Mister Covid et mystère Corona

par pierre Dieme

Miraculé de la première vague, j’ai fini par établir un dialogue avec la pandémie. Cette maladie n’est pas une légende. Les priorités de la Nation doivent changer

 Je fais partie de la première promotion des patients du Covid-19, il est en vogue de l’appeler désormais « première vague ». En attendant d’épuiser toutes les vagues déferlantes de l’alphabet grec ! Tout autant que les variants de toutes races et de tous les continents … Mondialisation de la détresse humaine oblige.

Ce fut une épreuve difficile. Très difficile ! Lorsque l’on en sort, on a, nécessairement, une autre relation à la vie et au temps qui passe. La profonde solitude des affres indescriptibles de cette maladie, étrange et mal connue, conduit à un face-à-face avec soi qui ne laisse plus de place au mensonge ni à la simulation. Encore moins à la dissimulation. Lorsque l’on s’est retrouvé seul et nu entre des mains étrangères, quoiqu’hospitalières, privé de toute initiative, exsangue de forces physiques, et tenaillé par la peur de lendemains incertains, on doit saisir ce temps pour évaluer le chemin parcouru. Mais surtout, pour prendre la mesure de la fragilité des choses « acquises. » On prend alors conscience que, quant au fond, rien n’est vraiment acquis… Il suffit juste d’un virus, si petit qu’il en est invisible, mais si puissant qu’il a commencé par terrasser, et emporter, parmi les plus forts d’entre nous. Les plus célèbres parfois. Riches ou pauvres sans égards ni distinction de race ou de religion. Comme pour rebattre les cartes et changer le cours des choses. Parfois dramatiquement. Il ne suffit vraiment de… rien pour remettre tous les compteurs à zéro !

Maintenant et à ce qu’il paraît, à l’orée de la troisième vague ou variant delta, le virus s’intéresse aux jeunes ! Pied de nez à ceux qui lui prêtaient des intentions d’euthanasie gériatrique…Sacré virus !

Survivant, voire miraculé de la première vague, j’ai fini par établir un dialogue avec « Mister Covid » ou « Mystère Corona » selon son humeur ! Accommodant ou torturant, nous avons appris à nous parler. Nous nous sommes dits : tant qu’à faire, restons entre gentlemen ! Et nous avons entamé un dialogue… virtuel (!) dans l’intensité de la douleur. Au cœur de la profondeur du tunnel incertain. Celui d’où l’on n’a aucune certitude de revenir… J’ai fini par percevoir un peu, du fond de mon brouillard, le sens de sa mission : tailler en pièces nos vanités et nous rappeler que la force de Dieu, Allah, se trouve dans son omniprésence, son omnipotence, son omniscience tout en restant voilé et invisible à l’œil nu. C’est-à-dire à l’œil non revêtu de l’habit de la foi. La science et ses vanités en question ! Les bras ballants, des sommités mondiales se disputent des hypothèses fausses, du jour au lendemain. Et allez les mesquineries et les coups bas entre collègues, sur fond de détresses individuelles et familiales ! Tout se déroule en live et en prime time sur toutes les télévisions du monde. Alité, en apesanteur entre ciel et terre, on contemple désabusé le cirque de l’humanité. Celui de ceux qui sont censés diriger le monde et l’éclairer. Vanités !

Les poumons assaillis par le virus et ses escadrons de la mort, les rares sommeils sont hantés. Les souvenirs d’enfance remontent à la surface. Je revois même madame Cavigneau, ma maîtresse en 1966 à l’école du Plateau ! Son chignon blond strict et ses robes fleuries. Elle était sévère ! À mes yeux en tous cas. C’est peut-être la peur qu’elle m’inspirait qui la ressuscite dans mes cauchemars sous Covid. C’est dire… Le film de la vie, en mode accéléré se déroule, les séquences joyeuses culbutent les phases difficiles, les moments de peur et de doute. La vie n’est pas ce long fleuve tranquille sur lequel naviguaient nos rêves d’enfant. C’est un combat de tous les jours. De tous les instants…

– Revenons un peu sur terre –

Ne nous laissons plus distraire ! Allons droit au but : cette pandémie doit signer un moment de rupture totale avec un ordre ancien devenu anachronique et, à bien des égards, insultant. Il ne reste guère plus que certains dirigeants africains, et quelques « intellectuels » ou plutôt des intellocrates qui doivent tout à l’Occident, pour se complaire dans l’ordre actuel des choses. L’Afrique a le droit d’avoir l’ambition de devenir un Continent prospère où vivent, dans la dignité et le bien-être, des populations libres et épanouies. Il appartient à ceux qui ont la responsabilité de diriger nos pays de voir grand et de se mettre au travail. Lorsque l’on dispose de 60% des terres arables du monde, de ressources naturelles et minières de toutes sortes, lorsque l’âge moyen de la majorité de la population tourne autour de 20 ans, lorsque l’on a un climat à bien des égards avantageux dans plusieurs régions, il ne reste que les compétences pour faire la différence ! Ayons le courage et la lucidité de mettre les meilleurs d’entre nous aux commandes de leurs secteurs de prédilection, sans autre cahier de charges que celui de livrer des résultats palpables au profit des populations.

