Hissein Habré, décédé hier à l’âge de 79 ans du Covid-19, laisse derrière lui l’image d’un homme ambivalent. Arrivé au pouvoir au Tchad par les armes, il a gouverné et été chassé du pays en 1990 par ces mêmes armes. Retour sur la vie d’un homme habillé de principes et dévêtu par la justice.
Entre Ouakam et Almadies, sa silhouette faisait partie du décor. Arrivé à Dakar en décembre 1990 après avoir été chassé du pouvoir par Idriss Deby Itno, Hissein Habré avait retrouvé une vie normale dans la capitale sénégalaise. Il s’est intégré en conjuguant au passé son statut présidentiel. Hier, certains ont versé des larmes, notamment à Ouakam. Hissein Habré est décédé du Covid-19 après avoir été admis aux urgences. Vu son état, il a été extrait de sa cellule du Cap Manuel où il purgeait une peine de prison à perpétuité pour crimes contre l’humanité.
C’est le dernier combat du «Guerrier du désert». Lui n’a pas succombé au front comme son successeur, mais il a livré tant de batailles qui ont écrit sa légende. Nationaliste averti, Hissein Habré, habillé de principes, a été dévêtu par le pouvoir. Arrivé par les armes, le Tchadien n’aura pas de scrupule à employer les mêmes moyens pour se maintenir au sommet du pays. Pendant 8 longues années, les exécutions, prises d’otages et séquestrations d’opposants ne se comptaient plus. Ils sont 40 mille personnes mortes ou tuées en détention sous le régime de Habré. Natif de Faya-Largeau, issu d’une famille de bergers, le jeune Habré avait été repéré par un commandant militaire français qui l’envoya dès 1963 étudier à Paris. A l’Institut des hautes études d’Outre-mer tout d’abord, puis à Sciences Po où le jeune Africain nourrit sa révolte et affine sa culture politique à la lecture de Franz Fanon, Che Guevara, Raymond Aron.
A son retour en 1971, il se fait un nom. Il s’installe alors dans le nord où il s’attelle à la formation d’un groupe de guérilla dans la région de Tibesti. Entre avril 1974 à février 1977, il se fait remarquer en retenant en otage l’ethnologue française Françoise Claustre. Le commandant français Pierre Galopin, envoyé comme émissaire, ne retournera pas en France. Il sera exécuté par les hommes de Habré. C’est de là qu’il a gagné la réputation de «Guerrier du désert». En 1979, il conforte cette image dans le gouvernement d’union nationale où il gérait la Défense. Hissein Habré n’allait pas tarder à entrer en conflit avec l’autre leader de l’époque, Goukouni Oueddei. Il n’y avait pas là une simple lutte d’ego entre deux chefs ambitieux aux origines sociales différentes. Il y avait surtout une différence de conception de l’Etat et de l’expression de la souveraineté nationale. Or à cette époque, et ce depuis 1974, une partie du territoire tchadien, la bande d’Aozou, était occupée par la Libye qui soutenait alors Goukouni Oueddei.
En mars 1980, alors que les troupes de Kadhafi occupent les deux tiers du pays, Habré tente un premier coup d’Etat. Qui va se solder par un échec. 2 ans plus tard, il revient avec les 2 000 hommes qui peuplent les Forces armées du nord (Fan) pour marcher sur N’Djamena. Ils étaient soutenus, équipés, renseignés par la France et surtout les Usa à l’époque de la guerre froide. Peu après son entrée dans N’Djamena, il fit exécuter des centaines de prisonniers de guerre. Puis, sa terreur s’abattit sur les opposants politiques, les autres ethnies, du sud animistes ou chrétiennes, mais aussi musulmanes du nord et du centre. Partout où des voix dissidentes se faisaient entendre, où des rébellions émergeaient avec ou sans l’aide de la Libye, la répression s’abattait massivement, sans discrimination. Les punitions collectives n’épargnaient ni les femmes ni les enfants. Son régime se resserrait autour de son ethnie, les Goranes, et plus encore autour de son clan Anakaza. Avec l’effondrement de l’Urss, les Usa et la France lâchent Habré pour soutenir Idriss Deby, son chef d’état-major qui s’est retourné contre lui. La Lybie servira de base arrière à Deby qui va marcher sur le Tchad à partir du Soudan.
Habré se sait acculé et anticipe sur sa chute en prenant la clé des champs. Il moleste 3 milliards au Trésor tchadien lors de sa fuite. Du Cameroun, il obtint un asile politique au Sénégal. Accueilli par Abdou Diouf, Habré refuse de céder l’avion de commandement que la Lybie avait octroyé au Tchad. Mais il sera restitué à l’Etat tchadien.
Nationalité sénégalaise
Sous Abdou Diouf, les conditions étaient strictes : Pas de déclaration publique ni d’immixtion dans les affaires intérieures tchadiennes. Au Sénégal, le «Guerrier du désert» troque son treillis pour le grand boubou blanc, fréquente les mosquées comme n’importe quel quidam, assiste aux cérémonies sociales de ses voisins. L’argent dérobé du Tchad lui achète une certaine quiétude. Il se fond dans la masse, noue des relations avec des familles politiques, confrériques et judiciaires et se la coule douce jusqu’en 2000. Me Wade, qui a remplacé Diouf, est sous pression. La Belgique demande son extradition pour le juger de ses présumés crimes. Les arrestations et gardes à vue se multiplient, mais la justice sénégalaise se déclare incompétente pour le juger. Les pressions vont s’exacerber avec l’implication des organisations de défense des droits humains, comme la Raddho, la Fidh, l’Ondh ou Amnesty…
Mais elles gagneront la bataille avec l’arrestation en 2013 de Hissein Habré après que le Sénégal a reçu de l’Ua l’autorisation d’organiser son procès. Il sera jugé par les Chambres africaines extraordinaires (Cae). Lors d’un procès fleuve, Habré, dont la famille a obtenu la nationalité sénégalaise, est resté aphone où il a juste sorti des mots anti-français : «A bas l’impérialisme ! A bas le nouveau colonialisme !» Il est déclaré coupable de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de torture en 2016.
Comme Amadou Ahidjo, il reposera, selon sa femme, à Dakar, «une terre d’islam».
Par Malick GAYE