Abdoul Mbaye sur les inondations: “On est dans la tricherie”

par pierre Dieme

Précis comme une montre suisse, Abdoul Mbaye a le phrasé banquier, celui qui conseille et indique la marche à suivre et la démarche à adopter. Ici, son client, c’est tout un peuple à qui il dit quelles erreurs ses dirigeants ont commises concernant les questions d’actualité. Sur la gestion des inondations de la Covid-19 et des élections, son diagnostic est incisif et ses pronostics lucides.

Dégustez son Grand Oral….    

Comment appréciez-vous la question de la troisième vague de la Covid 19 ?

La virulence du variant Delta est établie. On sait que c’est un variant particulièrement contagieux. Ce qu’il faut regretter, c’est que dans les autres pays, les premières vagues ont permis de mettre en place des dispositifs de protection contre celles qui allaient venir ou qui allaient suivre. Toutefois, ce qu’on peut constater dans le cas du Sénégal, c’est que la troisième vague est plus meurtrière, plus sévère, en termes de conséquences de nombre de vies humaines perdues, d’hospitalisations, que la vague qui a précédé et peut-être même la première. Nous sommes obligés d’en tirer la leçon suivante : il n’y a pas eu suffisamment de leçons tirées des précédentes vagues et ça, je pense que c’est une question de gestion. Je pense très sincèrement que nous avons trop vite baissé les bras, trop vite bandé des muscles en se félicitant de la qualité de la première vague, parce qu’elle avait quand même été bien contenue, même s’il y a  des aspects sur lesquels nous aurions souhaité davantage d’actions, notamment celui concernant la communication. A mon avis, c’est là qu’il fallait mettre le maximum d’efforts, sachant que le système sanitaire du Sénégal, comme celui des pays environnants, était fragile, n’avait pas de très grandes capacités face à une épidémie de cette ampleur. Ce qu’il fallait faire, c’est mettre l’accent sur la communication pour amener les Sénégalais à avoir des attitudes de préventions,  respecter les gestes barrières, mais malheureusement, ça a été mal organisé. Nous avons consacré un courrier à ce sujet d’ailleurs adressé au président de la République en Mars 2020, insistant sur la nécessité de faire appel à des voix crédibles. Il faut des voix crédibles, des voix écoutées, des voix sérieuses pour amener les Sénégalais à prendre conscience de la dimension du mal, de la nécessité d’adopter des gestes barrières, d’aller se faire vacciner. Même si on est obligé de reconnaître qu’il s’agit d’un variant très contagieux, difficile à maîtriser, il faut quand même constater que nous avons trop vite lâché les mesures fortes qui avaient été prises. Nous n’avons pas suffisamment insisté également sur l’aspect communication.

Qu’en est-il de la responsabilité de la population face à cette pandémie ?

Elle existe cette responsabilité des populations, elle existe partout, mais il y a un rôle important que doivent jouer les leaders politiques, les régulateurs sociaux qui n’a malheureusement pas existé. Au terme de la deuxième vague, tout en sachant que ce n’était pas terminé, on l’a soulevé pour calmer la colère des populations. Etait-il normal que le président de la république, lui-même, lance des campagnes, organise des voyages et des déplacements à l’intérieur du pays, alors que partout ailleurs, à chaque fois qu’on est sorti d’une vague ou qu’on a constaté qu’il y avait une baisse du nombre de cas pouvant faire penser que la vague arrivait à son terme, on est certes retourné dans une vie normale, mais de façon progressive, en prenant des précautions. Le mauvais exemple a été donné par le président de la République et tout le monde a considéré que c’était terminé.

Pensez-vous qu’on doit surseoir à l’organisation d’évènements religieux prévus très prochainement ?

Soyons réalistes ! Ce qu’il faut, c’est empêcher les rassemblements, quels qu’ils soient, conseiller le non-rassemblement, les interdire, ça peut ne pas être facile. Il faut dire les choses telles qu’elles sont ! Si vous interdisez le Magal de Touba, par exemple et que les organisateurs le maintiennent, il y a aura 2 ou 3 millions de personnes qui vont se déplacer. Je pense que l’important, c’est d’abord de sensibiliser les organisateurs. Si je refuse de surseoir à l’organisation de cette manifestation, à ce moment-là, il faut commencer par conseiller ceux qui sont le plus exposés, c’est-à-dire les marabouts, parce que c’est eux qui reçoivent le monde. Ils sont très exposés et il faut les amener dans cette démarche de sensibilisation à respecter les gestes barrières et à investir une part importante de leur parole dans le respect des gestes barrières. Je ne vois pas d’autres solutions possibles parce que ce sont eux qui sont écoutés. A partir de ce moment-là, l’Etat n’étant pas capable d’interdire ce genre de manifestation, doit d’abord essayer d’établir un consensus avec les organisateurs, à défaut, il doit les sensibiliser comme étant les premières personnes exposées et les amener à avoir un discours fort envers les pèlerins pour que ces gestes barrières soient respectés par tous.

Que faudrait-il faire pour amener les gens à se faire vacciner ?

Ça repose encore une fois sur la sensibilisation. Concernant les vaccins, il y a eu des thèses complotistes et il faut combattre cela, il faut donner des discours contraires, mais encore une fois, par des voix autorisées. Pour ce qui est des mises à disposition des vaccins, il faut une diplomatie active dans cette direction, mais aussi montrer à nos partenaires à quel point c’est important pour nous. En plus, il faut dégager des budgets. Personnellement, je crois que les priorités de dépenses dans notre pays sont ailleurs et l’achat récent d’un avion présidentiel le prouve.