En un mot, comme en mille, nous savons désormais qu’il ne faut surtout plus singer les « puissances et superpuissances ». Nous regardons les mêmes journaux télévisés à diffusion planétaire. Nous lisons les mêmes journaux en temps réel. Nous suivons simultanément les débats de niveau plus que moyen dans lesquels pataugent leurs dirigeants. Nous avons observé les tâtonnements, les errances, les mensonges et les approximations de certains de leurs responsables de haut niveau : et les mythes ont fondu. Comme beurre au soleil ! Alors, évidemment que des scénarios sont en cours de préparation pour une rentrée hollywoodienne, d’après confinement, d’élites passablement surmenées. Mais le charme est définitivement rompu. Il s’agit, pour l’Afrique, d’en tirer les conclusions et de faire demi-tour ! Aller vers de nouveaux horizons ! Nous ne sommes pas obligés de confondre développement et occidentalisation. Nous pouvons inventer un modèle de bien-être plus conforme à la nature humaine. Plus respectueux de la nature tout court.

Au demeurant, il s’est avéré, au cours de cette pandémie, que le développement de la recherche et la valorisation de notre pharmacopée sont une priorité de santé publique. Il va falloir définir une politique hardie dans ce sens. Que nos universitaires et praticiens de l’école occidentale aillent au-devant de nos « tradripratriciens », ainsi dédaigneusement qualifiés par la norme occidentale, avec l’humilité que requiert la quête du savoir. Et « que cent fleurs s’épanouissent, que mille écoles rivalisent » comme le disait Mao Zedong. D’autant plus que la récession économique mondiale, prévue par les spécialistes, va nous obliger à produire de quoi nous nourrir et nous soigner. Une opportunité à saisir pour créer des chaînes de valeur agro-industrielles et pharmaceutiques tournées vers la satisfaction de nos besoins et ceux de nos voisins immédiats. La récession, si elle survient, touchera davantage les pays les plus riches : ils chutent de plus haut ! Les pertes d’emplois et les impacts sociaux seront sans commune mesure avec ce qui pourrait se passer chez nous. Mais il va falloir se préparer aux dégâts collatéraux sur nos familles dont plusieurs dépendent des subsides de la diaspora. Une grande politique de relance économique devra donc intégrer une politique d’aide au retour, dans la dignité, de plusieurs de nos compatriotes dont l’expérience et le savoir-faire pourraient encore profiter au pays. C’est, en fait, autour d’une Nouvelle Ambition Nationale et Panafricaniste (NAMP) qu’il faut rassembler toutes nos forces. C’est une question de vie ou de mort !

Et toujours cette lancinante question de la gestion des ressources de la nation qui doit être exemplaire. La définition des priorités doit être irréprochable et chercher l’efficacité et l’efficience au lieu du spectaculaire à visées électoralistes de proximité. À l’ère des transferts rapides d’argent, des gains de temps et des économies substantielles auraient pu être opérés sur la logistique de la distribution des vivres de secours. Nous attendons encore les comptes rendus détaillés de l’utilisation des moyens financiers et logistiques supposés avoir été consacrés au Covid-19… Alors oui ! Durant cette épreuve difficile, douloureuse pour les familles endeuillées par la perte d’un être cher, il y a des lueurs d’espoir… Et d’abord du côté de notre corps médical qui force le respect ! Avec des bouts de ficelles, ils font preuve de savoir-faire et de sang-froid. En dépit des vents contraires, ils tiennent bon. Le temps de les honorer viendra. Non pas en cérémonies protocolaires ou en discours lénifiants, mais surtout en investissements massifs pour le relèvement significatif du plateau technique des hôpitaux et centres de santé de notre pays.  En plus, les conditions de travail de nos personnels de santé et d’éducation devront faire l’objet de réformes profondes dans le sens d’une revalorisation conséquente. Les priorités de la Nation doivent changer ! La clientèle politicienne ne doit plus pomper les ressources nationales au détriment de ceux qui triment pour la collectivité ! Un appel à l’expertise de la diaspora n’aura de sens que dans ce sens : que de médecins, et surtout d’infirmiers, formés au Sénégal servent en France ! Quel gâchis, quelle perte.

Soulignons au passage qu’une des leçons à tirer pour l’après-Covid, c’est l’impérieuse nécessité de diminuer le nombre de missions ministérielles et de hauts fonctionnaires à l’étranger. Elles sont si coûteuses ! Dans bien des cas, les visioconférences pourraient suffire et à l’ambassadeur du Sénégal, dans un pays donné, d’assurer la présence physique du Sénégal et de parapher les documents officiels, s’il en est. Des milliards pourraient ainsi être réaffectés à d’autres priorités.

