant son règne, il a été beaucoup question de marches, rassemblements ou de ports de brassards rouges. La révolte contre la hausse des denrées et la protestation contre la hausse de l’électricité ont été des moments décisifs pendant son magistère.
En novembre 2007, des manifestations qui ont pris naissance au marché Sandaga ont gagné plusieurs quartiers de Dakar. Elles furent l’œuvre de marchands ambulants menacés de déguerpissement des voies et autres espaces publics. Une récupération s’en est suivie. Des syndicats en ont profité pour organiser des protestations contre le coût de la vie. S’agissant de l’électricité, le 6 décembre 2008, une manifestation a été organisée par un collectif citoyen, à Guédiawaye, pour fustiger les coupures intempestives du courant. Dirigée par Imam Youssoupha Sarr, celle-ci n’avait au départ aucune connotation politique. Deux jours plus tard, des jeunes de Kédougou ont manifesté contre le manque d’emplois dans leur localité pourtant riche en produits et ressources miniers.
Le 23 juin 2011 est inscrit dans l’histoire du pays. La cause, une révolte nationale à l’origine de la reculade du président de la République d’alors, Abdoulaye Wade, contraint de retirer son texte controversé qui prévoyait notamment l’élection, sur un même ticket, du président et de son vice-président avec un minimum de 25% au premier tour. Le militantisme pour le départ du président Abdoulaye Wade a mobilisé beaucoup d’acteurs, la société civile y compris. Le mouvement Y’en a marre prenant naissance sur ces entrefaites a été une source de motivation pour beaucoup de jeunes. Ils ont commencé à comprendre le pouvoir que peut exercer la rue sur les gouvernants
PAR FATOU NDIAYE