L’opposition soupçonne le pouvoir de manœuvrer en procédant à des transferts d’électeurs vers des centres d’inscription qui lui sont favorables et surtout de vouloir tenter de barrer l’inscription massive des primo-votants
La question de l’inscription des primovotants sur les listes électorales crée déjà une vive polémique. Les acteurs politiques s’entre-déchirent à son propos. L’opposition soupçonne le pouvoir de manœuvrer en procédant à des transferts d’électeurs vers des centres d’inscription qui lui sont favorables et surtout de vouloir tenter de barrer l’inscription massive des primo-votants. A l’en croire, le pouvoir tente par tous les moyens de frauder lors des prochaines locales. Du côté de la majorité, on nie ces accusations et on accuse l’opposition d’impréparation. Une chose est sûre : les germes d’un énième contentieux électoral sont semés. On croyait être sorti de l’auberge mais force est de constater que les contentieux électoraux qui pourrissent la vie politique nationale depuis des décennies sont comme le phénix, cet oiseau fabuleux de la mythologie : ils renaissent de leurs cendres.
D’après l’analyste Mamadou Sy Albert, le transfert des électeurs est devenu récurrent dans notre pays. « A chaque fois qu’il y a des élections, il y a des acteurs qui s’amusent à collectionner des électeurs et à les transporter dans des territoires. Ces électeurs, soit ils sont nés là où on les transfère, soit ils revendiquent leur appartenance à ces territoires où on les déverse. Ceci constitue un problème très sérieux dans l’organisation des élections. C’est une forme de bourrage des urnes en réalité. Lorsque vous déplacez 50 à 100 personnes, vous faussez le calcul électoral. C’est une source de tension », analyse le politologue.
MAMADOU SY ALBERT : « Nous avons un très sérieux problème de démocratie dans le processus électoral »
L’enjeu pour les partis politiques, du pouvoir comme de l’opposition, selon Mamadou Sy Albert, se trouve, pour les prochaines locales, dans les nouveaux votants. Car, aucun des acteurs ne connaît le nombre exact de ceux-là. C’est ce qui explique la bataille politique qui est en train de naitre entre les deux parties pour rafler cette catégorie d’électeurs. Comment faire pour mobiliser ces nouveaux votants, les comptabiliser dans le fichier électoral et les inciter à voter pour soi ? « C’est la source de cette tension entre les acteurs politiques autour de ces nouveaux électeurs. Chacun veut savoir exactement le nombre de ces futurs électeurs. Comment ils (Ndlr : les primo-votants) sont répartis sur le plan territorial. Donc, il y a cette bataille d’accès à l’information. Il y a aussi les maires qui ne jouent pas le jeu. Quelqu’un qui a 18 ans et qui a été à l’école, ou qui n’y a pas été, il vit dans un quartier pendant 18 ans. Cette personne-là, normalement, son accès à la carte d’identité ou au certificat de résidence devrait être automatique. Les collectivités territoriales ne sont pas outillées, le ministre de l’Intérieur ne l’est non plus. Donc, les maires se retrouvent à marchander alors que ceci est un droit civique. Le citoyen a le droit d’avoir un extrait de naissance, une carte d’identité, une carte d’électeur. Donc tout ceci, c’est pour dire que ce qui devrait être automatique devient un problème pour les maires. On note un problème très sérieux de démocratie » poursuit le politologue.
Ce qu’il faut pour avoir un consensus entre les acteurs politique !
Notre pays est réputé comme un modèle de démocratie en Afrique et c’’est évidemment valable en matière d’organisation d’élections. Les scrutins se sont toujours bien passés, les citoyens reprenant leurs activités aux lendemains des scrutins. Sans aucun souci, les citoyens vaguent à leurs préoccupations après la tenue des élections. Malgré cela, cependant, l’analyste et enseignant chercheur à l’université Cheikh Anta Diop dresse un tableau sombre sur la transparence des élections au Sénégal. Ce, encore une fois, malgré l’expérience dont le Sénégal dispose en matière d’organisation d’élections. « Albert » s’interroge sur l’incapacité du ministre de l’Intérieur à être équidistant entre les partis politiques. A l’en croire, le ministère montre qu’il est au service de la majorité. « A quelque mois des élections, les partis n’ont pas encore reçu le fichier électoral. C’est une source de conflits. Ce n’est pas seulement le parti au pouvoir qui doit disposer de ce fichier électoral. L’opposition doit pouvoir en disposer également. S’ils (ndlr : les gens de l’opposition) ne l’ont pas, ce qui se passe c’est le ministère de l’Intérieur qui crée les bureaux et aussi les centres. Donc l’opposition ne sait absolument rien du tout du processus. C’est tout ça qui fait qu’il n’y a pas une garantie de confiance entre les acteurs politiques. Mais également, il n’y a pas de respect pour le citoyen. Pour sortir de ces problèmes, il faut une démocratie totale. C’est-à-dire, à la veille des élections, mettre en place une structure indépendante et une mécanique qui réunit tous les acteurs. Si vous remplissez ces deux conditions, il peut y avoir un consensus », soutient Mamadou Sy Albert. Selon lui, que la société civile doit, au-delà de la sensibilisation, aller vers les populations pour la mise en œuvre de l’accès aux droits du citoyen et à la transparence dans les élections.