Il en est de même pour le secteur de l’enseignement supérieur qui gagnerait à développer les cours en ligne, tant entre les universités sénégalaises que dans le sens d’une coopération interafricaine ou internationale. Des pistes passionnantes de solution sont à portée de mains. Covid-19 les aura mises en évidence. En vérité, des ruptures significatives sont possibles dans plusieurs domaines. Rien ne doit plus devenir comme avant !

Je suis et reste un afro-optimiste ! Résolument. Conscient cependant que rien ne nous sera donné.  Tout se conquiert et, bien des fois, s’arrache. Il nous faut sortir du ronron de nos dirigeants qui caressent toujours dans le sens du poil, des leaders mondiaux qui ne les respectent même pas. A contrario, je sais que la jeunesse africaine, et plus particulièrement sénégalaise a tourné la page. Aux aînés d’avoir le courage de sacrifier un peu de leur confort, fragile et factice, pour faire bouger les lignes. Il nous faut éviter les pièges de la division de nos forces par… genres. Une des dernières trouvailles des Think tanks occidentaux pour nous enliser dans des problématiques étranges et étrangères. Toutes les questions qui relèvent d’un agenda qui n’est pas à l’ordre du jour chez nous, mais que des ONG lourdement financées viennent dérouler sur notre sol, méritent un débat contradictoire de fond. Ce sont juste des déviations pour épuiser nos forces vives en querelles byzantines ! Nous valons mieux !

À ce prix, il se peut bien que ce soit du Sénégal, pays de Cheikh Anta Diop, que jaillira le cri de ralliement pour l’avènement du temps de réinventer « un destin pour l’Afrique ». (En guise de clin d’œil affectueux au président Abdoulaye Wade…). « Oser lutter, oser vaincre… », disait le père de la Révolution chinoise Mao Zedong. On a vu le résultat. À nous de jouer.

 – Mystère Corona –

Au fond de la nuit noire du tunnel incertain, clignote portant une petite lueur… d’espoir. Les sourires avenants du personnel soignant et celui des techniciennes de surface qui, désormais, rythment par leurs allées et venues la routine du patient commencent à faire sens. Les nuits sont plus paisibles, le corps moins torturé. Vidé, lessivé, on sent quand même qu’un avenir est encore possible. Un revenir plausible.

Mystère Corona se présente alors sous les allures d’un visage ami qui transforme les cauchemars en rêves… Et il me parle. Il me demande si j’avais lu et …compris les deux ouvrages de feu Abdou Latif Gueye (militant intransigeant de haut lignage des droits de Dieu sur ses créatures, fondateur de l’ONG Jamra). « La Lumière du tunnel » et « Le tunnel de La Lumière », deux titres, deux ouvrages qui se croisent et restituent l’itinéraire spirituel d’un homme de vérité et de droiture, d’engagement sans compromissions. « Ces deux ouvrages, me dit Mystère Corona, sont des viatiques pour ceux de ta génération errant encore dans le labyrinthe des fausses certitudes temporelles. Relis-le. Et apprends surtout à lire entre les lignes… »

Et il poursuit : « Nous sommes ici pour vous réapprendre la force de l’invisible. Détruire vos nouvelles idoles et préparer l’avènement de l’événement… Retrouvez donc l’humilité due à l’un, majestueux et tout-puissant. Retrouvez le sens de la vie qu’il donne et reprend. Comprenez que votre seul avenir c’est la mort et le retour vers lui. Pensez plus souvent à la mort et à l’autre vie qu’elle engendre… Réveillez-vous ! » Et Mystère Corona de poursuivre : « En attendant, soyez prudents… Masquez-vous, respectez les mesures barrières, certes… Mais aussi, et surtout repentez-vous et priez ! Rouvrir les stades, les boites de nuits et autres lieux d’affluence, mais fermer le mur des lamentations, la Place Saint-Pierre et la Sainte Kaaba n’est pas la meilleure réponse au message dont nous sommes porteurs ! Réveillez-vous ! »

Silence sans appel…

Au bout de la nuit et de ses protagonistes invisibles, le ballet des techniciens de surface et celui des personnels soignants, la voix inespérée du Docteur : « Bonjour monsieur Wone ! Bonne nouvelle : le dernier test est revenu négatif. Vous êtes guéri. Vous allez pouvoir rentrer chez vous et poursuivre la suite des traitements à domicile. Bravo ! »

Cette maladie n’est pas une légende. Mister Covid et Mystère Corona sont des agents spéciaux en mission. Comprenne qui pourra….

Amadou Tidiane Wone est ancien ministre de la Culture, ancien ambassadeur du Sénégal au Canada. Il est auteur de  » Lorsque la nuit se déchire  » aux Éditions L’harmattan, 1990, « Le crépuscule des vanités  » aux Éditions Silex, 2006 et de  » Résistance » Essai aux Éditions Madiba, 2006.

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