Pensez-vous le Sénégal financièrement outillé pour gérer cette pandémie ?

C’est ma conviction, il suffit de gérer les priorités encore une fois et savoir où on va mettre l’essentiel de l’argent dont on dispose. Si d’autres priorités, c’est d’avoir une Mercedes à 1 milliard de Franc CFA qui brûle au bout d’un an et en acheter une autre au même prix. Si votre priorité, c’est d’acheter un avion à 60 milliards, alors que vous en avez un qui fonctionne et qui peut être réparé à peut-être 4 ou 5 milliards, alors, en ce moment, la priorité se trouve ailleurs. Ce qui est important, c’est que votre peuple sache que vous faites le maximum d’efforts. Le Président Sall fait le maximum d’efforts, seulement en direction de son confort.

Comment expliquez-vous que plusieurs milliards aient été annoncés pour lutter contre les inondations et qu’après, il n’y ait pas eu de résultats ?

Peut-être qu’ils ont été investis. Où sont-ils allés ? Certainement pas dans la lutte contre les inondations. Il y avait un plan de 767 milliards qui avait été arrêté, moi je l’ai conduit en 2013, avec l’équipe gouvernementale. Nous avons dépensé 47 milliards en 2013, nous avons fait des choses incroyables en 2013 et quand nous sommes partis, ça s’est arrêté. Même dans l’opposition, une fois que le parti a été créé, nous avons constamment rappelé, à l’occasion de nos conseils nationaux précédant l’hivernage : attention prenons les mesures qu’il faut. Je me souviens parfaitement qu’en 2018, c’est la seule année où il y avait un conseil ministériel consacré à la lutte contre les inondations à laquelle on avait décidé d’affecter moins de 2 milliards. Quand on a commencé à dénoncer l’abandon du plan décennal contre les inondations, l’Assemblée nationale a réagi. Ce que je constate, en tant que premier exécuteur, je n’ai pas dirigé moins de 45 conseils interministériels consacrés à la lutte contre les inondations. Personne n’a jugé utile de venir m’entendre sur la question du plan décennal. On est dans la tricherie concernant les inondations.

Est-ce possible de régler le problème des inondations ?

On a abandonné le plan décennal, il faut un autre plan décennal. Ça ne peut pas être réglé sur le court terme, il faut planifier. Les villes sont inondables et inondées parce qu’il y a un problème d’urbanisme et d’urbanisation, on a cessé d’assurer, d’organiser le développement de nos villes. On a privilégié, pour des raisons de faiblesses politiques, de corruptions, entre autres, les lotissements et ventes de terrains sans assainissement. Il y a toujours des solutions, mais il ne faut pas qu’elles reposent sur un système de pompage. Il faut du pompage en partie, mais également des zones d’écoulement, il faut parfois les retracer par de la destruction de maisons. Il faut faire démolir des maisons pour faire passer les eaux, des zones de captages, des zones d’eaux.

Quelle appréciation faites-vous de la révision des listes électorales ? 

Les primo votants, c’est un problème évident, Macky Sall et sa majorité ont peur des jeunes et ils ne veulent pas faciliter leurs votes, c’est dommage. Il faut encourager l’apprentissage à la citoyenneté, il faut tout mettre en œuvre pour le faciliter le plus possible, parce que c’est ça qui crée le calme dont on a besoin. Les jeunes doivent prendre conscience de leur rôle dans le fonctionnement de la cité, dans le fonctionnement de ce pays, participer, contribuer, savoir par exemple que quand ils cassent, ils détruisent de la valeur, entre autres. L’opposition et même également les non-alignés, la société civile au sein du dialogue avaient considéré qu’il était important de permettre aux primo votants de s’inscrire tout de suite, en même temps qu’ils demandent leur carte d’identité, puisque c’est une carte qui est à la fois d’identité et d’électeur. Et c’est la majorité toute seule qui a décidé de ne pas le faire dans un but évident : gêner le vote des jeunes. Concernant les certificats de résidence, moi j’en ai moi-même fait l’expérience, c’est quelque chose de très difficile.

Serez-vous candidat pour les Locales ?

Les Locales doivent d’abord être une affaire de citoyenneté, donc nous donnons la priorité aux terroirs, à la présence sur le terroir, aux interventions citoyennes qui ont déjà été conduites par les futurs candidats qui vont se présenter. La lutte de certains leaders pour être coûte que coûte maires ou conseillers municipaux et ensuite ne pas les assumer, c’est de la politique politicienne. Pour les Locales, j’ai déjà décidé que je ne serais pas candidat. Par contre, nous allons soutenir beaucoup de candidats, qu’ils soient de notre parti ou qu’ils soient de la coalition de l’opposition, ou qu’ils s’agissent de personnes appartenant à des mouvements citoyens déjà impliqués dans la gestion de leur cité, de leur commune. Les Locales sont les élections les moins politiques, les moins politiciennes. Pour ce qui est de la prochaine Présidentielle, je m’y prépare et ce qu’il faut savoir, c’est être président de la République, c’est un moyen pour mettre en œuvre un programme. Ce dont le Sénégal a besoin, c’est une modification de notre conception de la politique, un changement de comportement de nos hommes et femmes politiques. Il faut qu’on cesse de devenir un politicien à la recherche d’un poste pour s’enrichir sur le dos des citoyens et des populations.

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