IBRAHIMA BAKHOUM : « Chaque Etat se donne des moyens d’avoir des lois qui correspondent à ce qu’il veut …. Le contentieux électoral ne date pas d’aujourd’hui »
Le journaliste Ibrahima Bakhoum, lui, trouve que le temps qui était réservé à la recherche de consensus pour la transparence des élections est dépassé. D’autant plus que, selon lui, on vient de sortir d’un dialogue qui n’a absolument pas abouti à grand chose. Si ce n’est, selon le vétéran de la presse sénégalaise, à une perte de temps. « On est sorti d’un dialogue où les problèmes importants n’ont pas été réglés. Quand on vous dit qu’il y a 100 points à discuter, le cœur de ces problèmes s’articule autour de deux, trois ou quatre questions. Les gens ont demandé, s’agissant du fichier électoral, à savoir qui est dedans, qui ne doit pas y figurer, qui est sorti, inscrit ou sur-inscrit. Des experts avancent qu’il y avait plus de 500 mille qui auraient dû être sur la liste. Ils ont été exclus du vote. Je ne sais pas comment. Ce qu’il nous reste, c’est l’élégance républicaine et l’esprit démocratique. Ça, nous ne l’avons pas encore. C’est pour vous dire que la période du consensus est dépassée. On va entrer dans une phase contentieuse. Pourvu que tout cela débouche sur la sérénité du Sénégal ! », souhaite Ibrahima Bakhoum. Rejoignant Mamadou Sy Albert, il confirme qu’il y a des contentieux électoraux au Sénégal depuis une trentaine d’années. Il rappelle qu’à la veille de la présidentielle de 2019, on a eu droit à des inscriptions régulières, à des non inscriptions, des sur-inscriptions et à des désinscriptions. « Dans chaque élection, il y a toujours ce que l’opposition suspecte le pouvoir de faire ou que le pouvoir fait effectivement. Les pouvoirs sont faits pour se battre afin de rester au pouvoir. Les oppositions sont également dans leur rôle de se battre pour accéder au pouvoir. Chacun joue son rôle. Mais le pouvoir a généralement le dernier mot, parce que la politique c’est un rapport de forces. S’il n’y a pas un rapport de forces suffisant pour infléchir l’attitude du pouvoir, même s’il y avait une confiance entre le parti et l’Etat, le parti au pouvoir utilise les moyens de l’Etat pour perpétuer son pouvoir et les élections en font partie. De la manière de s’inscrire sur les listes électorales, de même que de la manière de délivrance des cartes électeurs, chaque Etat se donne les moyens d’avoir des lois qui correspondent à ce qu’il veut. C’est la situation qu’on observe actuellement. Ce n’est pas la première fois qu’on assiste à des contentieux entre partis politiques » conclut le doyen Ibrahima Bakhoum.
BACARY DOMINGO MANE : « L’opposition ne doit pas être surprise de la non transparence du fichier… Elle doit se battre pour gagner le rapport de forces avec le pouvoir »
Il incombe à l’opposition de gagner la bataille du rapport de forces d’après Bacary Domingo Mané. Ceci, même si son alerte sur la tentative du pouvoir de vouloir frauder les élections est légitime. Ce rapports de forces favorable commence par la descente sur le terrain pour la conquête des électeurs. A en croire l’ancien collaborateur de Sud quotidien, les tenants du pouvoir ont prouvé qu’ils ne sont pas des modèles de transparence s’agissant de l’organisation d’élections. La dernière présidentielle, au cours de laquelle beaucoup d’irrégularités ont été répertoriées, serait la preuve de ce qu’il avance. « Il suffit simplement de se rappeler de l’élection présidentielle de 2019 où le président sortant et son équipe avaient tout fait pour empêcher des jeunes de voter. Je fais allusion à ceux qui étaient des primo-votants à cette époque. Comme nous allons vers des Locales, le régime est en posture d’étudier d’autres actes superflus pour vraiment éviter de stopper l’hémorragie. Je pense qu’ils sont légitimes, les soupçons de l’opposition qui veut déjà alerter sur la non transparence du scrutin de janvier prochain. Depuis un certain temps, on a remarqué que les autorités font tout pour créer les conditions de leur victoire. Ce sont des gens qui ne font pas dans la transparence. Depuis que Macky Sall est arrivé au pouvoir, l’opposition n’a jamais eu gain de cause concernant sa vieille doléance d’une personnalité neutre chargée des élections. Les mêmes choses risquent de se reproduire pour ces Locales à venir. Le ministre de l’Intérieur étant juge et partie va créer les conditions de victoire de son camp. Ce qui est inacceptable dans une démocratie. Aujourd’hui, c’est à l’opposition de se battre pour remporter, disons, le rapport des forces pour obliger le gouvernement à choisir une personnalité neutre chargée des élections. Pour parvenir à cet objectif, il faut qu’elle se dresse sur le terrain politique. Les victoires démocratiques ont toujours été arrachées. Donc il faut que l’opposition se batte sur le terrain » préconise en conclusion Bacary Domingo Mané.